Un camarade m'a transmis cet article plutôt bien fait de la LIT - CI, traduit par Bernard Fischer...
En commentaire il précise - "Il manque des développements sur 1978, le Focep, la crise du SU de 79-80 puis la rupture Lambert Moreno de fin 1981 et l’épisode Sentier Lumineux qui a bien compliqué les choses au Pérou"...
On notera cependant le respect et l’aura conservés par Blanco auprès de ses anciens camarades morénistes
Nahuel Moreno a déclaré qu'Hugo Blanco était le plus grand leader de masse trotskyste après Léon Trotsky et, à ce jour, c'est toujours vrai. Il était le leader incontesté de la révolution agraire péruvienne, qui était centrée dans la province de la Convención dans les années 1960. Tout au long de ce processus, il a fait partie de notre courant et de la lutte pour la construction du parti révolutionnaire au Pérou. Il travaillait toujours dans le mouvement indigène et il continue d'être une référence importante pour les militants et les sympathisants paysans indigènes d'Amérique Latine.
Hugo Blanco Galdós est né à Cuzco, au Pérou, en 1934. Son père était un avocat qui défendait les paysans, ce qui signifiait que, dès son plus jeune âge, il apprit leurs misères et il apprit la langue quechua au contact des vieux leaders paysans et indigènes qui visitaient son père.
En 1954, il se rend à la Plata, en Argentine, pour étudier l'agronomie. Il rejoint l'organisation dirigée par Nahuel Moreno connue sous le nom de son journal, Palabra Obrera. Il décrit cette étape de sa vie de la manière suivante, « en 1954, je suis allé à la Plata, en Argentine, alors qu'il y avait une dictature au Pérou. Les exilés péruviens militants de l'Alianza Popular Revolucionaria Americana (APRA) sont arrivés, comme Melgar et Villanueva. Mes frères, âgés de dix-sept et de dix-neuf ans, ont été emprisonnés parce qu’ils étaient des militants de l’APRA. A cette époque, être militant de l’APRA, ou communiste, était un crime au Pérou. À mon arrivée, j’ai appris que mon frère était secrétaire général de la cellule de l’APRA de la Plata. Il n'y avait pas de répression à la Plata. Je n'ai pas aimé l'APRA. Mon frère était chargé d'éloigner les communistes de moi. Je cherchais des militants du Parti Ouvrier Révolutionnaire (POR) et/ou des trotskystes dont je connaissais l'existence, car je savais que, à Lima, il y avait de la répression contre le POR et, dans leur journal, ils avaient publié leur programme, que j'aimais bien. Nous étions dans la chambre de mon frère, qui se trouvait dans les locaux de l’APRA. La direction était tombée, pour la première fois, entre les mains de la gauche, mon frère m'a dit que Pavón avait amené un trotskyste à l’union des étudiants péruviens, j’ai arrêté d'écouter et mon autre frère lui a dit que je cherchais des trotskystes. Il y a eu une mobilisation en faveur des étudiants péruviens, j'ai rencontré le péruvien Carlos Salguín et je lui ai dit que je cherchais des militants oppositionnels de l’APRA, des militants du POR ou bien des militants trotskystes. Il m'a répondu qu’il était un militant trotskiste du POR péruvien et il m’a mis en contact avec le POR argentin. C'est ainsi que j'ai rencontré Nahuel Moreno, c'était le leader du POR. C'était en 1956. Moi et d'autres étudiants, nous avons quitté l'université et nous sommes allés travailler dans des usines. Il y a eu une ouverture au Pérou, nous voulions rentrer et nous nous sommes demandé comment faire. Nous étions des sympathisants, mais nous avons eu le privilège de participer aux réunions de la direction du parti de Nahuel Moreno ».
Le voyage d’Hugo Blanco au Pérou n'était pas pour rejoindre le mouvement paysan mais, comme il le dit si bien, pour construire le parti révolutionnaire. Dans cet objectif, il rejoint le POR, « au Pérou, j'ai essayé d'entrer dans des usines, mais c'étaient de petites usines sans syndicats et nous avons essayé de les construire, jusqu'à ce que je réussisse enfin à entrer dans une usine pétrolière, qui avait un syndicat. A ce moment, Richard Nixon, qui était alors vice-président des Etats-Unis, est venu au Pérou et une manifestation a été préparée contre sa visite à laquelle a participé le POR péruvien et qui a été réprimée. C'est alors que nous avons décidé d'aller à Cuzco, où il y a eu un grand soulèvement et où a commencé une autre histoire, la lutte de la Convencion ».
Hugo Blanco est allé à Cuzco où il a travaillé comme vendeur de journaux et où il a fondé un syndicat. Il rejoint les paysans de la Convención. Il a été emprisonné pour avoir participé à une mobilisation à Cuzco. Il a été libéré sous la pression de la Fédération des Travailleurs de la Convención et, avec leur soutien, il a réussi à surmonter les obstacles que le Parti Communiste Péruvien (PCP) mettait sur son chemin pour participer aux assemblées de la Fédération des Travailleurs de Cuzco et de la Fédération des Paysans. Il s'installe dans la vallée de la Convención et, en promouvant l'organisation syndicale paysanne, il devient un grand leader du soulèvement agraire qui éclate en 1961 et qui avait son centre dans la province de la Convención, en même temps qu'il gagne des leaders paysans à la construction du parti révolutionnaire, dès son adhésion au POR.
Le cri de Tierra o Muerte parcourra les vallées dans la bouche de dizaines de milliers de paysans. Lorsqu’Hugo Blanco est arrivé à Cuzco, il n'a trouvé que six syndicats organisés. A la fin de sa campagne, il y avait cent quarante-huit syndicats.
Au mois de juillet 1961, Hugo Blanco était déjà un leader paysan de la Convención et il se battait contre le PCP pour la direction de la Fédération des Travailleurs de Cuzco (FTC).
Pendant un an, le processus de syndicalisation, l'occupation des haciendas et les affrontements armés contre la police se sont poursuivis. La politique du Secrétariat Latino-Américain du Trotskysme Orthodoxe (SLATO) de promotion de l'organisation paysanne dans la lutte contre les grands domaines agricoles intégrait la défense des indigènes en tant que nation opprimée.
« L’indigène est une nationalité opprimée. Bien que le mur qui le sépare des métis et des blancs ne soit pas aussi solide que dans le cas des États-Unis, les humiliations et les écrasements dont il est victime sont plus grands. Leur langue, leur musique, leurs vêtements, leurs goûts et leurs coutumes sont moqués, écrasés et dénigrés. Sans aucun doute, la lutte à la campagne est celle du paysan contre le propriétaire, mais la justification de l’indigène et de la nationalité opprimée est un ingrédient fondamental. C'est pourquoi nous avons toujours parlé en quechua tout au long de la lutte, nous avons toujours exalté l'indigène », a écrit Hugo Blanco dans Tierra o Muerte.
Comme le disait Nahuel Moreno, « le grand problème qui se pose est de savoir comment combiner cette lutte pour la terre et le vote pour la paysannerie, qui est une lutte qui intéresse les masses rurales, avec les problèmes qui affligent ou qui inquiètent les masses et surtout la classe ouvrière de Lima ».
Malheureusement, cette combinaison n'a pas été réalisée. Les efforts pour trouver une solution à l'étranger n'ont pas donné de résultats. Palabra Obrera de Argentina a envoyé l'un de ses leaders à Cuba pour demander un soutien matériel, mais cette aide n'est pas arrivée. Ainsi, l'insurrection paysanne a été isolée et la répression, notamment la persécution d'Hugo Blanco, s’est intensifiée.
Au mois d’août 1962, Hugo Blanco, avec un groupe de camarades, a été contraint de former un groupe de guérilla pour se défendre.
« Ce qui était prévisible est arrivé. Une forte répression a provoqué l'effondrement de tout, sauf de la seule chose solide qui existait, le mouvement paysan. Bien que, en raison de sa protection, ils ne pouvaient pas m'emprisonner, mon action était très limitée. C'est précisément l'isolement qui nous a obligés à passer de la milice à la guérilla. Ce détachement armé fut approuvé par les assemblées paysannes, le soutien de la paysannerie était presque absolu, excitant. Il nous nourrissait, nous vêtait, nous guidait et nous protégeait. Comme notre estomac et notre sac à dos avaient une capacité limitée, nous recevions un peu de chacun, pour que personne ne se sente offensé. Toute allusion au paiement aurait été une insulte », a écrit Hugo Blanco dans Tierra o Muerte.
Hugo Blanco et son détachement armé ont continué à sillonner les différentes zones et à signer, en tant que secrétaire de la réforme agraire de la fédération départementale, les résolutions approuvées par les assemblées paysannes. Ils ont eu trois affrontements armés. Enfin, le 15 mai 1963, Hugo Blanco est arrêté. Il a été sauvé de l'assassinat parce qu'il y a eu une discussion entre ses ravisseurs qui n'ont pas accepté de le tuer.
Une grande campagne internationale réussit à faire commuer sa condamnation à mort en une peine de vingt-cinq ans de prison. Il a été amnistié après huit ans de prison et il a été déporté au Mexique. Il a quitté le Mexique pour aller en Argentine, où il a été de nouveau emprisonné et une nouvelle campagne internationale a obtenu sa libération.
Le grand soutien de masse qu'il a eu a été mis en évidence par le fait qu'il a été élu à la direction de la Fédération des Paysans pendant toutes les années où il a été emprisonné, mais pas seulement. C'était très émouvant de l'écouter dans une conférence qu'il a donnée aux militants du Parti Socialiste des Travailleurs (PST) à la Plata quand il nous a dit que, lorsqu'il a été persécuté, dans chaque maison paysanne de la Convención, il y avait un lit supplémentaire, c'était le lit d'Hugo Blanco. Il a également parlé de l'importance pour lui, lorsqu'il était au secret, de voir chaque nuit, à travers une petite fenêtre qui donnait sur une colline, « liberté pour Hugo Blanco » écrit avec des torches.
La même relation avec le mouvement de masse s'est manifestée au retour d'exil en tant que militant du front ouvrier, paysan et populaire (FOCEP). Il s’est présenté aux élections à l’assemblée constituante péruvienne de 1978 et il a été l'un des candidats qui a été élu avec le plus de voix.
Hugo Blanco n'était pas un leader de la guérilla. Bien que ce soit ainsi que de nombreux secteurs le présentent, cela n'a rien à voir avec la réalité. Hugo Blanco continue d'être un grand défenseur de la démocratie de base et des assemblées, ce qui est à l'opposé de l'action de tous les leaders de la guérilla, qui n'ont jamais tenu compte de l'avis des bases ouvrières et paysannes.
Nahuel Moreno l'explique lorsqu'il polémique contre Ernest Mandel sur les actions d'Hugo Blanco au Pérou, « Ernest Mandel oublie que tout ce qu'Hugo Blanco a fait a été fait à partir des syndicats paysans et que cela n’a pas été fait par une armée révolutionnaire créée par le parti. Ernest Mandel oublie que la lutte armée est apparue comme une nécessité du mouvement paysan syndiqué par Hugo Blanco pour se défendre contre la répression déchaînée du régime contre l'occupation massive des terres. Cette lutte armée, fruit d'un moment de la lutte des classes au Pérou, n’a rien à voir avec la stratégie de lutte armée de la majorité du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale dans toute l’Amérique Latine et pour chaque moment de la lutte des classes ».
Nous avons déjà vu l'explication d'Hugo Blanco sur les raisons pour lesquelles il a dû recourir à la méthode de la guérilla mais, pour qu'il n'y ait aucun doute sur sa position sur le sujet, voyons ce qu'il en dit en 1970, dans une interview réalisée par Imprecor et reproduite dans Revista de América, « il est très triste que Fidel Castro soutienne ce gouvernement bourgeois, pro-impérialiste, à cause de sa politique de développement du pays et de sa démagogie anti-impérialiste. C'est le gouvernement qui a massacré les paysans, qui se tient aux côtés de la bourgeoisie nationale et des impérialistes dans leurs conflits avec les travailleurs péruviens et qui réprime les étudiants. Pourquoi Fidel Castro accorde-t-il sa confiance à un gouvernement qui lutte contre les paysans ? Pourquoi ne fait-il pas confiance à cette camarade qui s'est battue pour sa terre et qui a nourri, habillé et protégé, les guérilleros combattant dans les montagnes ? Fidel Castro croit-il que seuls les guérillas et les armées bourgeoises sont capables de faire une révolution ? Ce seront les masses du Pérou qui feront la révolution et elles n'utiliseront la guérilla que comme une de leurs armes. D'après les réponses que nous avons données aux autres questions, il est clair que nous ne considérons pas la guérilla comme une stratégie, mais seulement comme une tactique à utiliser à certains moments et dans certaines circonstances. Élever la guérilla rurale comme une stratégie générale pour tous les pays d'Amérique Latine a été une grave erreur de la part de Fidel Castro et d’Ernesto Guevara. Cela a été une expérience très douloureuse pour toute l'Amérique Latine. Heureusement, la dure réalité oblige de nombreux camarades à reconsidérer leur position. Ils commencent à comprendre que le choix n'est pas entre l'opportunisme ou la guérilla, mais entre l'opportunisme ou la révolution ».
Hugo Blanco a pris ses distances avec le trotskysme, il n'appartient à aucune organisation politique et il dirige la revue Lucha Indígena. Contrairement à tant d'autres leaders, il n'est pas allé des tranchées aux palais. Au contraire, à partir de sa vision indigéniste actuelle, il a poursuivi la lutte contre l'impérialisme et le capitalisme, défendant les intérêts des exploités et des opprimés, défendant toujours la démocratie de base des assemblées paysannes et indigènes.
Hugo Blanco était une gloire de notre courant. Les différences politiques, programmatiques et idéologiques, que nous avons maintenant ne changent rien à ce passé glorieux ni à notre grand respect pour lui et son combat permanent.