Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 12:20

Arrivée à Moscou, Lénine, convalescent après l'attentat dont il avait été victime, lui demande de venir le voir. Angelica en profite pour réfléchir encore sur les méthodes des bolchéviks.
Lénine se rendait parfaitement compte que la défense du système soviétique dépendait en grande partie de la résistance à l’intervention et du développement de la conscience révolutionnaire chez les ouvriers du reste du monde. L’histoire des vingt années suivantes allait montrer à quel point il avait raison. Bien des abus et des déviations du régime soviétique, en cette première période, s’expliquent par le fait que la Révolution apparut dans un pays économiquement sous-développé, et qu’elle échoua par la suite à s’assurer l’appui de ses alliés de classe des pays avancés.

Les masses russes furent ainsi contraintes à se consacrer entièrement à la défense plutôt qu’à la reconstruction à; leur organisation sociale. L’implacabilité des méthodes bolcheviks-qui jouèrent à leur tour comme facteur de démoralisation et d’aliénation du mouvement révolutionnaire mondial, accrurent encore cet isolement et aboutirent à une nouvelle vague d’abus e: de répression, au triomphe du nationalisme russe en même temps qu’à la soumission à des alliances militaires et diplomatiques susceptibles de lui assurer protection et soutien. L’ironie de l’histoire allait s’exprimer dans ce cercle vicieux.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 12:26

Je fais des retour-paragraphe ou je saute souvent une ligne pour aérer. C'est moi qui scanne, j'fais c'que j'veux.
Donc, on disait quoi? Ah oui! Elle arrive dans la campagne, pour voir Lénine:
Lorsque nous arrivâmes, Lénine était assis au soleil, sir son balcon. De le voir et de songer combien il avait frôlé la mort ce près, je me sentis bouleversée et je l’étreignis sans pouvoir dire vm mot. Kroupskaïa était là, plus maigre et fatiguée que lorsque e l’avais vue pour la dernière fois. Apparemment, l’épreuve de ces derniers mois l’avait encore plus marquée que son mari.

Ça discute situation internationale, que dit-on de la Russie révolutionnaire? Qu'en pensent les masses? etc. puis on arrive à la fin de l'entretien:
Et c’est seulement lorsque arriva pour moi l’heure de partir, que Lénine fit une allusion à ce qui lui était arrivé et à la terreur qui avait suivi. Dès qu’on commença à parler de Dora Kaplan, la jeune femme qui lui avait tiré dessus et qu’on avait exécutée, Kroupskaïa devint extrêmement nerveuse. Je vis qu’elle était profondément affectée à l’idée qu’un pouvoir révolutionnaire pouvait condamner à mort d’autres révolutionnaires. […]

Plus tard, comme je lui donnais mon sentiment sur l’exécution d’un groupe de Mencheviks accusés de propagande contre-révolutionnaire, Lénine me répondit : « Ne comprenez-vous pas que si nous hésitons à fusiller ces quelques dirigeants nous nous retrouverons bientôt dans une situation où nous serons obligés de fusiller dix mille ouvriers ? » Le ton n’était ni cruel, ni indifférent; il exprimait une tragique nécessité qui m’impressionna alors profondément.

Et finalement, bin, Lénine l'invite à rester diner.
Moi, déjà, vous, gens du forum qui lisez, pour vous, ch'ais pas, mais moi j'ai jamais vu Lénine. Et a fortiori j'ai jamais partagé un repas avec lui. Ça m'aurait intéressé, pourtant.
Lorsque la voiture arriva pour me ramener à Moscou, Lénine la renvoya et insista pour que je reste jusqu’au soir. Le dîner en disait long sur la pénurie actuelle, mais Lénine insista pour que nous partagions les rations spéciales qu’on lui avait octroyées pour sa convalescence.

« Voyez, me dit-il. Ce pain m’a été envoyé de Jaraslow, ce sucre par les camarades d’Ukraine. Et la viande aussi. Ils veulent que je mange de la viande pendant ma convalescence. » On aurait cru qu’on lui avait demandé une chose extravagante.

J’avais apporté avec moi une partie du fromage et du lait condensé – jusqu’à une chère tablette de chocolat – que j’avais rapportés de Suède, mais lorsque je voulus les lui laisser, il m’obligea à reprendre presque tout pour le donner aux camarades de Moscou.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 12:28

Elle repart en Suisse, histoire de revoir ses amis socialistes italiens. Mais elle est illico expulsée. Ironie : elle part de Berne le jour de l'armistice.
Retour en Russie. Ça sent la IIIe Internationale, ça...
Excuses: des amis arrivent - faut que je fasse du café.
Cyrano
 
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Kéox2 » 17 Oct 2020, 13:26

Nooonnn, Cyrano joue avec nos nerfs... En tout cas, Lénine toujours au top. Y-a-t-il aussi un épisode où elle rencontre Trotsky ?
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 22:40

Bon, oui, c'était pas prévu, les amis, puis les petits-enfants, bref, la p'tite vie des retraités.
De retour à Moscou, elle doit se loger. On la conduisit dans une maison bourgeoise. Mais notre Angelica est une romantique:
Je décidai de partir sans attendre. Quelques jours plus tard, je pris une chambre à l’Hôtel National, alors réservé aux membres du gouvernement et aux responsables des Soviets. J’étais rentrée à Moscou, préparée à l’idée de vivre sinon comme le Russe moyen, du moins comme le plus humble membre du Parti. Il me semblait en effet logique que ceux qui avaient conduit ou préparé la Révolution, et qui étaient de ce fait en grande partie responsables des souffrances et de la désorganisation qu’impliquaient nécessairement la phase de transition actuelle, dussent non seulement souffrir des mêmes incommodités que les masses, mais encore consentir à des sacrifices bien plus grands que ceux qui les avaient soutenus.

Nous profitions, nous, de compensations intellectuelles et spirituelles interdites au citoyen moyen : la joie de travailler pour la réalisation de nos idéaux, la certitude que ces souffrances ne seraient que passagères et qu’elles seraient rachetées par l’établissement de la paix et le règne de l’abondance. Je comprenais parfaitement que des privations qui me semblaient anodines, au regard de nos espérances, pussent paraître insupportables à ceux qui ne possédaient pas une telle foi. Aussi éprouvais-je, jusque dans ma confortable chambre du National, un sentiment de honte à la pensée des hommes et des femmes – ouvriers et intellectuels – qui étaient obligés d’attendre des mois, passés en prières, supplications et intrigues, avant d’obtenir un quelconque abri.

[… ] Quand je songeais aux femmes qui, après avoir travaillé toute la journée dans des usines glaciales, rentraient dans leurs pièces non chauffées pour s’asseoir devant un morceau de pain noir, j’avais du mal à apprécier moi-même mes repas. Et quand, assise dans l’automobile de l’ex-tsar, je voyais ces mêmes femmes revenir da travail à pied parce que les tramways étaient bondés et passaient trop irrégulièrement, je me disais qu’en ce qui concernait les facilités matérielles il y avait autant de distance entre elles et moi qu’entre les Russes d’avant la Révolution et le tsar.

Je lus un jour dans un journal social-démocrate allemand que Lénine, Tchitchérine, Boukharine et Balabanoff étaient les seuls dirigeants russes à vivre comme des citoyens ordinaires. Je pourrais ajouter d’autres noms à la liste. Je sais que la famille Trotsky (et lui-même lorsqu’il n’était pas au front) partageait les privations communes. De nombreux révolutionnaires enduraient héroïquement des sacrifices qu’ils s’imposaient à eux-mêmes. Et les rares privilèges dont ils jouissaient correspondaient eux aussi au désir des masses. […]

Je m’aperçus bientôt qu’il existait chez les masses un sentiment de reconnaissance instinctif pour ces intellectuels qui n’avaient pas abandonné les ouvriers lorsque la Révolution avait pris un caractère prolétarien ; et dans la conscience de classe de l’avant-garde ouvrière, la préservation de sa direction constituait un acte d’autodéfense.

Mais ça n'empêche pas les masses d'avoir des préférences:
A l’époque, on ne vouait pas encore à la direction ce fétichisme qui s’est développé plus tard, et ils modulaient leur enthousiasme en fonction des différents commissaires à qui ils avaient affaire. Ainsi Lénine et Trotsky, que les ouvriers considéraient comme largement responsables de leur victoire et indispensables à la poursuite de leur succès, étaient autrement acclamés que des dirigeants comme Zinoviev et Kamenev.

Lénine, Trotsky, ensemble, les deux noms liés : c'est écrit en 1938 après que les procès de Moscou aient entériné l'assassinat des vieux bolchéviques accusés de "trotskysme". Le livre de Balabanoff ne fut traduit en français qu'en 1981.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 22:46

En attendant, la situation est difficile, très difficile. Balabanoff, en quelques lignes, trace la souffrance du menu peuple:
Si mes études et mes observations de jeunesse ne m’avaient pas convertie à la philosophie matérialiste, ma vie en cette période de « communisme de guerre » aurait suffi à le faire. Je pus constater à quel point, du jour au lendemain, les besoins matériels pouvaient transformer – et défigurer – les êtres humains, et rogner les ailes de la révolution elle-même. Je vis des hommes et des femmes qui avaient vécu toute leur vie pour leurs idées, qui avaient volontairement renoncé aux avantages matériels, à la liberté, au bonheur et à l’affection familiale pour accomplir leurs idéaux – ne plus penser qu’à la faim et au froid. La faim rend les hommes esclaves, et elle affecte toutes les manifestations de la vie humaine. […]

Ces femmes, auxquelles la Révolution avait récemment donné des droits et une dignité, étaient soudain devenues vieilles et usées, physiquement déformées par leurs propres souffrances et le souci constant de leur progéniture. Peu à peu, elles n’ont plus pensé qu’à se procurer le « ticket » qui leur permettrait d’acheter, dans un avenir plus ou moins proche, une robe, un manteau ou une paire de chaussures pour leurs enfants.

Les plus grands héros de la Révolution russe, ce n’est pas parmi ses dirigeants qu’il faut les chercher, pas même peut-être parmi ceux qui sont morts sur les nombreux fronts en la défendant. Non, c’est parmi les travailleurs, parmi ceux qui ont résisté au froid et à la faim, qui ont travaillé dans des usines et des bureaux tout au long de cette terrible période de blocus, de guerre civile et désorganisation; peut-être aussi parmi ces petits commissaires anonymes qui ont dû les rassurer, invoquer leur patience, leur promettre pour le lendemain ce qu’ils ne pouvaient obtenir le jour même.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 22:47

Madame Balabanoff nous parle aussi de «la malice, le bon sens et l’humour des paysans russes.» Et elle nous narre une curieuse histoire de cloches qui devaient faire sourire dans l'épuisant bordel ambiant:
Durant la guerre, dans les provinces menacées par les Allemands, on avait enlevé les nombreuses cloches des villes et des villages et on les avait stockées dans la capitale, pour empêcher qu’elles ne tombent aux mains de l’ennemi. En effet les Allemands, qui avaient tellement besoin de métal, les fondaient pour fabriquer de l’armement. Maintenant que la guerre était finie, des délégations de paysans arrivaient du fin fond de leurs villages pour récupérer leurs cloches. Comme on manquait de combustible et que les transports étaient totalement désorganisés, ces voyage duraient parfois des semaines entières. En arrivant à Moscou, ils ne pouvaient s’attendre qu’à rencontrer le froid et la faim, et ils avaient encore devant eux la perspective d’un pénible voyage de retour.

En discutant avec ces délégations, je m’aperçus que pas un homme n’était prêt à admettre qu’il se sentait concerné par l’Eglise ou par la religion. Et quand je leur demandais pourquoi ils n’avaient pas attendu que le gouvernement leur restitue leur: cloches, ils me faisaient des réponses du style : « Dans le village nous avons encore tellement de vieilles femmes qui s’attachent à ce genre de choses. » Certains, prévoyant mes questions, s’empressaient de m’assurer : « S’il ne tenait qu’à moi et à ma famille, ces cloches pourraient bien rester où elles sont »; ou « Bien sûr que nous pouvons attendre, mais que se passerait-il s’il y avait le feu et qu’on ait besoin de donner l’alerte ? »

C’était leur manière, habile et humble, de s’adapter à cette nouvelle vie. Ils parlaient maintenant comme s’ils avaient toujours été bolcheviks, qu’ils se sentaient dans ce nouveau régime comme chez eux et comprenaient déjà toutes les nouvelles lois – et la façon de les détourner.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 22:49

Mine de rien, on est en 1919:
La victoire de la Révolution d’Octobre contenait implicitement l’organisation d’une nouvelle Internationale. En 1919, la proposition d’un obscur petit groupe d’émigrés en Suisse était passée à l’ordre du jour.

On approche de mars 1919. Ce qui est à l'ordre du jour dans ce début de 1919, ce fut une bien funeste nouvelle. Angelica part aider Christian Racovski à Kiev : «J'avais à peine quitté Moscou que j’appris le brutal assassinat de Liebknecht et de Rosa Luxembourg par des officiers de l'armée allemande

A peine arrivée à Kiev, elle-même et Racovski sont rappelés à Moscou : il va se créer une nouvelle internationale, la troisième. Ce sera en mars 1919. Angelica sera dubitative sur l'évènement tout en étant très fière d'y participer.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 17 Oct 2020, 22:50

Ah? Tiens, je n'ai plus de munitions.
Il y aura un soir, il y aura un matin, que les scans soient! Patience Kéox2, va y avoir une grosse page sur Trotsky.
Mais demain, c'est septième jour, faut attendre.
En attendant, Kéox2, je te mets une photo d'Angelica (n'insiste pas, tu n'auras pas son 06). On la représente toujours avec la tête de vieille femme qu'elle deviendra. Là, elle ressemble plus à l'infatigable révolutionnaire qui enflammait les gens dans ses meetings.
Pièces jointes
Angelica Balabanoff.JPG
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Cyrano
 
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Kéox2 » 18 Oct 2020, 15:35

Merci Cyrano. Elle était vraiment très belle Angelica, je crois que je vais mettre cette photo en fond d'écran... :mrgreen:
Kéox2
 
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