("L'Express" a écrit :
Dernier baroud chez les "Conti"
Par Henri Haget, publié le 27/05/2009 15:24 - mis à jour le 27/05/2009 16:04
Protestant contre la fermeture de leur usine, les salariés de Continental, à Clairoix, collectionnent les faits d'armes. Aidés, en coulisse, par un conseiller en lutte ouvrière...
Depuis le début du conflit, le 11 mars dernier, les futurs ex-salariés de Continental se retrouvent chaque matin, à l'heure de la pointeuse, devant les grilles de l'usine de Clairoix (Oise). Ils ont raccroché le bleu de travail, mais leur vie est encore ici, à l'ombre du fier paquebot de briques et des années de splendeur révolues. Les assemblées générales, les barbecues improvisés scandent leurs journées comme naguère la sirène de l'usine. "C'est con à dire, mais depuis qu'on sait qu'on va tous être virés, on partage une formidable aventure humaine", lâche Christian Lahargue, 54 ans, 1 600 euros net par mois pour touiller l'acétone et l'ammoniaque.
Ce matin-là, un aréopage de syndicalistes devise sur le parking de l'usine. Le petit homme muni d'un attaché-case et d'une conscience professionnelle à toute épreuve s'est approché à pas menus. "Enchanté, monsieur Mathieu !" lance-t-il au leader de la CGT, figure totémique du conflit et star des JT au soir du saccage de la sous-préfecture de Compiègne, le 21 avril dernier. Xavier Mathieu, 44 ans, gueule de cinoche et verbe uppercut, toise l'importun. "Ça, c'est un huissier..." "Gagné !" fait l'autre en extirpant de sa mallette une assignation consécutive à l'occupation de l'usine Continental de Sarreguemines par ceux de Clairoix. Un coup d'éclat, un de plus, pour Mathieu et les siens, entre deux processions musclées vers l'Elysée ou Bercy. "Le dernier huissier qui s'est pointé ici, on l'a peint en rouge !" tonne un ouvrier. Xavier Mathieu, lui, cherche du regard un sexagénaire à la mine replète qui déambule dans les coulisses du mouvement, évitant soigneusement la publicité. "Je fais quoi, maître Yoda ? Je signe ?" Sans piper mot, l'homme de l'ombre hoche la tête. Alors, Xavier Mathieu empoigne le stylo d'huissier et s'exécute d'un paraphe nerveux.
Roland Szpirko, 63 ans, alias maître Yoda - du nom du vieux sage de La Guerre des étoiles - est conseiller municipal (Lutte ouvrière) à Creil (Oise). Membre éminent de l'organisation d'extrême gauche, dont il voulut un temps prendre la tête, il est aussi l'ancien leader de la révolte des ouvriers de chez Chausson, au milieu des années 1990. C'est lui qui, à la tête de ses troupes, parvint à envahir le plateau du journal télévisé, une première à l'époque. Quand les "Conti" se sont mis à balancer des oeufs sur le crâne de leur patron et à tout casser à la sous-préfecture, le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand, a vu sa patte en dénonçant "les manipulateurs d'extrême gauche qui attisent la violence".
"Il a insisté pour qu'on aille chercher l'Etat "
Roland Szpirko, aujourd'hui retraité, a refusé de répondre aux questions de L'Express. Xavier Mathieu, lui, ne nie pas l'influence exercée par ce penseur ultraorthodoxe de LO sur le comité de lutte des "Conti". "Il est mon conseiller", dit-il tranquillement. Dans les discussions avec la direction allemande du manufacturier de pneus et les émissaires du secrétaire d'Etat à l'Industrie, Luc Chatel, Szpirko ausculte chaque mot, chaque parenthèse, des protocoles soumis à l'approbation des grévistes. "Dès le début, Roland a insisté pour qu'on aille chercher l'Etat par le colback afin d'engager des négociations tripartites", souligne Mathieu. L'extrême gauche instrumentalise-t-elle le désespoir des "Conti" ? Oui et non. Elle exploite son fonds de commerce. Elle est là où elle n'a jamais cessé d'être. Sur le terrain."Que le gouvernement hurle à la manip, OK, dit Jeff, 45 ans, vingt ans d'ancienneté comme OS et des projets de reconversion comme moniteur d'auto-école. Mais les socialistes ! Pas eux ! Ça fait un siècle qu'on ne les a pas vus à la sortie de l'usine..."
Le 17 juillet prochain, Xavier Mathieu et six autres camarades seront jugés par le tribunal correctionnel de Compiègne pour leur virulent monôme à la sous-préfecture. Ils encourent 75 000 euros d'amende et sept ans de prison. Ils ne regrettent rien. "Ce jour-là, à force de se faire balader par nos interlocuteurs, c'est comme si une bombe de colère avait explosé en nous", explique la grande gueule des Conti. Les temps changent. Il y a quinze ans, une grève à l'usine de Clairoix s'était achevée, en pleine nuit, par l'intervention d'un bataillon de nervis armés de barres de fer. Les types du piquet de grève avaient trouvé leur salut en plongeant dans l'Oise, qui serpente à deux pas de là. L'affaire n'avait pas fait les gros titres. En ce printemps 2009 où, à Clairoix comme ailleurs, tout a basculé, le téléphone du directeur de l'usine, Louis Forzy, sonne dans le vide. Il a quitté son bureau. Sa belle maison de Compiègne, aussi. Il vit et travaille à l'hôtel. De peur d'être séquestré.