Une collègue de boulot qui est "anarchiste-zadiste-gauche caviar" (je ne vois pas comment nommer ça autrement) et très encline à voir l'extrême-droite partout, s'étonnait que malgré tous ses (supposés) moyens et ses tentatives répétées, l'extrême-droite n'était
pas parvenue autrement qu'à la marge à récupérer le mouvement des gilets jaunes. Et je dois dire que cette remarque m'a surpris, parce que ce n'est pas souvent que je suis d'accord avec ce qu'elle dit. L'extrême-droite y est ici ou là, on l'identifie assez facilement dans certains groupes de gilets jaunes au milieu d'autres gilets jaunes, elle tente d'impulser certains slogans et certains réflexes mais elle ne parvient pas vraiment à faire une OPA sur le mouvement.
Que les gilets jaunes soient méfiants vis-à-vis des organisations politiques et syndicales, ça n'a rien d'étonnant et d'ailleurs, ils ont parfaitement raison de s'en méfier ! D'innombrables politiciens ont cherché à leur emboîter le pas et à faire comme si le mouvement apportait la preuve qu'ils avaient raison, du RN aux Républicains, de Mélenchon au PS, qui essayent de regagner du terrain face à Macron. Certains syndicats de salariés, après avoir dénigré le mouvement, tentent de le récupérer et c'est peut-être pour mieux le torpiller en réalité (du moins, au niveau des directions syndicales). Évidemment, bien des gilets jaunes ne sont pas dupes. Mais ils se méfient à leur façon et ça prend une tournure de revendication "d'apolitisme" qui est d'autant plus absurde que réclamer la démission de Macron, c'est quand même un peu politique, non ?
Les GJ mêlent aussi la classe ouvrière aux artisans, commerçants et autres petits patrons. Ces derniers insufflent une méfiance et une hostilité vis-à-vis des syndicats ; elle n'a rien à voir avec la méfiance que peuvent ressentir des travailleurs maintes fois roulés dans la farine par les directions syndicales, sauf que les deux peuvent se confondre et converger. C'est le produit de la politique de la gauche et des syndicats depuis des années d'avoir ainsi fait tomber une barrière qui aurait peut-être pu exister en d'autres temps et d'autres circonstances. Cela représente un risque - le risque que les travailleurs fournissent les troupes pour les revendications d'autres classes sociales - mais aussi une opportunité - celle que les travailleurs soient capables de se mettre à la tête d'un mouvement entraînant les artisans, commerçants etc. On en est loin, et c'est là que l'absence d'un parti ouvrier révolutionnaire se fait cruellement sentir, mais on sent bien que cette possibilité pourrait exister.
Patrocle a écrit :
Il s'agit d'être gilet jaune à sa place, présent, actif, avec camaraderie et respect des autres sans se comporter en monsieur PLUS de la surenchère revendicative avec des mots d'ordre incompréhensibles présents dans aucune plateforme à ma connaissance. Sur ma ville ceux qui occupent les ronds points et entrée d'autoroute se méfient à juste titre des donneurs de leçons, ils savent parfaitement ce dont il ne veulent plus et donc par conséquence ce qu'ils veulent. Nul besoin de leur "expliquer" comment faire et sur quoi, ils s'en chargent eux même.
Patrocle, là-dessus tu n'as pas tort, et tout est précisément dans la manière de faire, qui compte beaucoup en l'occurrence. Il ne faut en effet pas apparaître comme champions de la surenchère revendicative et comme des donneurs de leçon, ce serait aller droit dans le mur avec un résultat inverse de celui escompté ! Il faut simplement être à sa place, présent, actif, avec camaraderie et respect des autres oui. Mais il faut quand même être soi, c'est-à-dire un travailleur qui a des revendications de travailleurs et qui porte par exemple sur son gilet jaune une inscription du type "Carburants + 25%, salaires + 0%, augmentation des salaires !" ou ce genre de choses, qui fait parfaitement le lien avec la préoccupation d'une bonne partie des autres gilets jaunes. Et être prêt à discuter fraternellement chaque fois que l'occasion s'en présente, ce qui permet de placer "l'échelle mobile des salaires" pas forcément en utilisant ce terme d'ailleurs, ce peut être en disant simplement que les salaires doivent suivre systématiquement la hausse des prix. C'est ce que font pas mal de militants de LO en ce moment, ce me semble, en particulier des militants ouvriers avec leurs camarades de travail.
Et les milieux populaires dans tout ça ? Pour ce que j'arrive à en voir, dans ma ville très pauvre, très ouvrière et très immigrée, eh bien si, les gilets jaunes ça prend bien même chez les travailleurs immigrés (il faut dire que beaucoup de commerçants et artisans de la ville sont eux-mêmes immigrés et participent ou, surtout, affichent le gilet jaune dans leur véhicule).
En plus de sa présence dans les entreprises et les quartiers populaires, LO organise des journées d'action dans ce type de ville et c'est l'occasion d'avoir des dizaines de discussions, un sondage grandeur nature ou presque. Ceux, immigrés ou pas, qui s'arrêtent pour discuter - et c'est assez facile en ce moment - ont tendance à considérer que LO et les gilets jaunes tirent dans le même sens, cela leur semble l'évidence même, et ils expriment leur sympathie, même si c'est très confus la plupart du temps. Un truc également frappant c'est que l'on voit beaucoup moins de reproches sur la violence que lors de mouvements syndicaux par exemple, c'est comme si une partie de la population avait conclu "qu'on ne peut pas faire d'omelette sans casser d'oeufs", c'est vraiment inhabituel je trouve, avec souvent des arguments pour dire que tout ça c'est de la faute de Macron et qu'il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. Par contre, c'est plus rare de tomber sur des habitants qui dépassent la simple question de Macron et voient le rôle du patronat derrière.
Je note aussi que c'est
la deuxième fois cette année (après la grève des cheminots) qu'un événement semble redonner la pêche à une fraction des travailleurs (tandis qu'une autre fraction regarde le mouvement avec intérêt tout en restant désabusée et démoralisée). Ce ne sont encore que des indices, il est trop tôt pour savoir si la conscience de la classe ouvrière est en train d'évoluer.