Lutter avec succès pour le maintien d'une usine avec tous ses emplois, il y a des cas où ça peut marcher, mais ils sont
très rares et il faut que toute une série de conditions soient réunies, qui ne le sont pas ici. La fermeture est annoncée et Ford ne veut pas de repreneur, tout simplement parce qu'il ne veut pas d'un concurrent de plus pour fabriquer comme lui des boîtes de vitesse. En effet, il ne se désengage pas de ce type d'activité, il fabrique toujours des boîtes de vitesses ailleurs, mais veut juste concentrer la production sur moins de sites pour faire plus de profits.
La "loi Florange" n'est absolument pas contraignante et Poutou résume d'ailleurs bien, dans la vidéo, à quoi ça se limite : demander à un cabinet grassement payé de chercher des repreneurs, d'envoyer des mails et des courriers à toutes sortes de gens, pour dire à la fin "il n'y a personne" et basta, l'entreprise s'est acquittée de son "devoir".
Il se trouve que là, il y aurait un éventuel candidat prêt à dire oui (Punch Powerglide, celui qui a déjà repris General Motors Strasbourg). Ford ne veut pas en entendre parler : Punch produit déjà des boîtes de vitesses automatiques à Strasbourg et est le sous-traitant d'un grand groupe allemand, ZF, qui fait lui-même des boîtes de vitesses. Surtout, le centre de recherche de Strasbourg a mis au point une boîte de vitesses pour véhicules hybrides, qui peut prendre des parts de marché à Ford et Punch fait miroiter qu'il pourrait la fabriquer à Blanquefort !
Les pouvoirs publics ont donc un os à ronger pour dire que c'est scandaleux que Ford refuse le rachat par Punch et crier à la trahison, mais c'est du cinéma. La DIRECCTE oblige à recommencer la procédure car Ford s'y est mal pris, mais cela ne fait que retarder un peu l'échéance. Peut-être qu'un projet avec Punch serait viable en effet, mais il y a quand même de quoi se méfier. Selon Simon Delporte, journaliste du Mag Auto Prestige, dans un article du 23 décembre 2018 :
(...) Ford a refusé l’offre de rachat de son usine en Gironde émise par Punch Powerglide. Le groupe belge n’est pas réputé pour son sérieux et a déjà « arnaqué » General Motors sur le rachat d’une autre usine en France. Un rachat validé par … Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie. Là bas, l’entreprise devait passer de 1100 employés à 1500 en 5 ans. Or, actuellement, il n’y a que 950 employés. De même, Punch avait promis un investissement à hauteur de 150 millions d’euros (en plus des 93 millions versés par General Motors). Cependant, un seul investissement a été fait et il est de 10 millions. De plus, il résulterait du prêt bancaire obtenu par la société belge.
De plus, le groupe Punch Powerglide est dirigé par Guido Dumarey, surnommé le Bernard Tapie belge. Un sulfureux homme d’affaires réputé pour racheter des entreprises en difficulté avant de les fermer et d’empocher différentes aides. Un plan social « généreux » serait moins risqué pour les salariés de l’usine Ford. Néanmoins, d’autres repreneurs potentiels peuvent encore se manifester avant la fermeture définitive prévue courant 2019. (...)
Pour des syndicalistes et a fortiori pour des militants révolutionnaires, il n'est certainement pas juste d'emboucher les mêmes trompettes que Le Maire, Juppé et autres en disant simplement qu'il faut aller plus loin et obliger Ford à vendre à Punch, ou demander à l'Etat de réquisitionner l'usine. L'idée de la réquisition a un intérêt propagandiste, on peut dire que l'Etat "devrait réquisitionner" sans indemnité ni rachat tout en expliquant qu'il ne le fera pas (comme dans les dernières campagnes présidentielles d'Arlette), mais certainement pas laisser croire que l'Etat va vraiment le faire de lui-même ou qu'il suffit de l'en convaincre. Ici, l'argument de la réquisition est mal employé par Poutou. L'Etat ne s'attaquera pas à la propriété privée de Ford, c'est une certitude ! Et faire confiance à Punch, ce serait suicidaire et certainement pas mobilisateur, au contraire, c'est la recherche d'un "sauveur" dont les intérêts ne coïncident pas du tout avec ceux des travailleurs.
Le seul intérêt que je vois à l'existence de la proposition de Punch, c'est de l'utiliser juste comme argument contre Ford pour expliquer que Ford ne veut pas d'une éventuelle solution de reprise et donc, que ça caractérise un préjudice supplémentaire que Ford fait supporter aux travailleurs et qu'il va falloir qu'il le paye.
Là, on voit bien que la CGT, dont Philippe Poutou, organisent des choses - une manif ici, un concert là - mais qu'ils sont déboussolés. Il n'est pas facile de savoir s'il serait vraiment possible de faire mieux, en fonction de l'ambiance dans l'usine telle que la décrit l'article du NPA cité dans un précédent post, qui relève qu'il y a de la division entre travailleurs, ceux qui voudraient partir reprochant à ceux qui luttent pour le maintien de l'usine de leur faire prendre le risque de tout perdre. Mais, peut-être que cette situation de division est précisément le résultat de la façon dont la CGT et Ph. Poutou s'y sont pris pour organiser la lutte.
En fait, ils pensent se battre plus efficacement contre la fermeture de l'usine mais font fausse route. Les mêmes reprocheraient certainement à des militants LO dans d'autres usines (Aulnay...) de procéder autrement, j'ai déjà vu des militants CGT dire qu'en se battant pour "le chèque" les militants de LO avaient la même politique que la CFDT. On est ici au coeur d'une incompréhension qui ne touche pas que des militants CGT-PCF, mais aussi une partie du NPA.
En faisant au maximum participer les travailleurs aux décisions (ce que ne ferait certainement pas la CFDT !), en leur expliquant que PSA avait décidé de fermer et qu'il fallait donc s'organiser pour vendre leur peau le plus cher possible, les militants à Aulnay n'ont absolument pas empêché qu'une éventuelle configuration avec maintien de l'usine puisse se présenter. Mais ils ne se sont pas battus pour cela, pour trouver un repreneur. Et en l'occurrence il n'y en a pas eu, ce qui est totalement indépendant de leurs choix de lutte. L'usine a donc fermé. Mais les travailleurs ont réussi à s'organiser, ont surmonté les divisions qui n'étaient certainement pas moins grandes qu'à Blanquefort au départ (alors même que les grévistes sont restés minoritaires), ont même trouvé le moyen de neutraliser le syndicat pro-patronal SIA en s'adressant à sa base. Ils ont obtenu de meilleures indemnités de départ certes, mais surtout, de nombreux travailleurs ont beaucoup appris et, parmi eux, des militants se sont révélés et sont susceptibles de continuer à militer ou de faire profiter de leur expérience, soit sur les nombreux sites PSA où ils ont pu être mutés (Poissy, Metz, Mulhouse etc.), soit à l'extérieur de PSA pour ceux qui se sont retrouvés au chômage, notamment s'ils ont retrouvé du boulot ailleurs (comme la camarade Agathe Martin que l'on retrouve aujourd'hui à la SNCF). Le mouvement ouvrier en ressort renforcé (toutes proportions gardées...)
En se battant pour le maintien d'une activité industrielle, la CGT de Blanquefort, Poutou inclus, se met à dos une partie des travailleurs, celle qui n'y croit pas. Or, présenter cette partie comme simplement voulant partir avec un chèque ce serait réducteur : il y a effectivement de très bonnes raisons de ne pas croire au Tapie belge, mais cette question ne semble pas effleurer les militants. Ce mode de lutte n'unifie donc pas les travailleurs, au contraire. L'usine risque tout autant de fermer qu'Aulnay, mais à la fin on aura davantage de travailleurs écoeurés et de militants désabusés voire aigris. Le mouvement ouvrier n'en ressortira pas renforcé (toutes proportions gardées...)
Mais bon, ne préjugeons pas trop de la fin, toute l'histoire n'est pas encore écrite.