par Front Unique » 30 Août 2006, 19:57
Informations Ouvrières N° 758 - L'éditorial du 31 août
“… mais persévérer est diabolique”
L’émotion remarquée de Lionel Jospin samedi dernier à La Rochelle ne saurait faire disparaître les propos qu’il y a tenus : « Je regrette de ne pas avoir amorcé la réforme des retraites, qui était absolument prête » (à l’époque où il était Premier ministre).
La mémoire de Jospin flancherait-elle ? La contre-réforme des retraites, il a fait plus que « l’amorcer » ! Les 23 et
24 mars 2000, au sommet européen de Lisbonne, Jospin et Chirac ont approuvé un rapport regrettant le retard pris dans ce domaine et recommandant de lever « les limitations apportées aux fonds de pension ».
Au sommet européen de Barcelone, les 15 et 16 mars 2002, Chirac et Jospin, à nouveau unis, signent un document préconisant « de relever petit à petit l’âge de la cessation d’activité » ! Ce que le gouvernement Raffarin devait traduire en actes quelques mois plus tard par sa contre-réforme Fillon alignant tous les salariés du public et du privé sur les 40 annuités dans un premier temps, vers les 42,5 et au-delà ensuite.
Et Jospin — avec, semble-t-il, l’accord des autres dirigeants du PS — regrette de ne pas l’avoir fait lui-même plus tôt ? !
Faut-il rappeler que cinq semaines après ce sommet de Barcelone, le 21 avril, Jospin était éliminé dès le premier tour de la présidentielle ?
Nombre de commentateurs, à l’époque, ont mis ce résultat en rapport avec l’unanimité Chirac-Jospin contre les retraites au sommet européen.
Alors, Jospin aurait-il perdu la mémoire ? Ou bien s’agit-il, en parlant du passé, de se prononcer sur l’avenir ?
On apprend par la presse financière britannique qu’un plan est en préparation, visant à franchir une nouvelle étape dans la remise en cause de tous les régimes de retraite par répartition en Europe. « Les gouvernements peuvent-ils s’offrir de garantir les engagements à long terme pris vis-à-vis des retraités ? », interroge l’auteur de l’article, qui fournit l’information suivante : une étude commandée dans le cadre de l’Union européenne en 2003 évoque un endettement public non pas de l’ordre de 60 % (traité de Maastricht), mais autour de 200 % du produit intérieur brut dès lors qu’on prend en compte ce qu’il appelle « la dette implicite, qui, pour l’essentiel, procède des engagements concernant le régime général des retraites qui ne sont pas provisionnées » (1).
Ainsi donc, les engagements en matière de retraites ne devraient plus relever du contrat de travail, des statuts et des régimes de protection sociale ! Ce serait une dette qu’il faudrait — Maastricht oblige — soit réduire, soit provisionner ! La solution, ce serait… les fonds de pension, provisionnés individuellement par le salarié !
On apprend qu’à nouveau, l’Union européenne et le gouvernement s’apprêteraient à frapper les régimes de retraite. En particulier celui des postiers, des électriciens et gaziers, et d’autres seraient à très court terme menacés. Le régime général serait lui aussi dans le collimateur (2).
Est-ce par rapport à ces exigences de l’Union européenne que Jospin — et il n’est pas le seul — fait des offres de service ?
Il est évident, surtout après le 29 mai 2005, que la majorité du peuple français aspire non pas à une aggravation des contre-réformes, mais à une rupture avec elles, en particulier sur cette question fondamentale des retraites.
Sur ce point, grévistes et manifestants n’ont-ils pas par millions, ces dernières années, clairement revendiqué : public-privé, 37,5 annuités pour tous ?
« Errare humanum est, sed perseverare diabolicum » (3).
Daniel Gluckstein
(1) Financial Times, 18 août 2006. Notons que le calcul de la dette « implicite » est une application d’une norme comptable européenne dont le principe a été arrêté… au sommet de Lisbonne de 2000. Nous y reviendrons.
(2) Voir dans La Croix (21 août 2006) : « On ne pourra pas faire l’économie de décisions douloureuses à l’occasion du rendez-vous de 2008. »
(3) « L’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur est diabolique. »