on ne saurait trop recommander le site qu'on écrit les spécialistes de l'université de Bourgogne
ATIP (ACTION TEMPORAIRE INCITATIVE SUR PROGRAMME) : "L'assaut verbal en politique. L'insulte en Europe et en Amérique latine, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours."
Ce sont toutes sortes de noms d'oiseaux désobligeants, dévalorisants, humiliants, lancés aux tribunes des assemblées ou devant les caméras de télévision, en français, en anglais ou en espagnol, insultes vite étouffées ou contrecarrées par d'autres insultes, relayées dans la presse, gonflées par la rumeur publique, tranchées en duel, prétextes à procès.
Sur cet ingrédient si caractéristique de la vie politique contemporaine, notre recherche est interdisciplinaire (histoire, histoire du droit, science politique, mais aussi linguistique, sociologie ou anthropologie).
La prise en compte d'espaces dont les histoires sont liées sans pour autant se mêler, en Europe et en Amérique latine (France, Royaume-Uni, Espagne, Argentine, Pérou, Venezuela) pendant un peu plus de deux siècles, doit permettre de saisir des mécanismes et des circulations multiples. A l'entrecroisement du verbal, du gestuel et de l'écrit, l'insulte est une pratique politique peu étudiée pour elle-même, qui renseigne sur les codes de l'honneur ou de la convenance, sur les relations et les stratégies des hommes et des groupes politiques. Elle permet de saisir sous un angle original des logiques de violence, des modalités d'engagement qui passent par des formes particulières d'expression. Elle engage à s'interroger sur les contours du politique : comment l'insulte en politique devient-elle insulte politique ? Existe-t-il des politiques de l'insulte ?
Autant que des formes, ce sont des mécanismes qu'il s'agit d'élucider, en fonction de quelques orientations de méthode simples : confrontation régulière de nos pratiques disciplinaires respectives, analyses croisées à partir d'un repérage rigoureux d'occurrences et de situations d'insulte, va-et-vient entre études de cas et mises en évidence d'axes forts.
L'ensemble débouchera sur deux publications scientifiques complémentaires : les actes d'un colloque qui clôturera les travaux, et un cédérom dont la conception et la réalisation accompagneront l'ensemble de la recherche. On espère ainsi montrer que dans une vie politique où résonnent aujourd'hui encore les insultes, quelques éléments de décryptage et de mise en perspective peuvent être utiles.
L'équipe du projet
* Fabrice BENSIMON ( université Paris X)
* Thomas BOUCHET (université de Bourgogne, UMR CNRS 5605)
* Joëlle CHASSIN (UMR CNRS 8565 )
* Maxime DURY (université de Bourgogne)
* Stéphane GACON ( Lycée Carnot, Dijon, UMR CNRS 5605 )
* Véronique HEBRARD ( université Paris I )
* Richard HOCQUELLET ( UMR CNRS 8565 )
* Anne JOLLET ( université de Poitiers )
* Franck LAIDIÉ (université de Franche-Comté, UMR CNRS 5605)
* Matthew LEGGETT ( université Paris X)
* Olivier LE COUR GRANDMAISON ( université d'Evry )
* Geneviève VERDO ( Collège de France )
* Jean VIGREUX (université de Bourgogne, UMR CNRS 5605)
Le site sur l'insulte en politique
De cet ensemble de textes tous intéressants, un texte a retenu plus particulierement mon intéret, celui consacré a Jules Moch (qui portait bien son nom) Et pour moi un scoop : le "crs ss" des étudiants de mai 68 avait été inventé bien avant eux...
Jules Moch, couvert d'insultes (complément 1)
Dans les souvenirs qu'il publie en 1976 ( Une si longue vie , p. 281), Jules Moch revient sur la violence qu'il a subie comme ministre de l'Intérieur au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Il insiste en particulier sur de très pénibles séances à l'Assemblée : « constamment sur la brèche au banc des ministres, je suis abreuvé d'injures par les communistes ».
C'est le 22 novembre 1947 qu'il obtient l'Intérieur dans le gouvernement Robert Schuman alors qu'il n'était que ministre des Travaux publics dans les précédents gouvernements Ramadier, Blum, Bidault, Gouin et de Gaulle. La fonction qu'il assume jusqu'en février 1950, le rôle majeur dans la répression des grandes grèves de 1947-1948 et de toute forme d'agitation communiste et cégétiste lui valent, longtemps après les faits, une réputation sulfureuse, et sur le moment des torrents d'insultes dont voici un infime échantillon.
29 novembre 1947
« Chiens couchants ! », « Vous avez soif de sang ! », « Américanisé ! », « émule de Goebbels et de Philippe Henriot » sont quelques-uns des épithètes hurlés à l'encontre de Jules Moch et de ses collègues ministres ou députés. Le débat à l'Assemblée, protégée par l'armée, porte sur les projets de loi « pour la défense de la République et la liberté du travail » que le Parti communiste français assimile aussitôt à des « lois scélérates ». Remontent au fil des heures de nombreuses réminiscences historiques telles la Sainte-Alliance, les ordonnances de Charles X, Napoléon le Petit, les Versaillais, etc., selon un processus de mobilisation mémorielle bien connu. Les 250 pages de débat sont reproduites dans le Journal officiel en font foi
6 décembre 1947
« L'histoire stigmatisera la conduite de ce perroquet vaniteux, technocrate et synarque que les honteux lauriers du chien sanglant Noske font rêver » (Pierre Hervé, dans L'Humanité )
30 octobre 1948
« Comme au temps des pelotons d'exécution commandés par les Waffen SS [.] le massacreur J. Moch fait tirer ses CRS sur des poitrines françaises. » ( France nouvelle, numéro 150)
4 novembre 1948
« Tous les Français dignes de ce nom vous haïssent [.] vous plus que tout autre Jules Moch qui faites pire que les nazis. Mais comme les boches, vous serez battu par les mineurs [.]. » Ainsi s'exprime, dans un article en première page de L'Humanité intitulé « Jules Moch joue au nazi ! », le secrétaire de la Fédération du Sous-Sol CGT Henri Martel. Il qualifie aussi le ministre de « social-massacreur [.] aux mains tachées de sang des ouvriers » La référence patriotique et anti-fasciste renvoie Jules Moch à un épisode de l'Occupation, la grande grève des mineurs du Nord, entre le 27 mai et le 10 juin 1941, matée par l'intervention des troupes allemandes sur les carreaux des mines.
5 novembre 1948
Dans un billet intitulé « Les C.R.S.S », Simone Téry oppose le courage des mineurs et de leurs familles aux hommes du ministère de l'Intérieur, ceux que « dès le premier jour, la population a appelés les C.R.S.S. et, le second jour tout simplement les S.S. » ( L'Humanité ).
25 novembre 1948
A l'Assemblée, Malleret-Joinville évoque « les étudiants qui commémoraient leur geste héroïque de 1940 [et qui trouvent] en face d'eux, comme en 1940, les SS, des hommes casqués et armés, les CRS de M. Jules Moch »
Début septembre 1949
Un dessin de Mitelberg montre, sous le titre « CRSS », les deux lettres infamantes « SS » calligraphiées comme les insignes sur le col des uniformes des SS allemands, Jules Moch, bouche grande ouverte sur une dentition pointue, lâchant trois chiens policiers eux aussi gueules grandes ouvertes. Cette caricature fait suite à un épisode survenu à Marseille le 24 août 1949, où les forces de l'ordre auraient utilisé des chiens contre des ouvriers ( Action , n° 257, 1-7 septembre)
Et puis :
Pendant plusieurs années, Jules Moch apparaît dans des dizaines de caricatures : en paillasson, en valet, en porteur, en groom, en prostituée, en chien policier, en gangster, en cow-boy, en marionnette, etc. Il focalise ainsi sur sa personne quasiment toute la gamme des procédés dévalorisants anti-américains.
« S. Signe des temps » (caricature de Robert Fuzier, où les deux lettres odieuses sont accolées à des policiers réprimant une manifestation d'anciens déportés, dans Regards , le 23 février 1951)
« Jules Moch ministre du roi-dollar » (Jean Cathala, en titre d'un article dans France Nouvelle , n° 283, 19 mai 1951)
Pour en savoir plus :
Article de Christian Beuvain dans L'Insulte (en) politique .
Georgette Elgey, Histoire de la IV e République. La République des illusions (1945-1951), Paris, Fayard, 1993.
Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France 1918-1968 , Paris, Publications de la Sorbonne, 1998.
Eric Méchoulan, Jules Moch, un socialiste dérangeant , Bruxelles-Paris, LGDJ, 1999.
25 novembre 1948
A l'Assemblée, Malleret-Joinville évoque « les étudiants qui commémoraient leur geste héroïque de 1940 [et qui trouvent] en face d'eux, comme en 1940, les SS, des hommes casqués et armés, les CRS de M. Jules Moch »
Début septembre 1949
Un dessin de Mitelberg montre, sous le titre « CRSS », les deux lettres infamantes « SS » calligraphiées comme les insignes sur le col des uniformes des SS allemands, Jules Moch, bouche grande ouverte sur une dentition pointue, lâchant trois chiens policiers eux aussi gueules grandes ouvertes. Cette caricature fait suite à un épisode survenu à Marseille le 24 août 1949, où les forces de l'ordre auraient utilisé des chiens contre des ouvriers ( Action , n° 257, 1-7 septembre)
Et puis :
Pendant plusieurs années, Jules Moch apparaît dans des dizaines de caricatures : en paillasson, en valet, en porteur, en groom, en prostituée, en chien policier, en gangster, en cow-boy, en marionnette, etc. Il focalise ainsi sur sa personne quasiment toute la gamme des procédés dévalorisants anti-américains.
« S. Signe des temps » (caricature de Robert Fuzier, où les deux lettres odieuses sont accolées à des policiers réprimant une manifestation d'anciens déportés, dans Regards , le 23 février 1951)
« Jules Moch ministre du roi-dollar » (Jean Cathala, en titre d'un article dans France Nouvelle , n° 283, 19 mai 1951)
Pour en savoir plus :
Article de Christian Beuvain dans L'Insulte (en) politique .
Georgette Elgey, Histoire de la IV e République. La République des illusions (1945-1951), Paris, Fayard, 1993.
Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France 1918-1968 , Paris, Publications de la Sorbonne, 1998.
Eric Méchoulan, Jules Moch, un socialiste dérangeant , Bruxelles-Paris, LGDJ, 1999.