a écrit : Piter
Il me semble que chez Marx l’idée de dictature du prolétariat renvoie à une pratique, ou disons à un ensemble de pratiques des prolétaires. Pratique de destruction des institutions bourgeoises, pratique de remplacement des rapports capitalistes par de nouveaux rapports de production, mise en œuvre d’un nouveau mode de production sociale par laquelle à lieu une réappropriation par les producteurs associés des ressources de la société et leur utilisation pour l’émancipation humaine.
L’idée d’Etat ouvrier renvoie plutôt (pas chez Marx parce qu’il n’utilise pas le terme, mais chez les marxistes qui l’ont employés) à un ensemble d’institutions.
Ce qui pose problème, pour toi, c'est donc le concept meme de "dictature du prolétariat" et d'"Etat ouvrier". IL faut bien comprendre que Marx d'abord, dans ses écrits sur la Commune, Lénine ensuite, dans l'Etat et la révolution, n'ont fait que théoriser, conceptualiser des faits sociaux : la forme d'organisation que se sont donnés les prolétaires parisiens, puis celle que se sont donnés le souvriers russes.
La dictature du prolétariat et/ou l'Etat ouvrier, ce n'est riend 'autre que le prolétariat ou la classe ouvrière organisée en tant que classe pour exercer sa domination. Je ne vois pas comment on peut établir une distinction entre ces deux notions. Mais, toi Piter, tu évoques les institutions dites soviétiques (car elles n'ont pas longtemps été l'émanation des soviets) issues de la révolution. Parler d'Etat ouvrier à leur propos est un abus de langage car il s'agit d'appareils distincts de la classe ouvrière, qui échappent à son controle, et exerceront quelques années plus tard, non seulement un controle, mais une dictature sur la classe ouvrière. On peut parler d'Etat d'origine ouvrière si on veut, mais pas d'Etat ouvrier.
Maintenant, il est clair que, pour exercer son pouvoir, le prolétariat a besoin d'une direction et d'un appareil centralisateur minimum. Comme il est clair que sans direction ayant un programme conforme aux interets historiques du prolétariat, des soviets peuvent n'être que d'"infames parlements", selon la formule de Trotsky.
Le problème qui se pose est donc celui des relations entre la direction, l'appareil inévitable et la classe ouvrière organisée. Comment faire pour que l'appareil soit soumis en permanence au controle de la classe ouvrière et n'exprime pas d'autres interets, vu que la place que ses membres occupent dans la division du travail
(direction, organisation, élaboration etc) les distinguent déjà des travailleurs du rang et les rapproche des autres couches privilégiées qui continuent d'exister dans la société. La révolution russe n'a pas eu le temps de résoudre ce problème. Les seules tentatives de réponses qui ont été apportées ont été un controle par en haut, notamment par la fameuse "Inspection ouvrière et paysanne" confiée à Staline ! Mais la société ne peut résoudre que les taches qui sont à l'ordre du jour.
Hélas, celles-ci ne l'étaient pas puisque, encore une fois, les bolcheviks se trouvaient dans une impasse historique. IL faudra donc en tenir compte la prochaine fois : comme tu le dis, une bonne direction, un parti ne peuvent rien garantir à eux seuls.
Mais, pour en revenir au concept d'Etat ouvrier et de dictature du prolétariat, je ne crois pas qu'on puisse distinguer deux concepts différents. Toutefois, c'est un peu ce qu'a fait Trotsky en continuant à considérer comme "ouvrier" l'Etat soviétique, c'est à dire un appareil bureaucratico-militaro-policier complètement extérieur à la classe ouvrière, en raison de ses origines et de l'étatisation de l'économie. Et ce que fait toujours LO aujourd'hui d'une façon surréaliste à propos de la Russie de Poutine.
Par ailleurs, tu veux définir la dictature du prolétariat en fonction de ses tâches : la transformation des rapports de production. Certes, les deux sont indissociales car, dès qu'ils instaurent leur pouvoir, les prolétaires commencent de fait à transformer les rapports sociaux, les relations au sein des entreprises etc. Mais la prise de pouvoir politique, l'organisation de la classe ouvrière en classe dominante sont des préalables à cette transformation. Il y a donc tout de meme un décalage entre la nature des rapports sociaux, des rapports de propriété, la division du travail etc et la nature de l'Etat. Ce décalage va se combler peu à peu... dans le bon ou le mauvais sens.
Pour conclure, je crois que c'est une erreur de vouloir distinguer ces deux concepts et que Trotsky a commis une grave erreur en considérant que le prolétariat pouvait conserver le pouvoir économique après avoir perdu le pouvoir politique pour la raison que l'appareil bureaucratique mis en place après la révolution avait interet à défendre la propriété étatique des moyens de production et défendait ainsi indirectement des acquis ouvriers etc.