Par Guillermo, lundi 4 septembre 2006 à 23:00 :: Politique :: #513 :: rss
Dans le pilotage subtil de Sarkozy, il y avait un peu trop de recentrage ces derniers temps, d'ou le besoin bien naturel d'un petit coup de barre à droite, en attendant, dans deux ou trois mois, quelque nouvel appel du pied au centre. Cependant, pour ne fâcher personne, le futur candidat s'en prend à des valeurs ou à des projets que la gauche n'ose même pas défendre (à tort ou à raison, là n'est pas le problème) : mariage homo, droit de vote des immigrés et maintenant, pour élever le débat au niveau des principes, l'héritage de Mai 68.
Selon lui, cette génération "dilapida l'héritage sans apporter ce supplément d'âme dont elle dénonçait le manque. Elle installa partout, dans la politique, dans l'éducation, dans la société, une inversion des valeurs et une pensée unique dont les jeunes sont aujourd'hui les victimes". "Au coeur de cette pensée unique, a-t-il continué, il y a le jeunisme : cette idéologie qui dit à la jeunesse qu'elle a tous les droits et que tout lui est dû. C'est faux." (cité dans le Monde).
Certes, politiquement, Iznogoud n'a pas tort de s'offrir ce marronnier. Alors qu'il ne reste plus de cette période qu'une nostalgie batarde, il n'y a rien de plus consensuel à droite que de s'ériger en fossoyeur du fameux "héritage". 1968, parée de toute les tares, cause du déclin de l'autorité et du triomphe du plaisir, victoire de l'égoïsme, fin de la religion, et péché originel qui nous a apporté la récession et le chômage, le sida et la mort de la famille. Le symbole est trop beau, alors pourquoi s'encombrer avec la réalité ?
"Le jeunisme"... n'importe quoi. Ce qui compte, c'est de punir une bonne fois les enfants gatés de l'époque, qui s'en prirent au vieux Général - le héros de la Résistance (dont la génération est d'ailleurs citée en exemple, semble-t-il, dans le même discours, avec les poilus... ambiance), et d'oublier au passage le prix de l'autorité naturelle qu'on regrette aujourd'hui, hors de tout contexte. Qu'elles sont loin les joies des valeurs familiales obligatoires, des femmes divorcées ostracisées, de la sexualité hypocrite ! Quant à la critique de la consommation, elle est peut-être encore plus taboue aujourd'hui qu'en 68, maintenant que la croissance fondée sur l'accumulation de merdes est notre seul espoir face au chaos.
Il faut donc être sacrément blasé, ou oublieux, pour supporter la vue d'un Sarko s'érigeant en moraliste - comme ses ancètres réactionnaires s'en prenaient, un siècle plus tôt, à la Révolution française, qui est aujourd'hui l'alpha et l'oméga de la droite - et regrettant "l'inversion des valeurs", la larme à l'oeil sur TF1, lieu où ses électeurs trouvent le "supplément d'âme" que la génération de 68 n'a pas voulu apporter. Comme le dit parfaitement Phersu (commentant un autre passage), "on commence en exaltant Sophocle, on finit avec Barbelivien, Smet & Beausir."
L'article qui cite ce discours n'est d'ailleurs pas neutre ; on sent que le journaliste s'énerve de cette bouillie pour chat sans pour autant être capable de porter la critique au fond. Un peu comme le verbatim ; alors que Sarko parle de sélection à l'entrée de la fac (de quoi avoir six mois de grèves et d'occupations), le titre se focalise sur l'arbre ringard qui cache exprès la forêt : "Que les élèves se lèvent quand le professeur arrive".
Gloire à Sarko, donc, homme du retour aux sains principes et au bon sens, quand il veut rendre aux bourgeois les privilèges que la jeunesse de 68 a voulu démocratiser ; veiller à l'égoîsme et à la jouissance d'une minorité qui le mérite tandis que les prolos se tiennent tranquille, n'est ce pas lui apporter la juste récompense du travail qu'elle a fourni ? Mais si tout le monde se lache, alors c'est le bordel. Faites ce que je dis...