a écrit :
[center]La construction d'ITER : un chantier pharaonique[/center]
LE MONDE | 16.03.07 |
A l'été 2009, des convois "très exceptionnels", constitués de camions à 25 essieux pouvant porter des charges de 450 tonnes, d'énormes aimants de 9 mètres de hauteur ou encore des poutres de 47 mètres de long, devront atteindre Cadarache, à 100 kilomètres de leur port d'arrivée : Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
Pour obtenir que le célèbre projet de réacteur à fusion thermonucléaire, dit ITER (pour International Thermonuclear Experimental Reactor), soit développé en France et non au Japon - qui était l'autre candidat pour l'accueillir -, la France a fait comme si Cadarache, site du réacteur, était en bord de mer. Pour masquer un petit mensonge par omission, elle a pris à sa charge, en plus de sa part dans la construction d'ITER, l'aménagement des voies qui conduisent de Fos au Centre de l'énergie atomique (CEA) situé sur le bord de la Durance - loin à l'intérieur des terres.
La taille et le poids des convois transportant les pièces d'un seul tenant nécessaires à la construction du réacteur exigent des routes spécifiquement aménagées, comme celles permettant de transporter les pièces de l'Airbus de Bordeaux à Blagnac, près de Toulouse. Le calendrier d'ITER est extrêmement serré et le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), Christian Frémont, le rappelle à tous les protagonistes du dossier : la France a engagé sa parole - pas question du moindre retard.
Le rapport des commissaires chargés de l'enquête d'utilité publique sur la route et son tracé a été remis au préfet le 31 janvier. La déclaration d'utilité publique (DUP), que le représentant de l'Etat doit signer, le sera à la fin mars 2007. Les appels d'offres sur les multiples marchés de travaux seront lancés au cours du deuxième trimestre de cette année. Et les travaux eux-mêmes - terrassement, renforcement des ponts, ouverture des autoroutes franchies - devront démarrer cet été.
Le projet consiste à tout mettre en place pour que ces convois d'une taille inégalée puissent passer deux ans plus tard. Ensuite, 300 convois exceptionnels transporteront, durant cinq ans, les pièces du monumental réacteur. Deux cents d'entre eux, parmi lesquels une trentaine seront des convois dits "très exceptionnels", emprunteront un itinéraire spécialement aménagé sans qu'aucune route nouvelle soit nécessaire.
Les 200 convois spéciaux partiront de Berre, où l'on aura aménagé à côté du petit port pétrolier un quai de transbordement spécial afin d'y débarquer le matériel transporté depuis son arrivée par bateau à Fos à bord de barges spécialement construites. De Berre, ils suivront un itinéraire sinueux qui évite les autoroutes et Aix-en-Provence.
Le parti pris initial a été de réduire au minimum les contraintes techniques et d'utiliser le plus possible les aménagements existants. Or l'itinéraire aixois, déjà très encombré, exigeait d'importantes modifications des voies, des transformations de lignes électriques à haute tension ; de plus, il empruntait de longues portions d'autoroutes souvent saturées. Sur l'itinéraire choisi, les autoroutes seront franchies de nuit, et en quelques minutes.
Avant l'enquête d'utilité publique, les responsables d'ITER-France ont donc tenu des réunions de concertation avec les communes concernées par les aménagements routiers. Le discours, devant des salles souvent pleines, a toujours été le même : faire comprendre à des interlocuteurs "microlocaux", comme dit un fonctionnaire, "qu'ils sont les acteurs d'un dossier international sur lequel le pays a une responsabilité". Et qu'au fond ITER était bon pour eux. Il fallait aussi faire accepter à ces riverains que les inconvénients subis pour un temps pèsent peu devant l'enjeu économique que représente l'arrivée d'ITER en PACA.
Pour l'essentiel, le message semble être passé. D'autant que le renforcement prévu d'une trentaine de ponts, l'aménagement de carrefours, dont une vingtaine de giratoires, la surélévation de pylônes et l'élargissement des routes en certains passages ne créent pas d'inconvénients majeurs durables. Des réticences ou de la colère se sont pourtant manifestées dans deux cas.
A Lançon-de-Provence, les jeunes habitants des Roquilles, un lotissement d'une cinquantaine de villas qui surplombe le canal de la Durance et que longeront les convois, restent fort mécontents. Leur maire, Georges Virlogeux (PS), affirme que le trajet qu'il proposait, hors du village, aurait évité cette grogne et permis de revitaliser une zone d'activité en projet.
A Peyrolles, quelques kilomètres plus loin, les habitants et leur maire n'en reviennent toujours pas que les convois passent sur la route qui traverse leur village. Depuis des années, ils demandaient une déviation pour détourner les 16 000 véhicules qui polluent quotidiennement le centre de leur bourg de 5 000 âmes. Ils escomptaient que les aménagements réalisés pour l'acheminement des matériaux d'ITER permettent d'engager ces travaux.
Or, l'été dernier, les représentants d'ITER-France le leur ont répété, en substance, lors de deux réunions publiques assez houleuses : "Premièrement : on ne peut réaliser en deux ans ce que vous demandez depuis trente ans et qui exige... deux ans d'étude. Deuxièmement : la piste de terre que nous réalisons pour des convois qui circulent à 5 km/heure n'a rien à voir avec une route où l'on roule à plus de 70 km/heure. Et les prix des deux ne sont pas comparables." D'où la colère de la maire, Danièle Long, "très remontée contre ITER".
Car les convois suivront la route jusqu'à l'entrée du village et emprunteront ensuite une piste de terre dont le tracé précis n'est pas encore défini, mais qui frôlera quelques habitations. Enfin, plus à l'est, dans le magnifique défilé de Mirabeau, se pose un problème redoutable. Vu l'étroitesse du lit de la Durance à cet endroit, deux options sont possibles : élargir la route existante, en construisant un encorbellement qui surplombe la rivière. Ou aménager une piste dans son lit, asséché et caillouteux.
Cette hypothèse, qui hérisse les responsables du parc régional du Luberon, contreviendrait aux lois françaises et européennes sur l'eau. La réponse à ces questions sera donnée par le préfet signataire de la DUP dans quelques semaines.
Michel Samson
a écrit :
[center]Le Soleil en boîte pour 10 milliards d'euros[/center]
LE MONDE | 16.03.07 |
C'est un rêve prométhéen : maîtriser le feu du Soleil pour offrir à l'humanité une source d'énergie presque inépuisable. C'est à ce rêve que donnera peut-être corps le réacteur de recherche ITER.
Au coeur des étoiles, les noyaux d'hydrogène se combinent pour former des noyaux plus lourds, en libérant une formidable énergie qui fait briller ces astres : c'est la réaction de fusion thermonucléaire, très différente de celle à l'oeuvre dans les centrales nucléaires, où l'énergie est tirée de la fission d'atomes. L'espoir des physiciens est de parvenir à contrôler cette réaction sur Terre, dans un énorme "chaudron" en forme de tore, sorte de chambre à air sous vide.
La domestication de cette énergie présenterait un triple avantage. D'abord, les combustibles brûlés, le deutérium et le tritium (deux isotopes de l'hydrogène), sont présents en abondance dans la nature : le premier peut être extrait de l'eau et le second produit à partir du lithium que l'on trouve dans la croûte terrestre. Ensuite, la sûreté d'un tel réacteur serait garantie par l'impossibilité d'un emballement du processus de fusion, stoppé à la moindre fuite. Enfin, les déchets radioactifs seraient en relativement faible quantité.
DÉFIS TECHNOLOGIQUES
On comprend dès lors l'intérêt des sept partenaires du projet : Union européenne, Japon, Chine, Russie, Corée du Sud, Etats-Unis et Inde. Et les farouches batailles diplomatiques et financières qui ont entouré la naissance d'ITER, remportées de haute lutte par la France face, notamment, à l'Espagne et au Japon.
Le coût est à la mesure de l'enjeu : 10 milliards d'euros (4,6 milliards pour dix ans de construction, 4,8 milliards pour vingt ans d'exploitation et 0,5 milliard pour le démantèlement). La France déboursera 407 millions d'euros, apportés par les collectivités de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ce qui fait qualifier cette réalisation de "pharaonique" par les écologistes, mais aussi par certains scientifiques, qui soulignent les immenses défis technologiques qui restent à surmonter.
Au reste, la vocation d'ITER n'est pas de produire de l'électricité, mais d'établir "la faisabilité scientifique et technique de la fusion thermonucléaire". Entre 2025 et 2035 pourrait être construit un prototype électrogène. Et ce n'est pas avant 2050, avec la première génération de réacteurs industriels, que l'on saura si le rêve était ou non une utopie.
Pierre Le Hir