a écrit :16 mai 2008
Le grand silence des écologistes sur le modèles danois
Initié en 1986, le plan danois avait pour objectif de diminuer de 50 % l’usage des pesticides en dix ans. Au-delà du simple aspect quantitatif, Ce nouvel article sur les pesticides et le modèle danois est paru dans le dernier numéro de la Revue A&E d’ Avril 2008.
Alors que le comité d’orientation Ecophyto 2018 planche sur les moyens permettant de « réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici dix ans », un groupe d’experts danois vient de publier un rapport d’étape sur le Plan d’action pesticides appliqué au Danemark depuis 1986. Rédigé par quatre chercheurs de l’université d’Aarhus, ce document est d’autant plus intéressant que le Danemark possède quelques années d’avance sur la France en matière de réduction de l’utilisation des pesticides. Or, une étude sérieuse du « modèle danois » révèle quelques surprises.
un indice de fréquence des traitements (IFT) (qui correspond au nombre de doses appliquées en moyenne chaque année sur la surface agricole) avait été élaboré afin de permettre la réalisation d’une évaluation plus pertinente, en termes de pression sur l’environnement, que le simple calcul du tonnage des produits utilisés. Le but était d’atteindre un IFT de 1,7.
En 1997, au cours d’une première évaluation, le Comité Bichel a constaté que le tonnage des matières actives utilisées avait diminué d’environ 40 %. « La diminution en quantité peut essentiellement s’expliquer du fait que des produits anciens ont été retirés au profit de nouveaux, qui utilisent des doses largement inférieures », explique un rapport du ministère de l’Agriculture danois, publié en 2001. Les anciens produits pondéreux développés dans les années soixante-dix (comme l’isoproturon et le 2,4-D) ont de fait été remplacés par des herbicides de nouvelle génération, appartenant essentiellement à la famille des sulfonylurées (thifensulfuronmethyl, metsulfuronmethyl, flupyrsulfuron). Côté insecticides, ce sont les organophosphorés et les carbamates qui ont été abandonnés au profit des pyréthrinoïdes. En choisissant des produits dont le gramme de matière active est mille fois plus puissant, les Danois ne pouvaient que voir fortement diminuer leur consommation en tonnage.
Cependant, le Comité Bichel s’est inquiété de la stabilité de l’IFT, évalué à 2,63 en 1997, contre 2,51 en 1987. Au regard de ces résultats mitigés, il a considéré qu’il était trop difficile d’atteindre l’objectif initial de 1,7 en maintenant dans le plan de réduction l’horticulture et les productions de fruits et légumes. Ces cultures ayant une forte valeur économique, les autorités danoises estimaient en effet que la réduction de leur protection phytosanitaire pouvait conduire à des pertes financières trop importantes. Ces secteurs ont donc été retirés du Plan pesticides, bien que leur IFT fasse toujours l’objet d’un suivi. L’essentiel des produits les plus pondéreux ayant été balayé en ce qui concerne les grandes cultures, le Comité Bichel a jugé qu’il fallait désormais se focaliser sur les moyens d’atteindre un IFT de 1,7 non plus à l’horizon 1999, mais 2009.
L’IFT en hausse depuis 2000Or, aujourd’hui, force est de constater que ce taux est inatteignable. Depuis 2000, l’indice de fréquence des traitements est en hausse constante. En 2006, il est même revenu au niveau de 1986, soit 2,52 ! (figure 1). Pire, depuis 1999, le tonnage des matières actives a augmenté (figure 2). Depuis 2005, il est même repassé au-dessus des 3.000 tonnes, avec une hausse impressionnante de l’utilisation du glyphosate, qui a atteint le niveau record de 1.038 tonnes de matières actives vendues en 2006 (soit 20 % de plus qu’en 2005) ! « A lui seul, le glyphosate représente 32 % de la vente totale des pesticides et 42 % de celle des herbicides », explique Helle Græsted Bennedsen, directrice de Dansk Planteværn, l’association danoise de la protection des plantes. Bien loin après vient le pendimethalin, qui représente à peine 7 % des herbicides vendus. Comme le note le rapport d’étape 2007, « l’augmentation des quantités d’herbicides utilisées provient d’une part de problèmes croissants de mauvaises herbes, en particulier les dicotylédones, d’autre part de l’adoption par de nombreux agriculteurs des techniques sans labour (TSL) ». Ce constat n’est pas surprenant étant donné l’élimination du nombre considérable de matières actives et de l’utilisation systématique à doses réduites de celles qui subsistent.
En ce qui concerne les fongicides, les auteurs attribuent leur augmentation « au développement rapide des résistances à la famille des strobilurines ». Un problème déjà soulevé par A&E en avril 2006 [1]. Enfin, les auteurs danois notent « une augmentation de l’usage des fongicides pour les cultures de pommes de terre, ce qui s’explique par l’extension d’autres maladies fongiques nécessitant des applications précoces ». Au Danemark, ces constatations de terrain suscitent un vif débat entre responsables politiques et agricoles, les premiers ayant clairement indiqué qu’ils privilégiaient l’environnement par rapport à la sécurité des approvisionnements alimentaires. Les uns comme les autres réfléchissent cependant à la mise en place d’un nouvel indicateur. Les experts danois, qui ont étudié les indices utilisés dans d’autres pays, ne les ont pas estimés plus pertinents que l’IFT. C’est pourquoi le rapport 2007 propose une nouvelle méthodologie de calcul très complexe, basée entre autres sur la division du territoire national en 200.000 localités d’environ 20 hectares, pour mieux prendre en compte l’ensemble des contraintes agronomiques et territoriales. On peut toutefois se demander si derrière ce débat ne se cache pas une tentative élégante de s’affranchir de l’objectif initial de 1,7...
Perte de productionA cette problématique s’ajoute un nouveau constat : l’inquiétante stagnation, voire la diminution des rendements de certaines cultures conventionnelles (figure 3). « Les restrictions en apport azoté, conjuguées à une moindre efficacité de la protection des cultures, ont réduit les rendements et entraîné une transformation complète de nos débouchés. En outre, le passage des cultures de nos blés destinés à l’alimentation humaine aux variétés fourragères rend notre pays de plus en plus dépendant du monde extérieur pour son approvisionnement en céréales planifiables. Celles-ci nécessitent une fumure plus étudiée et une protection plus soignée pour atteindre le taux de protéines exigé par la meunerie », indique Claus de Neergaards, agriculteur dans le Sjælland. Au Danemark, le taux de protéines de l’orge et du blé est en nette baisse depuis la mise en place du Plan pesticides (figure 4). D’où le renforcement de l’orientation de l’agriculture danoise vers les productions animales, au détriment des cultures destinées à l’alimentation humaine. L’explosion des surfaces cultivées en maïs (qui ont bondi de 43.000 ha en 1997 à plus de 120.000 ha actuellement) illustre parfaitement cette évolution.
Baisse de l’agriculture bioEn revanche, les surfaces consacrées à l’agriculture biologique, plus faible en rendement, diminuent chaque année depuis 2002. Après un pic à 145.000 ha (dont une grande partie était consacrée aux prairies), ces surfaces se situent aujourd’hui à moins de 130.000 hectares, sur un total de 2,21 millions d’hectares, soit 5,2 % de la SAU (figure 5). Le nombre d’agriculteurs bio est également en forte baisse (2.800 en 2006, contre 3.700 en 2002), ce qui représente une chute de 24 % en quatre ans (figure 6). Il est vrai que pour les autorités danoises, l’agriculture biologique ne représente pas une alternative économiquement viable. C’est d’ailleurs ce qu’avait déjà conclu le Comité Bichel en 1997. Celui-ci avait évalué plusieurs scénarios pour l’agriculture. Celui de la conversion totale à une agriculture sans pesticides de synthèse avait été jugé irréaliste. Contrairement à la France, le Danemark n’a jamais eu l’intention d’augmenter significativement sa production agricole biologique, même si le marché existe. Les importations de produits bio ont en effet explosé depuis 2003, passant de 300 millions à 580 millions de couronnes (figure 7) ! De manière générale, ce pays a vu ses importations de produits agricoles (viandes comme céréales) exploser, avec un total de 27 milliards de couronnes en 2007, contre 20,8 milliards de couronnes en 2004 !
Dépendance alimentaireLe Danemark, qui produisait 9,5 M tonnes de céréales en 1997, n’en a produit que 8,1 M tonnes en 2007 (figure 8), soit un recul de 15 %. « Je pense que cette situation va s’inverser avec les niveaux actuels des prix des denrées agricoles. Les agriculteurs danois vont accroître leur production, ce qui va aussi entraîner une augmentation de l’usage des pesticides et des engrais », estime cependant Klaus Jørgensen, du Conseil agricole danois. Pour sa part, Helle Bennedsen note que les autorités danoises sont restées très prudentes dans leur choix des produits phytosanitaires à supprimer. Ainsi, les maïsiculteurs danois peuvent toujours utiliser la terbuthylazine en substitut de l’atrazine – contrairement à leurs collègues français. Il n’est pas question non plus de supprimer des produits déjà inscrits à l’annexe 1 de la Directive européenne 91/414/CE, comme l’ioxynil, le bromoxynil, le diquat, l’alphaméthrine, la bétacyfluthrine ou la lambda-cyhalothrine, alors que ces substances figurent sur la fameuse liste des 53 matières actives que la France veut éliminer. Enfin, l’imidaclopride et le thiamethoxam sont autorisés au Danemark, et sans les restrictions d’usage exigées par la France.
Avant de s’aligner sur un modèle dont les limites, voire les défauts, apparaissent clairement, et de supprimer de son propre chef des molécules que le Danemark se gardera bien de bannir de peur de voir son agriculture s’effondrer complètement, la France serait bien avisée de tirer les conséquences de l’expérience danoise. Un « modèle » mis en avant par certains responsables écologistes lors du Grenelle de l’environnement, et oublié depuis...
[1] « En supprimant massivement l’utilisation d’anciennes molécules, certifiées par les autorités d’homologation européennes, le Danemark se trouve pris au piège d’une politique qui repose essentiellement sur quelques matières actives appartenant aux mêmes familles chimiques. Les agriculteurs danois sont privés des pratiques d’alternance utilisées pour éviter que parasites et ravageurs ne s’adaptent aux produits », in Le Danemark et les pesticides : l’envers d’un modèle, A&E N° 35, avril 2006.Gil Rivière-Wekstein