mai 1968

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par quijote » 07 Mars 2008, 00:50

Quijote faisait comme tous les copains : militer , essayer de gagner de nouveaux copains , et cela du matin jusqu 'au soir .. Accessoirement , vivre un beau conte d 'amour ( si c 'est ça que vous voulez savoir ) mais moi je ne m ' appesantis pas comme certains célèbres ' people'
Il faut dire qu' en plus , l ' ambiance festive était propice à ce genre de chose .. il faut avouer .
Un slogan de mai 68 " la Revolution est une fête"
quijote
 
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Message par Valiere » 07 Mars 2008, 08:48

Quijote! Tu nous rassures.
Valiere
 
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Message par com_71 » 04 Avr 2008, 16:56

(Pouvoir Ouvrier (l'article dans son ensemble n'est pas aussi folklo que sa conclusion) a écrit :

4 octobre 2000
mai 1968 : tout était possible !

Mai 68 était bien plus qu’une série de manifestations étudiantes. Avant tout, il s’agissait du plus grand mouvement de grève qu’ait jamais connue l’Europe. Cette explosion de colère n’était nullement "spontanée" au sens où elle serait venue de nulle part, n’aurait aucun signe précurseur ni aucune raison d’être. Les causes du conflit s’enracinaient profondément dans la société française de l’époque.

Les étudiants avaient de quoi se révolter : amphithéâtres archi-bondés, facultés vétustes et un nouveau système de diplômes qui allait créer des injustices flagrantes. La masse des jeunes était également opposée à la guerre du Vietnam et à la tentative de l’impérialisme nord-américain de rétablir son contrôle sur le Sud-Est asiatique. En France cette sympathie spontanée fut encore plus forte, en partie à cause des liens entre le PCF et le gouvernement nord-viêtnamien.

Il en allait de même pour les travailleurs. En 1967 et pendant les premiers mois de 1968, une série de grèves, d’occupations et de confrontations avec les forces de l’ordre" montra que la classe ouvrière devenait de plus en plus combative.

En février 1967, à l’usine Rhodiaceta de Besançon, 3200 travailleurs firent grève contre les menaces de chômage ; le mouvement s’étendit rapidement aux autres usines Rhodia, notamment à Lyon, et aux filiales Cellophane et Nordsyntex. La majorité des grévistes refusa un accord avec le patronat et maintint la grève. 300 gardes mobiles occupèrent alors l’usine.

A la rentrée de la même année, des grèves éclatèrent au Mans et à Mulhouse en protestation contre les ordonnances et le chômage. Au Mans les CRS encerclèrent la ville. A Mulhouse, la préfecture fut attaquée par les manifestants.

En janvier 1968 à Caen, les 4800 travailleurs de l’usine SAVIEM se mirent en grève pour une hausse de salaires, passant rapidement à l’occupation de l’usine. Armés de frondes et de matraques, les jeunes travailleurs (la moyenne d’âge était de 25 ans) participèrent à plusieurs affrontements avec les CRS. Liée au soutien massif venu d’autres travailleurs de la ville, cette volonté de lutte montra clairement que des sections de la jeunesse ouvrière étaient prêtes à en découdre avec le patronat.

En 1966, les salaires des travailleurs français étaient les plus bas de la CEE, les semaines de travail les plus longues (jusqu’à 52 heures dans certaines branches !), et les impôts les plus élevés.

Pour mieux faire face à la fin des "trente glorieuses" qui s’annonçait à l’échelle mondiale, notamment lors de la crise de l’étalon-or, de la dévaluation de la livre britannique en 1967, et de la levée des contrôles douaniers au sein de la CEE prévue pour juillet 1968, le gouvernement Pompidou prépara de nouvelles attaques.

A partir de mars 1967, il commença à rédiger des ordonnances pour faire passer les pires attaques, notamment contre la Sécurité Sociale et l’emploi.

Les syndicats montrèrent à plusieurs reprises leur capacité à mobiliser les travailleurs, notamment autour de la Sécurité Sociale. Ainsi, le 13 décembre 1967, des millions de travailleurs participèrent à une journée d’action organisée par toutes les centrales syndicales pour protester contre le chômage et les attaques.

Malgré le succès de cette journée, la quatrième protestation du genre, les syndicats ne proposèrent rien, sinon une nouvelle journée d’action... en mai 1968.


La direction politique

La direction politique du mouvement étudiant se trouvait à Paris pour deux raisons. D’abord, la plupart des étudiants s’y trouvaient : 200.000 sur 550.000. Ensuite, depuis le début des années 60, le milieu étudiant parisien était le centre d’une série de débats politiques entre tendances de gauche.

Le résultat de ces débats fut l’affaiblissement des structures étudiantes "traditionnelles", notamment de l’Union National des Etudiants de France (UNEF), mais aussi de l’Union des Etudiants Communistes (UEC), qui organisait les adhérents du PCF en milieu étudiant.

En conséquence, les "groupuscules" trotskystes (JCR, OCI, VO) ou maoïstes (UJC-ml...) fleurissaient au profit d’une UNEF de plus en plus moribonde. Sans courroie de transmission efficace parmi les jeunes, et sentant les effets des scissions au sein de l’UEC, le PCF s’attaqua - parfois physiquement - aux "groupuscules". Durant le seul mois de décembre 1967 :
• A Rouen, des militants du PCF empêchèrent physiquement la tenue d’une réunion de la JCR.
• A Brive, un tract PCF accusa Voix Ouvrière (ancêtre de Lutte Ouvrière) d’être financée "par les flics et les monopoles" et attaqua physiquement les vendeurs de VO dans la rue.
• A Lyon, le PCF attaqua une réunion de l’OCI et de Révoltes (le journal du CLER).
• A l’usine Alsthom Saint-Ouen les diffuseurs du bulletin de VO furent attaqués par les militants de la CGT.

Ces "arguments" physiques montraient que les staliniens craignaient de perdre leur influence auprès des jeunes, notamment dans les usines.

Et le réflexe bureaucratique prima chez les staliniens. De plus en plus, le mensonge et l’amalgame devinrent leurs armes préférées tandis qu’ils retrouvaient l’esprit des procès de Moscou. Par exemple, en mars 1968, les lambertistes furent qualifiés de "fascistes de gauche" dans un tract du PCF diffusé sur la faculté d’Orsay.


Du mouvement aux barricades

Pour Ernest Mandel, dirigeant trotskyiste :
"sauf pour les délirants, nous n’avons manifestement pas, dans l’immédiat, une perspective de renversement révolutionnaire de la bourgeoisie en France et en Grande-Bretagne. Nous n’avons pas une situation pré-révolutionnaire dans ces pays." Pourtant....

L’étincelle de mai partit de la faculté de Nanterre, où la JCR et diverses tendances semi-anarchistes avaient organisé des protestations contre la réforme Fouchet (10.000 étudiants firent grève en décembre), contre la guerre du Vietnam et pour les libertés politiques sur le campus, qui avaient déjà conduit à des affrontements avec la police.

Le 20 mars une manifestation de quelques centaines d’étudiants attaqua le bureau d’American Express à Paris. L’un d’entre eux, Xavier Langlade de la JCR, fut arrêté. Le 22 mars, 142 étudiants de Nanterre s’organisèrent en mouvement pour demander la libération de Langlade. Le "Mouvement du 22 mars" naquit. Rapidement, les revendications s’accumulèrent. Les étudiants exigeaient d’être traités comme des adultes, notamment à travers la liberté d’expression politique sur le campus.

Mais, suite à une provocation d’Occident, groupuscule fasciste, violent et bien organisé, le doyen de Nanterre, craignant la bagarre générale, annonça que la faculté serait fermée jusqu’aux examens en juin.

Les étudiants se déplacèrent alors à la Sorbonne, en organisant un meeting de protestation, le 3 mai. Le rectorat exigea l’évacuation de la fac. Les étudiants refusèrent. Commencèrent alors les combats de rue contre la police quand celle-ci chargea les occupants. Du 6 au 10 mai, se succédèrent manifestations et affrontements avec les CRS. Le 10 mai, ce fut la "nuit des barricades".


Sous les pavés, la grève

Ces combats, relayés par la radio, frappèrent "l’opinion publique", déjà favorable aux étudiants. Il était évident que le gouvernement courait au désastre.

Ce que constata Pompidou, de retour d’un voyage officiel en Afghanistan. Le 11 mai il annonça que le gouvernement allait céder sur toutes les revendications principales et que la Sorbonne serait réouverte aux étudiants le lundi 13 mai. En laissant aux étudiants leur victoire, Pompidou espérait désamorcer la crise. Il n’en fut rien.

Le 13 mai entre 600.000 et 1 million de manifestants défilèrent dans une énorme manifestation de solidarité entre syndicats et étudiants. Partout dans le pays, des millions de travailleurs firent grève, suivant les mots d’ordres des centrales syndicales. Le mouvement, d’abord limité aux seuls étudiants, devint un mouvement de classe et un mouvement national.

Cela aurait pu être la fin de l’histoire. Les dirigeants syndicaux espéraient utiliser l’élan des étudiants pour renforcer leur campagne contre les ordonnances sur la Sécurité Sociale, mais sans chercher à se servir des moyens politiques d’occupation et de manifestation employés par les jeunes. Loin de là. C’est sous la forme d’une pétition que les syndicats lancèrent leur campagne, le 15 mai !

Pourtant, à Sud-Aviation (Nantes), où un conflit salarial qui devrait duré plusieurs mois, les travailleurs, encouragés par la victoire étudiante décidèrent d’en découdre. Le 14 mai, ils lancèrent une occupation et enfermèrent le directeur et ses sbires dans leurs bureaux.

Le lendemain la grève éclatait à Renault Cléon. Le 16 mai, c’était le tour de Renault Billancourt, à l’époque le symbole de la classe ouvrière autant que celui de sa direction stalinienne. Encore une fois, ce furent les jeunes travailleurs qui lancèrent le mouvement, contre la pression des dirigeants syndicaux.

Très rapidement, la classe ouvrière presque toute entière se mit en grève. Parmi 15 millions de travailleurs, près des deux-tiers firent grève. Plus de 4 millions pendant trois semaines, plus de 2 millions pendant un mois.

Les revendications étaient diverses : hausses de salaires, contre l’autoritarisme des patrons, pour la défense de la Sécurité Sociale. La grève toucha toutes les couches de la société.

Puis, Michelin, Peugeot, Citroën, les ports et les mines déclarèrent la grève totale. Les journaux, puis l’ORTF, l’Opéra, l’Odéon, les chauffeurs de taxi et même les laboratoires du Commissariat à l’Energie Atomique de Saclay où des conseils ouvriers furent organisés, se mirent de la partie. De même, certains secteurs paysans soutinrent la grève.

Les conséquences furent évidentes : absence de transports, pénurie d’essence, soucis de ravitaillement. Comme toute grève générale, celle de mai 68 posait clairement la question : qui dirige ? Le problème était que les staliniens se mettaient à répondre : "les capitalistes !"


Le PCF au secours de la bourgeoisie

La grève générale, bien réelle, était entièrement non-officielle. Aucun syndicat n’y avait appelé, aucun n’en revendiquait la paternité. Et pourtant les syndicats, et d’abord la CGT soutenue par le PCF, cherchaient à en tirer profit et à limiter les dégâts.

D’abord, il fallait immuniser les travailleurs contre l’influence des "groupuscules". L’Humanité stigmatisa les participants de la "nuit des barricades" comme des "provocateurs" ou encore comme "la pègre".

A partir du 15 mai, des manifestations se rendaient régulièrement de la Sorbonne à Billancourt. La CGT colla des affiches autour de l’usine, mettant en garde les travailleurs contre "des milieux étrangers à la classe ouvrière" qui "servent la bourgeoisie".

Là où les entreprises étaient occupées, les syndicats cherchèrent systématiquement à affaiblir l’organisation indépendante des travailleurs, en les renvoyant chez eux. Là où existaient des comités de grève (ce qui était loin d’être la règle), ceux-ci étaient largement composés d’anciens dirigeants syndicaux locaux.

Par la suite, la CGT chercha à tenir le mouvement étudiant à l’écart des manifestations ouvrières. Ainsi, le 24 mai, deux énormes manifestations se déroulèrent à Paris, l’une organisée par l’UNEF, l’autre par la CGT. Dans les villes de province, c’était moins évident, et les deux mouvements se fondaient, des manifestations se multipliaient, menaçant le contrôle des dirigeants syndicaux et montrant la possibilité d’une force solide et unie contre le gouvernement.

Le même jour, De Gaulle joua sa dernière carte en annonçant pour le mois de juin la tenue d’un référendum sur la "participation", déclarant qu’il démissionnerait si les électeurs votaient "non". Cette proposition fut mal accueillie à droite et à gauche. Mendès-France, dirigeant du PSU, déclara qu’"on ne discute pas un référendum, on le combat". Seul le PCF dît qu’il jouerait le jeu bonapartiste, en appelant au Non.

Profondément ébranlé par l’inefficacité de la tactique de De Gaulle, Pompidou entama les négociations de Grenelle. Les dirigeants syndicaux se sentaient à l’aise. Ils comprenaient bien le sens de la négociation, et, eux aussi, voulaient qu’elle aboutisse, pour mieux retrouver leur emprise sur les travailleurs et leur rôle d’interlocuteur auprès du gouvernement.

A partir du 27 mai, la tâche des dirigeants syndicaux fut de vendre l’accord. A Billancourt, Séguy, dirigeant de la CGT, fut hué par les jeunes travailleurs qui rejetèrent la pauvre augmentation de 7% et le retrait de certaines attaques contre la Sécurité Sociale ou l’âge de la retraite, fruits pourris des compromissions des directions syndicales.

Partout ce fut la même histoire : la reprise ne se faisait pas. Craignant le débordement, le 29 mai, le PCF et la CGT appelèrent une nouvelle fois à manifester. 600.000 personnes descendirent dans la rue, scandant "gouvernement populaire". De Gaulle, effrayé, quitta la France pour Baden-Baden, où il rencontra le Général Massu. A Paris certains ministres commençaient à brûler les archives gouvernementales. La fin du régime était dans l’air.

Le lendemain, pourtant, c’était le début de la fin pour le mouvement.

Connaissant bien le crétinisme électoral du PCF, De Gaulle opta pour le piège électoral en dissolvant l’assemblée. En même temps une imposante manifestation gaulliste était organisée aux Champs Elysées pour marquer la volonté de reprise de l’initiative par le pouvoir.

Le PCF, qui avait déjà montré sa volonté de participer au référendum, sauta sur l’occasion pour "renforcer" sa base parlementaire. Il appuya la reprise pour mieux récolter les fruits électoraux, le 23 juin. Ou du moins, c’est ce qu’il croyait. Selon lui, le "gouvernement populaire" sortirait des urnes. Il utilisa toute sa force - notamment à travers l’action de la CGT - pour convaincre les travailleurs de rentrer et de canaliser leur action dans l’impasse électorale.

Pourtant la lutte fondamentale pour l’extension et la généralisation des revendications du mouvement, l’appel à la population rurale et aux appelés du contingent, sur la base du contrôle ouvrier, la création d’une assemblée constituante et la lutte pour des conseils ouvriers était entièrement possible. Le refus de remplir cette tâche par la CGT et le PCF fut entièrement politique : ils ne souhaitaient pas la disparition de la République dans le soulèvement des masses.


Les élections et après

Déçus mais pas battus, les travailleurs reprirent le travail petit à petit, faute d’une autre issue. Mais pas sans heurts. A Renault-Flins, occupé par les CRS, les étudiants vinrent au secours des travailleurs le 7 juin. Un jeune lycéen maoïste, Gilles Tautin, mourut noyé lors d’une charge des flics. La CGT parisienne dénonça sans vergogne des groupes qui "agissent visiblement au service des pires ennemis de la classe ouvrière".

Quatre jours plus tard, à Peugeot-Sochaux, les travailleurs se remirent en grève. De dures bagarres éclatèrent avec les CRS : deux ouvriers, Henri Blanchet et Pierre Beylot, furent tués. En protestation, la CGT et l’UNEF organisèrent des manifestations séparées. Celle de l’UNEF, sans doute noyautée par des provocateurs policiers, dégénéra en barricades et bagarres. Ce fut la fin du mouvement.

Le lendemain, le gouvernement sauta sur l’occasion qu’il avait sans doute lui-même créé pour interdire onze organisations d’extrême gauche, dont l’UJC-ml, la JCR, VO, la FER et le PCI. Des militants - dont Pierre Frank, dirigeant de la Quatrième Internationale - furent arrêtés. La seule organisation qui échappa à l’interdiction fut le groupe "adulte" des lambertistes, l’OCI.

Aux élections, ce fut la déroute généralisée de la gauche, et notamment du PCF. Les gaullistes obtinrent 55% des voix et reprirent le pouvoir, tandis que le PCF tombait de 73 sièges à 34. Plus frappant encore, dans les circonscriptions situés autour des grandes usines, où on avait pu voir son rôle, le PCF fut clairement rejeté.

Par exemple, autour de Flins, le PCF perdit 25% des voix entre mars 1967 et juin 1968.

Pourquoi une telle défaite?

D’abord, parce que le système électoral était profondément anti-démocratique : la jeunesse de moins de 21 ans n’avait toujours pas le droit de voter, et autour de 300.000 jeunes qui avaient atteint l’âge de la majorité ne purent voter à cause du refus de gouvernement d’actualiser les listes électorales.

En même temps, il n’y avait que le PCF en lice ; ni la SFIO ni le PSU - les deux autres forces de la gauche réformiste - n’avait un réel soutien de masse. Enfin, il faut ajouter le fait que, pour des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs, les élections étaient "un piège à cons".

Le PCF paya cher le rôle qu’il avait joué en mai. Depuis, il n’a cessé de perdre son influence auprès des travailleurs en général, et des jeunes en particulier. Il avait la chance d’en finir avec la Vème République ; il a choisit de la préserver.

De plus, le vide politique à gauche que les dirigeants réformistes avaient pu constater lors des jours de mai et, plus encore, lors des élections, fut comblé en 1971 par la fondation du PS.

Bien qu’il n’ait pas rempli toutes ses promesses, toute sa potentialité, le mouvement de mai eut des conséquences profondes.

Par la suite, "l’Etat fort" gaulliste fut largement démantelé sous Pompidou et la société française ouvrit ses vannes... pour mieux récupérer les éléments les plus vénaux.

De même, la politisation de toute une génération de jeunes et l’expérience de la plus grande grève générale que l’Europe ait jamais connue, demeurent toujours dans les esprits.

Mais l’Histoire n’est pas seulement faite de ce qui s’est passé. Elle est aussi ce qui aurait pu se passer. Et là, la réponse est claire. Mai 68 n’était pas la révolution, mais elle aurait dû l’être. La " acance du pouvoir" constatée durant les jours de mai aurait pu être remplie par les masses travailleuses et par les jeunes.

Les formes de dualité de pouvoir embryonnaires auraient dû être répandues partout dans le pays. Un parti révolutionnaire aurait pu canaliser l’énergie fantastique des masses vers de nouvelles formes de pouvoir, vers une confrontation décisive avec le capital et ses représentants politiques, de droite comme de gauche. Dommage. On fera mieux la prochaine fois !


Le PCF contre la révolution

Malgré l’enthousiasme des masses, malgré la violence des confrontations avec la police, la France ne bascule pas dans la révolution ouvrière en mai 68. Pour reprendre la phrase de Trotsky à propos de juin 1936 : la situation était révolutionnaire, ou plutôt aussi révolutionnaire qu’elle pouvait l’être sans un parti révolutionnaire.

Dans certaines entreprises, la grève générale créa une dualité de pouvoir. Des dirigeants et des patrons ont été virés, et des éléments du contrôle ouvrier établis. Pourtant, il n’existait pas une dualité du pouvoir au niveau de toute la société. Le Comité de Grève de Nantes était, malheureusement, une exception.

Une majorité d’entreprises n’avait pas de comité de grève, et les comités qui existaient n’étaient pas composés d’autres forces que les dirigeants syndicaux locaux. Là où des comités ouvriers-étudiants existaient ils furent d’abord des lieux de discussion, non des organes de front unique pour coordonner l’action.

Au sein des organisations traditionnelles de la classe ouvrière, il n’y avait aucun signe de rupture profonde et mis à part quelques individus, il n’y eut aucune protestation systématique au sein du PCF ou de la CGT contre leur politique de trahison. Pire, les organisations d’extrême-gauche n’ont pas senti l’importance de signaler le rôle traître des réformistes, ni d’organiser les rangs des syndicalistes et des militants du PCF pour pousser à la rupture avec la direction.

En juillet, Waldeck-Rochet, secrétaire général du PCF, justifiera ainsi la stratégie de son parti :
"En réalité, le choix à faire en mai était le suivant : Ou bien agir en sorte que la grève permette de satisfaire les revendications essentielles des travailleurs et poursuivre, en même temps, sur le plan politique, l’action en vue de changements démocratiques nécessaires dans le cadre de la légalité. C’était la position de notre parti.
Ou bien se lancer carrément dans l’épreuve de force, c’est-à-dire aller à l’insurrection, y compris en recourant à la lutte armée en vue de renverser le pouvoir par la force. C’était la position aventuriste de certains groupes ultra-gauchistes.
Mais comme les forces militaires et répressives se trouvaient du côté du pouvoir établi et que l’immense masse du peuple était absolument hostile à une pareille aventure, il est évident que s’engager dans cette voie c’était tout simplement conduire les travailleurs au massacre et vouloir l’écrasement de la classe ouvrière et de son avant-garde : le parti communiste.
Eh bien ! non, nous ne sommes pas tombés dans le piège. Car là était le véritable plan du pouvoir gaulliste."

Quel cynisme ! L’alternative présentée par le PCF - soit une petite augmentation de salaire, soit l’insurrection armée - est complètement fausse. Tous les événements de mai indiquaient que la classe ouvrière cherchait à contrôler tous les aspects de la vie. On ne participe pas à la plus grande grève générale dans l’histoire de l’Europe pour une maigre hausse de salaire !

Il fallait avancer des mots d’ordres transitoires, capables de renforcer le mouvement pour le contrôle ouvrier dans les entreprises, et appeler à un gouvernement ouvrier, de façon à démasquer le refus des dirigeants réformistes de prendre le pouvoir. Il fallait plus que de simples dénonciations pour briser l’emprise du réformisme sur la masse des travailleurs.
De plus, il aurait fallu élargir le mouvement à d’autres couches de la population, notamment aux paysans et aux appelés du contingent. Malheureusement, l’appel du 15ème régiment d’infanterie mécanisée de Mützig à la création de comités dans l’armée et qui proclamait que les soldats ne tireraient pas sur les grévistes fut unique en son genre. Une telle orientation, loin d’être impossible, aurait mobilisé la masse des travailleurs, leur fournissant les moyens politiques et organisationnels de rompre avec leur dirigeants réformistes.




"Voix Ouvrière" et la grève

L’absence d’un parti révolutionnaire, reconnu en tant que tel par les masses, était le problème fondamental de mai 68. Avant tout, le parti est le programme. La nature révolutionnaire d’une organisation ne vient pas de son auto-proclamation, ni de son implantation chez les travailleurs : en dernière analyse, elle vient du programme avancé par l’organisation. Et là-dessus, toutes les organisations se réclamant du trotskysme ont fait faillite.

La première urgence était d’assurer le contrôle des travailleurs sur leur propre mouvement, pour faire barrage à toute tentative de la bureaucratie ouvrière de vendre la grève. Ainsi - comme l’ont exigé toutes les organisations se réclamant du trotskysme - il fallait lutter pour des assemblées générales dans les entreprises et pour l’élection de comités de grève, élus et révocables.

Devant la menace réelle d’attaques policières, il fallait organiser des milices ouvrières pour défendre les occupations et les piquets de grève. Dans les quartiers, il fallait lutter pour l’organisation des comités chargés d’assurer le ravitaillement des grévistes. Il aurait aussi fallu avancer des revendications concrètes pour approfondir et organiser la lutte des travailleurs, pour empêcher la trahison du mouvement par les dirigeants syndicaux et politiques. Mais là-dessus, le suivisme généralisé était à l’ordre du jour. On le voit particulièrement dans la politique de Voix Ouvrière (ancêtre de LO).

Le 22 mai, VO avança les objectifs suivants pour le mouvement :
"les occupants ne rentreront pas chez eux, le travail ne reprendra pas avant qu’au moins les travailleurs aient obtenu pleine et entière satisfaction sur les revendications suivantes :
1. - Pas de salaire inférieur à 1000f.
2. - Retour immédiat aux 40 heures (ou moins, partout où c’est possible) sans diminution de salaire, avec répartition du travail entre tous.
3. - Paiement intégral des heures de grève, sans lequel le droit de grève ne signifie rien.
4. - Libertés syndicales et politiques entières dans les entreprises : droit de libre circulation de la presse et des idées, droit de réunion pour tous, à l’intérieur des entreprises. "

Cette série de revendications, avancée au moment où la grève générale était en pleine explosion, où 10 millions de travailleurs faisait grève et où la question du pouvoir était posée, était complètement inadaptée à la situation. Sur le fond, VO ne parvenait pas à avancer des revendications autres que celles déjà soulevées par les travailleurs.

Ce suivisme à l’égard de la conscience ouvrière spontanée s’accompagna d’un autre suivisme, à l’égard de l’action des étudiants.

Le 28 mai, VO écrivait qu’il faut "continuer le combat commencé sur le terrain où il a commencé, dans la rue. Ce n’est que dans la rue que l’on conteste réellement le pouvoir de Gaulle car ce n’est que là qu’est mise en cause la force qui le soutient : les bandes armées de ses policiers."

Mais à la fin du mois de mai la contestation réelle du pouvoir avait lieu d’abord dans les entreprises occupées et non plus "dans la rue". Pire, les combats de rue avec la police - avant tout une tradition parisienne et étudiante - aussi impressionnants et médiatiques soient-ils, n’allaient pas ébranler la République.

L’organisation des travailleurs dans des comités de grève et des milices, l’occupation des entreprises, étaient le moyen principal de construire un réel contre-pouvoir. Pour mettre en cause "les bandes armées", il fallait d’abord que la classe ouvrière se montre capable d’organiser la société autrement, de rompre avec les illusions parlementaires et les dirigeants réformistes - politique et syndical - et pas seulement de gagner une bataille de rue.

D’où l’importance de donner aux travailleurs des structures -- notamment au sein des syndicats et dans les entreprises (syndicalisation massive, mouvement de la base, élection des comités de grève) - capables de mener à la rupture avec les directions réformistes, et de lutter pour une assemblée constituante, convoquée et défendue par les formes d’organisation que se donne la classe ouvrière, comme partie intégrante de la lutte pour la création de conseils ouvriers.

Si VO avait été plus nombreuse, plus influente, telle "le" parti révolutionnaire, quelle aurait été la conséquence de cette politique ? Ou bien VO aurait constitué "l’aile gauche" d’un mouvement ouvrier spontané suivant des revendications économiques, ou bien elle aurait sombré dans un aventurisme petit-bourgeois. Dans tous les cas de figure, sa méthode centriste et suiviste n’aurait pas permis de conduire les travailleurs à la victoire.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par com_71 » 04 Avr 2008, 17:06

Mais la chronique de Calvez est incontournable, comme on dit maintenant :

Mai-Juin 68 au fil des jours
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par kaïre » 04 Avr 2008, 21:01

En 68, j'avais 25 ans, j'étais prof titulaire au Collège technique industriel de Goussainville (chaudronnerie, mécanique générale...), devenu lycée professionnel Romain Rolland (passé concours au pif pour faire plaisir à un inspecteur sympa -revenu me voir 3 fois de suite après une inspection au collège technique de St Denis :"avec votre caractère, vous vous ferez virer si vous restez auxiliaire"- et comme il fallait bien bosser, ça ou autre chose...). Si on m'avait dit à l'époque que 40 ans plus tard, je serais en train, toujours prof, de constituer mon dossier de retraite, jamais je ne l'aurais cru (je n'ai même pas racheté mes points de maître aux). Pour moi, c'était une perspective impensable, nous aurions fait la révolution bien avant.
Je n'ai pas de souvenirs linéaires, je ne peux pas dire : tel jour j'ai fait ceci ou cela. Mais tant de scènes, d'impressions, d'enthousiasmes et de trouille bleue...
J'ai rencontré VO fin 63, j'étais à l'époque à la CNT et écrivais la partie française du Combat Syndicaliste avec Roda-Gil (c'était la première orga révolutionnaire
que j'avais trouvée en débarquant de ma province où il n'y avait rien -pour moi, PC impossible à cause de 56-). Reconnaissance éternelle à Artza qui a eu bien du mérite et beaucoup de patience. Et en 68, si je me sentais et me disais VO, pour x raisons, je n'étais qu'une sympathisante. (Si je dis ça, c'est par rapport à d'autres copains).
Le bahut s'est mis en grève assez vite. Nous occupions et je me souviens des parties de volley sous un soleil de plomb et d'interminables discussions (élèves chez eux : à l'époque, les CET, c'était à la fin de la 5ème et la majorité d'entre eux étaient très jeunes).
J'étais à la CGT et comme rester à ne rien faire entre profs -à part bien sûr les expéditions à Paris en stop (plus de train) pour les manifs- ça m'a très vite gonflée et que les copains m'avaient inculqué quelques sains réflexes, je me suis pointée à l'UL pour proposer mes services. Les stals m'ont acceptée malgré ma "couleur", faut dire qu'ils n'étaient pas très nombreux et qu'ils avaient besoin de bras. Dès 5 heures du matin, nous nous organisions en petits groupes pour essayer de mettre en grève les boîtes du coin (pas de grandes, beaucoup de très petites). Je me souviens en particulier d'un chantier du bâtiment. Nous discutions avec les gars quand, furieux, le patron se pointe : un petit jeune minet -je le revois encore- blouson de daim class, belle bagnole, etc. Les ouvriers hésitaient, avaient peur. Je me lance dans un discours et je le pourris. Les stals essayaient de me tirer en arrière "provoque pas, provoque pas !". Et finalement, les gars se sont mis en grève.
C'est ça aussi 68 : des tas de petites boîtes, cinq, six gars dans un coin, même pas syndiqués, en grève. Dans la plupart, les ouvriers n'attendaient que notre arrivée pour arrêter le boulot. Nous n'avions pas besoin de discuter beaucoup pour les convaincre. Et après, De Gaulle, les étudiants, Paris... On ne pouvait plus partir. Cettre "fraternisation" avec les stals s'est arrêtée avec Grenelle et Séguy devant Renault. Comme ils trouvaient que j'influençais un peu trop leurs syndiqués de base, ils m'ont virée de l'UL.
Bon, assez pour ce soir. Si je vous ai gonflés, pas de suite. Mais Zarra a dit... alors, je me suis lancée.
kaïre
 
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