Paris libéré... par les Parisiens !
« Il ne faut pas se laisser prendre à des mises en scène, qui ne sont pas des récits historiques mais de la propagande. Le refus du commandant du Gross Paris de détruire Paris est de la fiction ! Les choses sont beaucoup plus simples : il n’avait plus les moyens de le faire. »
C'est mon ami Maurice Kriegel-Valrimont qui s'exprimait ainsi: la Libération de Paris fut une insurrection populaire. Mais qu'il fallait taire, ou presque. Pour défendre cette « vérité historique », il avait d'ailleurs publié un livre, sobrement intitulé La Libération - Les archives du Comac (mai-août 1944 (éditions de Minuit) : documents à l'appui, Paris ne fut pas sauvé par la clémence d’un général allemand – mais par le soulèvement des habitants. Et cette insurrection ne s’est pas produite grâce à Londres, mais plutôt malgré Londres, dont les représentants ont à plusieurs reprises freiné le mouvement.
Ca n'était pas glorieux, d'avoir - pour des bonnes et moins bonnes raisons - "freiné" cette libération. Mieux valait donc oublier cet épisode. Et enterrer le rôle du Comac, le Comité d'Action Militaire de la Résistance avec.
Il aura fallu soixante-quatorze ans.
Soixante-quatorze ans pour que soit rendu, enfin, un hommage public au Comac. Ce samedi 25 août, à 14 h, devant le 8 avenue René Coty à Paris, sera inaugurée la première plaque en l'honneur de Pierre Villon, Jean de Voguë et Maurice Kriegel-Valrimont, tous trois dirigeants du Comac. (Toutes nos félicitations à Anne, la fille de Maurice, qui a arraché cet hommage.)
Je voudrais laisser la parole à Maurice Kriegel-Valrimont, militant de gauche, du Front populaire, député communiste, exclu du Parti. Il décrivait ainsi ses relations avec le grand aristocrate Jean de Voguë :
Maurice Kriegel-Valrimont: Il ne faut pas le voiler : la Résistance, dans son ensemble, ce n’est pas une idylle dans un pré vert, avec des pommes rouges et des lunes brillantes. Ce sont des tendances différentes. C’est la France, c’est la France dans sa différence, et cette différence, il ne faut pas la camoufler ! Je ne veux prendre qu’un exemple : au Comité d’action militaire, le militant syndical que je suis rencontre un homme des deux cents familles*. C’est Jean de Vogüé, c’est un homme des deux cents familles, c’est l’industrie sucrière ! Il est propriétaire du château de Vaux-le-Vicomte, le château de Fouquet. Il est officier supérieur de la Royale. C’est un représentant de l’oligarchie française. Dans le jargon de l’époque, c’est un ennemi de classe. Mais de quoi lui et moi nous apercevons ? C’est que, dans la mesure où nous voulons la libération du territoire, nous nous rejoignons.
F. R. : Mais justement, ce qui est surprenant, là, dans ce programme du Conseil national de la Résistance, c’est qu’on ne se limite pas à la libération du territoire, mais il va y avoir une volonté d’avancées sociales, et là, on se dit : si vraiment il y avait des gens des deux cents familles, à...
M. K.-V. : Mais ils y sont !
F. R. : ...à l’intérieur de la Résistance, comment se fait-il qu’on ait un programme fort à gauche ?
M. K.-V. : Mais ça signifie une chose toute simple : la France, c’est aussi la Révolution française. La France, c’est aussi les Lumières. La France, c’est aussi la nuit du 4 Août, l’abandon des privilèges. L’origine sociale joue un grand rôle, mais il y a aussi la prise de conscience de l’intérêt national. Pendant la guerre, un certain nombre d’hommes, y compris d’origines sociales diverses, prennent conscience de ce qui est majeur du point de vue de l’intérêt national. Patriote, ça veut dire quelque chose. Et je ne revendique pas d’être moi tout seul un patriote. Je ne conteste pas que, à ce moment-là, de Vogüé est un patriote. Je n’ai aucun doute : il avait le sentiment de ses intérêts propres, mais dans certains cas, il passait outre à ses intérêts pour l’intérêt commun. Eh oui ! Mais ça c’est l’histoire. Quand l’histoire grandit, les hommes grandissent avec ! (Rires.) Et c’est beau à voir, c’est beau à voir !
D’ailleurs, vous savez bien à quelle vitesse, ensuite, on revient en arrière : à toute allure, et en y mettant la cravache !