Belles feuilles

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Belles feuilles

Message par com_71 » 10 Déc 2019, 16:25

Je ne vois pas y figurer la notion d'"étranger". Au contraire : "l'association formera des liens de solidarité... en faisant disparaître conformément au principe de la fraternité les divisions de nationalité". ;)
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Belles feuilles, Trotsky sur Jaurès, Bebel, Guesde...

Message par com_71 » 13 Déc 2019, 11:59

...Jaurès n'était plus. Je visitai le restaurant du "Croissant" où il avait été assassiné. J'aurais voulu retrouver ses traces. Au point de vue politique j'étais éloigné de lui, mais il était impossible de ne pas éprouver l'attraction exercée par cette puissante figure. Le monde spirituel de Jaurès, qui se composait de traditions nationales, d'une métaphysique des principes moraux, d'amour pour les misérables et d'imagination poétique, avait des traits tout aussi nettement aristocratiques que de son aspect moral Bebel apparaissait simplement plébéien. Tous deux, cependant, dépassaient de toute la tête ceux qui ont recueilli leur succession.

J'ai entendu Jaurès dans des meetings à Paris, dans des congrès internationaux, dans des commissions. Et chaque fois, ce fut comme si je l'entendais pour la première fois. Il n'accumulait pas les routines; pour le fond, il ne se répétait jamais; toujours il faisait une nouvelle découverte de lui-même, toujours il mobilisait à nouveau les sources cachées de son inspiration. Doué d'une vigueur imposante, d'une force élémentaire comme celle d'une cascade, il avait aussi une grande douceur qui brillait sur son visage comme le reflet d'une haute culture. Il précipitait des rochers, grondait tel un tonnerre, ébranlait les fondations, mais jamais il ne s'assourdissait lui-même, il se tenait toujours sur ses gardes, il avait l'oreille assez fine, pour saisir la moindre interpellation, pour y répliquer, pour parer aux objections, parfois en termes impitoyables, balayant les résistances comme un ouragan, mais aussi sachant parler avec générosité et douceur, comme un éducateur, comme un frère aîné.

Jaurès et Bebel ont été les antipodes et, en même temps, les sommets de la IIe Internationale. Ils furent profondément nationaux : Jaurès avec son ardente rhétorique latine, Bebel avec sa sécheresse de protestant. Je les ai aimés tous deux, mais différemment. Bebel épuisa ses forces physiques. Jaurès tomba en pleine floraison. Mais tous deux ont disparu en temps opportun. Leur fin marque la limite à laquelle s'est achevée la mission historique, progressiste, de la IIe Internationale.

Le parti socialiste français était dans un état de complète démoralisation. La place de Jaurès ne pouvait être occupée par personne. Vaillant, ancien "antimilitariste", sortait chaque jour des articles imprégnés du plus violent chauvinisme. Je rencontrai par hasard ce vieil homme au comité d'action qui se composait de délégués du parti et des syndicats. Vaillant ressemblait à son ombre: l'ombre du blanquisme avec les traditions des guerres de sans-culottes, à l'époque de Raymond Poincaré. La France d'avant-guerre, où la croissance de la population était trop lente, où le conservatisme dominait dans la vie économique et dans la pensée, semblait être, pour Vaillant, le seul pays de mouvement et de progrès, la nation élue, émancipatrice, la seule au contact de laquelle les autres peuples pourraient s'éveiller à une vie spirituelle. Son socialisme était chauvin, son chauvinisme était messianique.

Jules Guesde, leader de l'aile marxiste, qui s'était dépensé jusqu'au bout dans une longue lutte épuisante contre les fétiches de la démocratie, ne se trouva capable que d'abandonner son autorité morale, jusque-là jamais entachée, devant "l'autel" de la défense nationale. Ce fut un mélange de tout. Marcel Sembat, auteur du livre Faites un roi sinon faites la paix fut un des collègues de Guesde dans le cabinet... Viviani !... Pierre Renaudel se trouva pour un temps "dirigeant" du parti. En fin de compte, il fallait bien mettre quelqu'un à la place de Jaurès. Avec grand effort, Renaudel tâchait, par le geste et les roulements de sa voix, d'imiter le leader assassiné. Longuet se traînait à sa suite, mais non sans quelque gêne qu'il tâchait de faire passer pour de l'esprit de gauche. Par toute sa conduite, il rappelait que Marx n'a pas à répondre pour ses petits-fils. Le syndicalisme officiel, représenté par Jouhaux, secrétaire général de la C.G.T., perdit ses couleurs en vingt-quatre heures. Il avait rejeté "l'étatisme" en temps de paix ; il se mît à genoux devant l'Etat en temps de guerre.

Le bouffon révolutionnaire Hervé, qui, la veille encore, était antimilitariste, retourna sa veste, et, en qualité d'extrême chauvin, resta ce qu'il avait toujours été: un bouffon content de lui-même. Comme pour railler plus brillamment les idées qu'il avait défendues naguère, son journal continuait à s'appeler : La Guerre sociale.

Le tout, pris ensemble, avait l'air d'une mascarade de deuil, d'un carnaval de la mort. Il était impossible de ne pas se dire : non, vraiment, nous sommes plus sérieusement bâtis, nous n'avons pas été surpris par les événements, nous en avions prévu quelque chose, nous prévoyons d'autres choses maintenant et nous sommes prêts à bien des rencontres.

Que de fois n'avons-nous pas fermé les poings lorsque des Renaudel, des Hervé et autres gens de même espèce essayaient à distance de fraterniser avec Karl Liebknecht ! Les quelques éléments d'opposition étaient dispersés, çà et là, dans le parti et les syndicats, mais ils ne donnaient presque pas signe de vie...


https://www.marxists.org/francais/trots ... e/mv21.htm
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Belles feuilles Goethe Faust

Message par com_71 » 13 Déc 2019, 20:57

Le Vieux a écrit "L'homme ne vit pas que de politique..." (Dans les questions du mode de vie).

Alors, une belle feuille de Goethe :

Goethe (Faust, 1ère partie, la nuit ) a écrit :
O sähst du, voller Mondenschein,
Zum letzenmal auf meine Pein,
Den ich so manche Mitternacht
An diesem Pult herangewacht:
Dann über Büchern und Papier,
Trübsel'ger Freund, erschienst du mir !
Ach! könnt ich doch auf Bergeshöhn
In deinem lieben Lichte gehn,
Um Bergeshöhle mit Geistern schweben,
Auf Wiesen in deinem Dämmer weben,
Von allem Wissensqualm entladen,
In deinem Tau gesund mich baden !


traduction de G. de Nerval a écrit :
Astre à la lumière argentée, lune silencieuse daigne pour la dernière fois jeter un regard sur ma peine !... j’ai si souvent, la nuit, veillé près de ce pupitre ! C’est alors que tu m’apparaissais sur un amas de livres et de papiers, mélancolique amie ! Ah ! que ne puis-je, à ta douce clarté, gravir les hautes montagnes, errer dans les cavernes avec les esprits, danser sur le gazon pâle des prairies, oublier toutes les misères de la science, et me baigner rajeuni dans la fraîcheur de ta rosée !


Parmi les éditions de la traduction de G. de Nerval consultable sur Gallica, la magnifique édition illustrée par F. L. Schmied :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... f237.image
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Re: Belles feuilles, Blanqui : la comédie des programmes

Message par com_71 » 16 Déc 2019, 10:22

« Allons-nous revoir les scènes de Février [1848] ? – Non, non », répondent en chœur les fripons et les dupes. La leçon a porté ses fruits : le peuple voit clair ; il a maintenant des formules, des programmes, phares des prochaines tempêtes, feux sauveurs qui le conduisent au port.

Dites plutôt feux follets de perdition qui vont le rejeter sur les brisants. Parlons-en un peu, de ces recettes, de ces panacées qui s'étalent dans les colonnes de la presse, grande et petite ! Parlons un peu du gouvernement du peuple par le peuple et de toutes ces balivernes, fantaisies de la parade que le pauvre travailleur prend au sérieux et dont les acteurs pouffent de rire dans la coulisse. À l'indifférence et au dédain qui accueillent ces beaux chefs-d'œuvre chez nos seigneurs et maîtres, si jaloux de leurs privilèges, si ombrageux pour leur domination, comment le prolétaire ne voit-il pas que ces prétendus évangiles ne sont que des prospectus de charlatans ? Des programmes ? A-t-on perdu si vite la mémoire des harangues de MM. Ledru-Rollin et Louis Blanc avant Février ? Est-ce que dans les banquets de Lille, Dijon, Chalons, les journaux n'avaient pas formulé, par la bouche de ces tribuns, le Code magnifique de l'Égalité que devait inaugurer le lendemain de la Révolution ?

Que sont devenus ces solennels engagements ?

********************************************************

On ignore la comédie des programmes ; voici comment elle se joue : En montant à l'Hôtel de Ville, on les jette au coin de la borne ; et le jour où l'on redescend les escaliers sous les coups de pied du royalisme, la botte du royalisme dans les reins, on ramasse dans le ruisseau ces lambeaux souillés ; on les essuie, on les défripe, on les retape, on les rajuste, on les promène à grand orchestre devant la foule ébahie. Qu'importe à la réaction ? Elle connaît trop la valeur de ces chiffons de papier pour en prendre souci. Elle sait d'où ils viennent et où ils retournent à un moment donné. Elle laisse tranquillement les saltimbanques en faire étalage sur les champs de foire pour la mystification des badauds.

Mais qu'un homme sincère, laissant là ce mirage fantastique des programmes, ces brouillards du royaume d'Utopie, sorte du roman pour rentrer dans la réalité, qu'il prononce une parole sérieuse et pratique : « Désarmer la bourgeoisie, armer le peuple,c'est la première nécessité, le seul gage de salut de la révolution. »

Oh ! alors l'indifférence s'évanouit ; un long hurlement de fureur retentit d'un bout de la France à l'autre. On crie au sacrilège, au parricide, à l'hydrophobe. On ameute, on déchaîne les colères sur cet homme, on le voue aux dieux infernaux pour avoir épelé modestement les premiers mots du sens commun.

Eh quoi ! A-t-on oublié le drame de Juin ? A-t-on oublié Paris fouillé tout entier de la cave au grenier, Paris désarmé, garrotté, bâillonné, frémissant, se tordant sous l'outrage que lui avaient épargné les hordes étrangères, maîtresses de ses murs ! Quoi ! une once de poudre, la poignée d'un sabre, la crosse d'un pistolet trouvées dans la pauvre mansarde d'un ouvrier, envoient ce malheureux pourrir au fond des cachots !

Et, victorieux, vous hésitez ! Vous reculez devant le désarmement d'une caste implacable qui ne procède avec le peuple que par extermination ! Le prestige de sa longue puissance vous en impose, et le souvenir de ses violences assure son inviolabilité. Allez, race d'esclaves, qui n'osez lever les yeux ni la main sur vos tyrans ! Rebelles d'un jour, repentants et prosternés le lendemain, restez accroupis dans votre misère et votre servitude! Ne tentez pas de briser vos chaînes ! Il vous faudrait les ressouder de vos propres mains. Ne faites plus de révolutions pour vous sauver du moins la honte d'en demander pardon à genoux.


https://www.marxists.org/francais/blanq ... propos.htm
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Belles feuilles, Engels sur la tombe de Marx

Message par com_71 » 27 Déc 2019, 16:28

FE, 13 mars 1883 a écrit :Discours sur la tombe de Karl Marx

Le 14 mars, à trois heures moins un quart de l'après-midi, le plus grand des penseurs vivants a cessé de penser. Laissé seul deux minutes à peine, nous l'avons retrouvé, en entrant, paisiblement endormi dans son fauteuil, mais pour toujours.

Ce qu'a perdu le prolétariat militant d'Europe et d'Amérique, ce qu'a perdu la science historique en cet homme, on ne saurait le mesurer. Le vide laissé par la mort de ce titan ne tardera pas à se faire sentir.

De même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, de même Marx a découvert la loi du développement de l'histoire humaine, c'est-à-dire ce fait élémentaire voilé auparavant sous un fatras idéologique que les hommes, avant de pouvoir s'occuper de politique, de science, d'art, de religion, etc., doivent tout d'abord manger, boire, se loger et se vêtir : que, par suite, la production des moyens matériels élémentaires d'existence et, partant, chaque degré de développement économique d'un peuple ou d'une époque forment la base d'où se sont développés les institutions d'Etat, les conceptions juridiques, l'art et même les idées religieuses des hommes en question et que, par conséquent, c'est en partant de cette base qu'il faut les expliquer et non inversement comme on le faisait jusqu'à présent.

Mais ce n'est pas tout. Marx a également découvert la loi particulière du mouvement du mode de production capitaliste actuel et de la société bourgeoise qui en est issue. La découverte de la plus-value a, du coup, fait ici la lumière, alors que toutes les recherches antérieures aussi bien des économistes bourgeois que des critiques socialistes s'étaient perdues dans les ténèbres.

Deux découvertes de ce genre devraient suffire pour une vie entière. Heureux déjà celui auquel il est donné d'en faire une seule semblable ! Mais dans chaque domaine que Marx a soumis à ses recherches (et ces domaines sont très nombreux et pas un seul ne fut l'objet d'études superficielles), même dans celui des mathématiques, il a fait des découvertes originales.

Tel fut l'homme de science. Mais, ce n'était point là, chez lui, l'essentiel de son activité. La science était pour Marx une force qui actionnait l'histoire, une force révolutionnaire. Si pure que fut la joie qu'il pouvait avoir à une découverte dans une science théorique quelconque dont il est peut-être impossible d'envisager l'application pratique, sa joie était tout autre lorsqu'il s'agissait d'une découverte d'une portée révolutionnaire immédiate pour l'industrie ou, en général, pour le développement historique. Ainsi Marx suivait très attentivement le progrès des découvertes dans le domaine de l'électricité et, tout dernièrement encore, les travaux de Marcel Deprez.

Car Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d'une façon ou d'une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d'Etat qu'elle a créées, collaborer à l'affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément. Et il a lutté avec une passion, une opiniâtreté et un succès rares. Collaboration à la première Gazette rhénane en 1842, au Vorwärts de Paris en 1844,48 à la Deutsche Zeitung de Bruxelles en 1847, à la Nouvelle Gazette rhénane en 1848-1849, à la New York Tribune de 1852 à 1861, en outre, publication d'une foule de brochures de combat, travail à Paris, Bruxelles et Londres jusqu'à la constitution de la grande Association internationale des travailleurs, couronnement de toute son œuvre, voilà des résultats dont l'auteur aurait pu être fier, même s'il n'avait rien fait d'autre.

Voilà pourquoi Marx a été l'homme le plus exécré et le plus calomnié de son temps. Gouvernements, absolus aussi bien que républicains, l'expulsèrent ; bourgeois conservateurs et démocrates extrémistes le couvraient à qui mieux mieux de calomnies et de malédictions. Il écartait tout cela de son chemin comme des toiles d'araignée, sans y faire aucune attention et il ne répondait qu'en cas de nécessité extrême. Il est mort, vénéré, aimé et pleuré par des millions de militants révolutionnaires du monde entier, dispersés à travers l'Europe, et l'Amérique, depuis les mines de la Sibérie jusqu'en Californie.

Et, je puis le dire hardiment : il pouvait voir encore plus d'un adversaire, mais il n'avait guère d'ennemi personnel.

Son nom vivra à travers les siècles et son œuvre aussi !
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Belles feuilles Brecht, Mère Courage Tableau 4

Message par com_71 » 29 Déc 2019, 14:54

Devant une tente d’officier.
Mère Courage attend. Un secrétaire regarde hors de la tente.


Le secrétaire : Je vous connais. Vous aviez chez vous un trésorier des protestants qui se cachait. Vaudrait mieux ne pas vous plaindre.
Mère Courage : Si, je me plains. Je suis innocente, et si je laisse faire, ça sera comme si j’avais mauvaise cons­cience. Ils m’ont tout déchiré à coups de sabre dans la carriole et exigé cinq thalers d’amende pour trois fois rien.
Le secrétaire : Pour votre bien, je vous conseille de la fermer. On n’a pas beaucoup de cantinières et on vous laisse votre commerce, surtout si vous avez mauvaise conscience et si vous payez de temps en temps une amende.
Mère Courage : Je me plains.
Le secrétaire : Comme vous voulez. Alors attendez que le capitaine ait le temps.
Il rentre sous la tente.
Un jeune soldat arrive en faisant du vacarme : Bouque la Madonne ! Où est ce damné chien de capitaine, qui me pique les pourboires pour les dépenser en boisson avec ses garces ? Il faut le foutre en l’air !
Un soldat plus âgé arrive en courant : Ferme-la. On va te mettre aux fers !
Le jeune soldat : Sors de là, voleur ! Je vais te frotter les côtelettes ! Piquer la prime, après que j’ai nagé dans le fleuve, le seul de toute la compagnie, résultat, je ne peux même pas me payer une bière, je ne me laisserai pas marcher sur les pieds. Sors de là, que je te coupe en morceaux !
Le soldat plus âgé : Marie Joseph, ça va mal tourner.
Mère Courage : Ils ne lui ont pas payé de pourboire ?
Le jeune soldat : Lâche-moi, je vais te nettoyer toi aussi, ça va être la grande lessive.
Le soldat plus âgé : Il a sauvé le canasson du colonel et pas reçu de pourboire. Il est encore jeune et il y a pas assez longtemps qu’il est dans le coup.
Mère Courage : Lâche-le, ce n’est pas un chien qu’il faut mettre à la chaîne. Vouloir du pourboire, c’est tout à fait raisonnable. Sans ça, pourquoi il se distinguerait ?
Le jeune soldat : Pour que lui il se saoule là-dedans ! Vous êtes que des enfoirés. J’ai fait quelque chose de spécial et je veux mon pourboire.
Mère Courage : Jeune homme, ce n’est pas moi qu’il faut engueuler. J’ai mes propres soucis, et surtout ménagez votre voix jusqu’à ce que le capitaine arrive, vous pourriez en avoir besoin, après il est là, et vous êtes enroué et vous arrivez pas à sortir un son, et il ne peut pas vous faire mettre aux fers jusqu’à ce que vous deveniez tout bleu. Ceux qui gueulent comme ça le font pas longtemps, une demi-heure, et il n’y a plus qu’à chanter pour qu’ils dorment, tellement ils sont épuisés.
Le jeune soldat : Je ne suis pas épuisé, et pas question de dormir, j’ai faim. Ils font le pain avec des glands et du chènevis, et sur ça ils économisent encore. Lui, mon pour­boire, il le dépense en putains, et moi j’ai faim. Il faut le foutre en l’air.
Mère Courage : Vous avez faim, je comprends. L’année dernière, votre grand capitaine vous a fait quitter les routes et aller à travers les champs, pour que le blé soit piétiné, j’aurais pu tirer dix florins de la paire de bottes, si quelqu’un avait pu dépenser dix florins, et si moi j’avais eu des bottes. Il croyait qu’il ne serait plus dans le coin cette année, mais voilà pourtant qu’il est encore là, et la famine est grande. Je comprends que vous fassiez une colère.
Le jeune soldat : Je n’admets pas ça, taisez-vous, je ne supporte pas l’injustice.
Mère Courage : Là, vous avez raison, mais pendant combien de temps ? Pendant combien de temps vous ne supportez pas l’injustice ? Une heure ou deux ? Vous voyez, ça, vous ne vous l’êtes pas demandé, alors que c’est le principal, pourquoi, parce que dans les fers ça sera une misère si vous découvrez que vous supportez tout d’un coup l’injustice.
Le jeune soldat : Je ne sais pas pourquoi je vous écoute. Bouque la Madonne ! Où est le capitaine ?
Mère Courage : Vous m’écoutez parce que ce que je vous dis, vous le savez déjà, que votre colère est déjà tombée, c’était rien qu’une colère courte, et il vous en fallait une longue, mais d’où qu’elle viendrait ?
Le jeune soldat : Est-ce que vous voulez dire que quand j’exige le pourboire c’est pas juste ?
Mère Courage : Au contraire. Je dis seulement que votre colère n’est pas assez longue, vous n’arrivez à rien avec elle, dommage. Si vous aviez une colère longue, j’irais jusqu’à vous échauffer. Coupez ce chien en morceaux, c’est ce que je vous conseillerais, mais qu’est-ce qui se passera si vous ne le coupez pas en morceaux, parce que vous sentez déjà que vous avez la queue basse ? Alors je me retrouve là, et le capitaine s’en prend à moi.
Le soldat plus âgé : Vous avez tout à fait raison, il a qu’une lubie.
Le jeune soldat : Bon, je vais bien voir si je le coupe pas en morceaux. (Il tire son épée.) S’il arrive, je le coupe en morceaux.
Le secrétaire jette un coup d’œil au dehors : Le capi­taine arrive tout de suite. Assis.
Le jeune soldat s’assoit.
Mère Courage : Il est déjà assis. Vous voyez, qu’est-ce que je disais. Vous êtes déjà assis. Oui, ils s’y connaissent pour ce qui est de nous, et ils savent comment manœuvrer. Assis ! et nous voilà assis. Et quand on est assis, il n’y a pas de révolte. Ne vous relevez pas, ça vaut mieux, vous né vous tiendrez plus comme vous vous teniez avant. Il ne faut pas vous gêner devant moi, je ne vaux pas mieux, pour ça non. Toute notre énergie, ils nous l’ont achetée. Pourquoi, parce que si je bronchais, ça pourrait contrarier le commerce. Je vais vous dire quelque chose de la grande capitulation.
Elle chante la « Chanson de la grande capitulation » :
[...]
Au jeune soldat : C’est pour ça que je pense que tu devrais rester là l’épée toute prête, si tu en as vraiment envie, et si ta colère est assez grande, car tu as un bon fond, je le reconnais, mais si ta colère est une colère courte, pars tout de suite, ça vaut mieux !
Le jeune soldat : Va te faire foutre !
Il s’en va en trébuchant, suivi par le soldat plus âgé.
Le secrétaire sort la tête : Le capitaine est arrivé. Maintenant vous pouvez vous plaindre.
Mère Courage : J’ai changé d’avis. Je ne me plains pas.
Elle sort.


En allemand, le tableau 4. La « Chanson de la grande capitulation » à 4'30".
https://www.youtube.com/watch?v=FEHtmHEawEM

Et tant qu'à faire on peut rester sur le chant qui suit : Le chant de Mutter Courage (B. Brecht, Paul Dessau) chanté par Sonja Kehler.
https://www.youtube.com/watch?v=PnnDzlBVh2Q
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Re: Belles feuilles

Message par Gayraud de Mazars » 21 Jan 2020, 18:03

Salut camarades,

En hommage à VLADIMIR ILITCH LÉNINE (mort le 21 janvier 1924, date anniversaire) par Maïakovski (1924)

— Hier, à six heures cinquante minutes
est mort le camarade Lénine. —

Cette année a vu ce que ne verront pas cent.
Ce jour entrera dans la morne légende des siècles.

L’horreur fit sortir un râle du fer.
Sur les bolchéviks roula une vague de sanglots.
Terrible, ce poids !
On se tramait comme une masse au-dehors.
Savoir — comment et quand ? Que tout soit dit !

Dans les rues, dans les ruelles, comme un corbillard vogue
le Grand Théâtre.

La joie est un escargot rampant.
Le malheur, un coursier sauvage.
Ni soleil, ni éclat de glace,
tout, à travers le tamis des journaux,
est saupoudré d’une neige noire.
La nouvelle assaille l’ouvrier devant son tour.
Une balle dans l’esprit.
Et c’est comme si l’on avait renversé
un verre de larmes sur l’outil.
Et le moujik qui en a vu de toutes sortes,
qui a, plus d’une fois, regardé la mort dans les yeux,
se détourne des femmes, mais se trahit
par les traînées noires essuyées du poing.
Il y avait des hommes — du silex, ceux-là mêmes
se mordaient la lèvre, à la percer.
Les enfants étaient pris d’un sérieux de vieux,
et les vieux pleuraient comme des enfants.
Le vent pour toute la terre hurlait l’insomnie,
et ne pouvait, se levant, relevant, penser jusqu’au bout
que voilà, dans le gel d’une petite chambre de Moscou,
il y a le cercueil du père et du fils de la révolution.
La fin, la fin, la fin.
Il faut y croire !

Une vitre — et vous voyez en dessous…
C’est lui que l’on porte du Paveletzki [1]
par la ville qu’il a prise aux patrons.

La rue — on dirait une plaie ouverte,
tant elle fait mal, et tant elle gémit…
Ici chaque pierre connaît Lénine,
piétinée par les premières attaques d’octobre.

Ici tout ce que chaque drapeau a brodé,
a été entrepris et ordonné par lui.
Ici chaque tour a entendu Lénine,
et l’aurait suivi à travers feu et fumée.
Ici Lénine est connu de chaque ouvrier —
étalez les cœurs, comme des branches de sapin. [2]
Il menait au combat, annonçait les conquêtes,
et voilà le prolétaire maître de tout.

— Ici, chaque paysan a inscrit
dans son cœur le nom de Lénine
plus tendrement qu’aux calendes des saints.
Il ordonna d’appeler leurs, les terres
dont rêvent au tombeau les grands-pères morts sous le knout.

Et les Communards — ceux de la Place Rouge —
semblaient murmurer :
« Toi, que nous aimons !
Vis, et nous n’avons besoin d’un destin plus beau —
cent fois nous irons à l’attaque prêts à mourir ! »
Si à présent sonnaient les mots d’un faiseur de miracles :
« Pour qu’il se lève — mourez ! » —
l’écluse des rues s’ouvrirait largement,
et les hommes se jetteraient dans la mort en chantant.

Mais il n’y a pas de miracles,
inutile de rêver.
Il y a Lénine,
le cercueil,
les épaules qui se voûtent.
C’était un homme,
jusqu’à la fin humaine —
supporte ce supplice de la peine des hommes
Jamais un fret plus précieux n’a été porté par nos océans,
que ce cercueil rouge voguant vers la Maison des Unions [3],
sur le dos des sanglots et des marches.
Encore montaient la garde d’honneur
les hommes sévères de la trempe de Lénine,
que la foule déjà attendait, imprimée
sur toute la longueur des Tverskaia [4] et Dimitrovka.[5]
En l’an dix-sept, soi-même sa fille dans la file
pour le pain l’aurait-on envoyée — on mangera demain !

Mais dans cette glaciale et terrible queue,
tous s’alignaient avec enfants et malades.
Les villages se rangeaient à côté des villes.
La douleur tintait, enfantine ou virile.
La terre du travail défilait en revue,
bilan vivant de la vie de Lénine.
Le soleil jaune, louchant tendrement,
se lève, et jette les rayons à ses pieds.
Comme traqués, pleurant l’espoir,
penchés de douleur défilent les Chinois.
Les nuits venaient sur le dos des jours,
confondant les heures, mélangeant les dates.
Comme si ce n’étaient ni les nuits, ni les étoiles au-dessus,
mais pleurant sur Lénine les noirs des États-Unis.
Un froid jamais vu cuisait les semelles,
mais les gens séjournaient dans une presse serrée.
On n’ose même pas battre des mains,
pour échapper au froid — ce n’est pas de mise.
Le froid attrape et traîne, tout comme s’il
voulait éprouver la trempe de l’amour.
Il rentre de force dans les foules.
Empêtré dans la presse,
pénètre le monde derrière les colonnes. [6]
Les marches grandissent [7], deviennent des récifs.
Mais voilà que s’arrêtent le chant et le souffle,
et on n’ose faire un pas — sous le pied, c’est le gouffre,
c’est le bord tranchant d’un gouffre de quatre marches.
Tranchant l’esclavage de cent générations,
où l’on ne connaît que de l’or la sonnante raison.
Le bord du gouffre — le cercueil de Lénine,
sur tout l’horizon, la commune.
Que verra-t-on ?
Rien que son front,
et Nadejda Konstantinovna,
dans une brume, derrière…

Peut-être des yeux sans larmes en verraient-ils plus.
Ce n’est pas de ces yeux que je regardais.
La soie des drapeaux flottants s’incline,
rendant les derniers honneurs :
« Adieu, camarade, tu l’as terminé,
ton chemin honnête et vaillant. »
L’horreur
Ferme les yeux, ne regarde pas,
comme si tu marchais sur un fil de soie.
Comme si un instant tu étais
seul à seul avec une immense et unique vérité.

Je suis heureux.
L’eau sonore de la marche
emporte mon corps sans poids.
Je sais, désormais pour toujours
vivra en moi cet instant.
Heureux d’être une parcelle de cette force
qui a en commun même les larmes des yeux.

Plus forte, plus pure, ne peut être la communion
dans l’immense sentiment nommé classe !

Et la mort d’Ilitch elle-même
devint un grand organisateur-Communiste.
Déjà au-dessus des troncs d’une forêt monstrueuse,
des millions de mains tenant sa hampe,
la Place Rouge —
drapeau rouge, monte,
s’arrachant d’une terrible saccade.
De ce drapeau, de chacun de ses plis,
vient, à nouveau vivant, l’appel de Lénine :

— En rangs, prolétaires, pour le dernier corps à corps !
Esclaves, redressez vos genoux pliés !
Armée des prolétaires, dans l’ordre, avance !
Vive la révolution, joyeuse et rapide !
Ceci est la seule et unique grande guerre,
de toutes celles que l’histoire ait connues.

1 Le corps de Lénine a été transporté de Gorki à son domicile, à Moscou, et arriva à la gare Paveletzki.
2 On étale des branches de sapin en dessous des fenêtres des malades et des morts.
3 Maison des Unions. Maison des Unions des Syndicats (autrefois « Réunion des Nobles », où se trouve une immense salle entourée de colonnes blanches. C’est là qu’était exposé le corps de Lénine.
4 Tverskaia et une des rues principales de Moscou
5 Dimitrovka rue au coin de laquelle se trouve la Maison des Unions.
6 Les colonnes de la salle dans la Maison des Unions.
7 Pour pénétrer au centre de la salle, il faut descendre quatre marches.


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Gayraud de Mazars
 
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Belles feuilles : Pour un art révolutionnaire indépendant

Message par com_71 » 02 Mars 2020, 01:39

L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Belles feuilles Marcel Martinet, Tu vas te battre

Message par com_71 » 18 Mai 2020, 17:54

Tu vas te battre.

Quittant
L´atelier, le bureau, le chantier, l´usine,

Quittant, paysan,
La charrue, soc en l´air, dans le sillon,
La moisson sur pied, les grappes sur les ceps,
Et les bœufs vers toi beuglant du fond du pré,

Employé, quittant les madames,
Leurs gants, leurs flacons, leurs jupons,
Leurs insolences, leurs belles façons,
Quittant ton si charmant sourire,

Mineur, quittant la mine
Où tu craches tes poumons
En noire salive,

Verrier, quittant la fournaise
Qui guettait tes yeux fous,

Et toi, soldat, quittant la caserne, soldat,
Et la cour bête où l´on paresse,
Et la vie bête où l´on apprend
À bien oublier son métier,
Quittant la rue des bastringues,
La cantine et les fillasses,
Tu vas te battre.

Tu vas te battre ?
Tu quittes ta livrée, tu quittes ta misère,
Tu quittes l´outil complice du maître ?
Tu vas te battre ?

Contre ce beau fils ton bourgeois
Qui vient te voir dans ton terrier,
Garçon de charrue, métayer,
Et qui te donne des conseils
En faisant à son rejeton
Un petit cours de charité ?
Contre le monsieur et la dame
Qui payait ton charmant sourire
De vendeur à cent francs par mois
En payant les robes soldées
Qu´on fabrique dans les mansardes ?

Contre l´actionnaire de mines
Et contre le patron verrier ?

Contre le jeune homme en smoking
Né pour insulter les garçons
Des cabinets particuliers
Et se saouler avec tes filles,
En buvant ton vin, vigneron,
Dans ton verre, ouvrier verrier ?

Contre ceux qui dans leurs casernes
Te dressèrent à protéger
Leurs peaux et leurs propriétés
Des maigres ombres de révolte
Que dans la mine ou l´atelier
Ou le chantier auraient tentées
Tes frères, tes frères, ouvrier ?

Pauvre, tu vas te battre ?
Contre les riches, contre les maîtres,
Contre ceux qui mangent ta part,
Contre ceux qui mangent ta vie,
Contre les bien nourris qui mangent
La part et la vie de tes fils,
Contre ceux qui ont des autos,
Et des larbins et des châteaux,
Des autos de leur boue éclaboussant ta blouse,
Des châteaux qu´à travers leurs grilles tu admires,
Des larbins ricanant devant ton bourgeron,
Tu vas te battre pour ton pain,
Pour ta pensée et pour ton cœur,
Pour tes petits, pour leur maman,
Contre ceux qui t´ont dépouillé
Et contre ceux qui t´ont raillé
Et contre ceux qui t´ont souillé
De leur pitié, de leur injure,
Pauvre courbé, pauvre déchu,
Pauvre insurgé, tu vas te battre
Contre ceux qui t´ont fait une âme de misère,
Ce cœur de résigné et ce cœur de vaincu… ?

Pauvre, paysan, ouvrier,

Avec ceux qui t´ont fait une âme de misère,
Avec le riche, avec le maître,
Avec ceux qui t´ayant fusillé dans tes grèves
T´ont rationné ton salaire,

Pour ceux qui t´ont construit autour de leurs usines
Des temples et des assommoirs
Et qui ont fait pleurer devant le buffet vide
Ta femme et vos petits sans pain,

Pour que ceux qui t´ont fait une âme de misère
Restent seuls à vivre de toi
Et pour que leurs grands cœurs ne soient point assombris

Par les larmes de leur patrie,

Pour te bien enivrer de l´oubli de toi-même,
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec le riche, avec le maître,
Contre les dépouillés, contre les asservis,
Contre ton frère, contre toi-même,
Tu vas te battre, tu vas te battre !

Va donc !

Dans vos congrès vous vous serriez les mains,
Camarades. Un seul sang coulait dans un seul corps.
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous étiez là ; le peuple entier des travailleurs
Était là ; le vieux monde oppresseur et barbare
Sentant déjà sur soi peser vos mains unies,
Frémissait, entendant obscurément monter
Sous ses iniquités et sous ses tyrannies
Les voix de la justice et de la liberté,
Hier.

Constructeurs de cités, âmes libres et fières,
Cœurs francs, vous étiez là, frères d´armes, debout,
Et confondus devant un ennemi commun,
Hier.

Et aujourd´hui ? Aujourd´hui comme hier

Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous êtes là ; le peuple entier des travailleurs
Est là. Il est bien là, le peuple des esclaves,
Le peuple des hâbleurs et des frères parjures.

Ces mains que tu serrais,
Elles tiennent bien des fusils,
Des lances, des sabres,
Elles manœuvrent des canons,
Des obusiers, des mitrailleuses,
Contre toi ;
Et toi, toi aussi, tu as des mitrailleuses,
Toi aussi tu as un bon fusil,
Contre ton frère.

Travaille, travailleur.
Fondeur du Creusot, devant toi
Il y a un fondeur d´Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi
Il y a un docker de Brême,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur.

Oh ! Regarde tes mains.

Ô pauvre, ouvrier, paysan,
Regarde tes lourdes mains noires,
De tous tes yeux, usés, rougis,
Regarde tes filles, leurs joues blêmes,
Regarde tes fils, leurs bras maigres,
Regarde leurs cœurs avilis,
Et ta vieille compagne, regarde son visage,
Celui de vos vingt ans,
Et son corps misérable et son âme flétrie,
Et ceci encor, devant toi,
Regarde la fosse commune,
Tes compagnons, tes père et mère…

Et maintenant, et maintenant,
Va te battre.

Le 30 juillet 1914


https://www.marxists.org/francais/gener ... rtinet.htm
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Belles feuilles

Message par Byrrh » 18 Mai 2020, 22:29

Employé, quittant les madames,
Leurs gants, leurs flacons, leurs jupons,
Leurs insolences, leurs belles façons,
Quittant ton si charmant sourire,

Une vision un peu restrictive ou datée de "l'employé"... ;) Mais ce qui est sûr, c'est qu'on doit se subir encore pas mal de parasites et de précieuses ridicules... Je bosse dans une fac comme administratif catégorie C ; je redoute le 25 mai, où il va me falloir de nouveau me coltiner toute la petite-bourgeoisie universitaire de Nancy... La nausée me vient rien qu'à cette idée...
Byrrh
 
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