Ci-dessous, deux articles :
- un article de Libé sur les guetteuses de Tsahal qui avaient mis en garde sur des mouvements avant le 7 octobre. Elles parlent du mépris avant mais aussi après le massacre.
- un article du Monde, relatant le New York Times ayant eu accès à des documents secrets montrant qu'Israël n'a pas pris au sérieux les signes avant coureurs de l'attaque.
Attaque du Hamas : les guetteuses ignorées de l’armée israélienne
Leur mission consiste à surveiller les activités suspectes à la frontière avec la bande de Gaza.
Rapport après rapport, les «tatzpitanit», guetteuses de Tsahal, ont alerté leur hiérarchie pendant des
mois. Dans le vide, selon le média israélien «Haaretz».
«Il y avait tellement de signaux… Le Hamas n’a pas agi dans l’ombre.» Plusieurs mois avant
l’attaque sanglante du 7 octobre, des soldates de l’armée israélienne, guetteuses dans les bases
d’observation proches de la bande de Gaza, avaient alerté à de multiples reprises leur hiérarchie
de faits et gestes inquiétants côté palestinien. Sans manifestement être écoutées, en raison de leur
sexe, selon les témoignages recueillis par le média israélien Haaretz.
«Un mois avant la guerre, j’étais assise au centre de commandement de Kissoufim», un kibboutz
frontalier du centre de la bande de Gaza, raconte Talia*. La mission de cette tatzpitanit, guetteuse
pour Tsahal, consiste à scruter un écran pendant des heures et à étudier les mouvements suspects
captés par les caméras de surveillance de la frontière sous haute surveillance numérique. «A 7
heures ce jour-là, des douzaines de voitures et de camionnettes se sont rendues à l’une des tours
d’observation du Hamas.» Alors qu’elle pointe les caméras de surveillance en leur direction, elle
identifie certains hommes comme des membres des forces spéciales du mouvement islamiste, les
unités «Nukhba». L’un d’eux lui fait un geste. Elle prévient immédiatement sa commandante : «Je lui
ai dit qu’ils pouvaient nous voir», alors que la caméra était située en hauteur sur un poteau, à une
bonne distance de là. Malgré l’avertissement, Talia ignore ce qu’a fait l’armée israélienne de cette
information, mais pense avec du recul avoir assisté à une préparation pour l’attaque du 7 octobre.
Même chose pour Ilana*, qui est allée jusqu’à hausser le ton face à ses supérieurs face à
l’urgence de la situation. «Un mois et demi avant le début de la guerre, nous avons vu dans l’un
des camps d’entraînement du Hamas une réplique d’un poste d’observation de l’armée, comme
ceux que nous avons. Ils se sont entraînés à l’attaquer avec des drones», assure-t-elle au Haaretz.
«Nous avons hurlé sur nos commandants qu’ils devaient nous prendre au sérieux, que quelque
chose de grave était en train de se passer», se souvient-elle. Là encore, sans aucun retour.
«Personne n’a pensé à écouter l’opinion des guetteuses car les services de renseignement
pensaient autrement», se désole l’une d’elles auprès du journal israélien. Beaucoup d’entre elles
dénoncent aujourd’hui un manque de considération tangible de la part de Tsahal et accusent les
officiers d’avoir refusé d’écouter leurs avertissements. Une d’entre elles l’affirme même : «Il n’y a
aucun doute sur le fait que si des hommes étaient assis devant ces écrans, les choses auraient été
différentes.»
Comme le précise Haaretz, de nos jours, seules des soldates se voient confier cette tâche, et plus
particulièrement de jeunes femmes. «Personne ne fait vraiment attention à nous, ajoute Talia. Pour
eux, c’est “restez devant votre écran” et ça s’arrête là». «Nous ne comptons pas», abonde Shir*,
une autre guetteuse.
Samedi 7 octobre au petit matin, ces tatzpitanit n’auraient pas été mises en garde face à
l’offensive du Hamas, alors même qu’elles occupaient des postes d’observation en première ligne,
comme à Kissoufim ou à Nahal Oz, kibboutz situé plus au nord. «Les guetteuses, abandonnées par
l’armée, ont été massacrées», rapporte Yaara*. Noga* estime avoir «perdu des douzaines
d’amies» ce jour-là, parmi les 1 200 personnes mortes ou les 240 kidnappées par le Hamas.
Pourtant, l’armée israélienne et le service de renseignement intérieur, le Shin Bet, étaient en alerte
face à une possible infiltration de combattants du Hamas. Des membres des forces spéciales de
l’Etat hébreu auraient même été envoyées dès le vendredi dans le sud du pays. «Si nous avions eu
connaissance de l’avertissement de l’armée, ce désastre aurait été différent», affirme Yaara, pour
qui deux petites heures auraient suffi aux guetteuses pour se préparer à l’attaque.
Ce mépris envers les soldates ne s’arrête pas là. Trois jours après le massacre du 7 octobre,
plusieurs guetteuses ont reçu l’ordre de retourner à leur poste. «Cet absentéisme en temps de
guerre vous fait risquer dix ans de prison», aurait menacé un membre des ressources humaines de
l’armée à Mai*. «Nous avons essayé d’expliquer que nous ne pouvons pas y retourner, rapporte-t-
elle. Nous avons passé des heures à nous cacher entre les cadavres de nos camarades, dans cette
salle d’opération.» D’après Mai, l’armée n’est jamais venue parler avec les guetteuses qui étaient
présentes ce jour-là afin de leur demander comment elles se portaient : «Ils ignorent tout
simplement notre existence.»
Le porte-parole de l’armée israélienne affirme le contraire à Haaretz. Selon lui, «les soldats et
soldates sont accompagnés par des professionnels de la santé mentale. A cela s’ajoute le contact
permanent avec leurs commandants, qui constituent une oreille attentive. Le retour à leur poste se
fera de manière progressive et sensible, encadrée et en fonction de l’état de chacun.» Après avoir
protesté en restant chez elles, les guetteuses ont toutes reçu la même lettre les informant que si
elles ne retournaient pas à leurs postes, elles feraient face à de sévères répercussions. L’armée
contredit : «Il n’est pas question de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de qui que ce
soit.» A force de pressions, Shir a décidé de son côté de reprendre son poste, tout en étant claire
sur ses intentions : «Nous revenons uniquement pour nos amies qui ont été assassinées ou
kidnappées, et non pour ceux qui nous ont abandonnés ici.»
(1) Tous les prénoms ont été modifiés par Haaretz.
art. Libé, 16/11/2023Des Palestiniens prennent le contrôle d’un char de combat israélien Merkava après avoir franchi la
frontière avec Israël depuis Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023.
SAID KHATIB / AFP
Des responsables israéliens avaient obtenu plus d’un an à l’avance le plan du Hamas visant à
mener une attaque sans précédent contre Israël, mais avaient jugé le scénario irréaliste, soutient le
New York Times sur la base de documents secrets, dans une enquête parue jeudi 30 novembre.
Le renseignement militaire israélien avait mis la main sur un document d’une quarantaine de pages
du mouvement islamiste palestinien Hamas détaillant, point par point, une vaste attaque comme
celle perpétrée par des commandos le 7 octobre qui ont fait environ 1 200 morts en Israël, selon le
grand quotidien américain.
Ce document, qui circulait dans des sphères du renseignement sous le nom de code « Jericho
Wall » (« le mur de Jéricho »), ne donnait pas de date pour une éventuelle attaque mais définissait
des points précis pour saturer le dispositif sécuritaire israélien puis attaquer des villes et des bases
militaires.
Plus précisément, le document fait état d’un barrage de roquettes, de drones détruisant des
caméras de sécurité et de systèmes de défense automatisés, puis de combattants traversant côté
israélien en parapente, en voiture et à pied, des éléments au cœur de l’attaque du 7 octobre.
Mais il n’était « pas possible de déterminer » si ce plan avait été approuvé « complètement » par la
direction du Hamas et comment il pourrait se traduire dans la réalité, insiste un document interne de
l’armée israélienne obtenu par le New York Times.
Or, en juillet, une analyste de l’unité d’élite du renseignement 8200 avait averti qu’un exercice
militaire que venait de conduire le Hamas ressemblait en plusieurs points au plan de l’attaque
prévu dans le document « Jericho Wall ». Mais un colonel de la division militaire responsable de
Gaza avait écarté ce scénario, le qualifiant de « totalement imaginaire ».
« Je réfute catégoriquement l’idée que ce scénario soit imaginaire (…) il s’agit d’un plan pour une
guerre », pas simplement pour une attaque « contre un village », écrit cette analyste dans des e-
mails cryptés consultés par le journal. « Nous avons déjà eu une expérience similaire il y a
cinquante ans sur le front sud à propos d’un scénario qui semblait imaginaire. L’histoire pourrait se
répéter si nous ne sommes pas prudents », écrit l’analyste de manière quasi prophétique à ses
collègues, en référence à la guerre de Kippour, en 1973.
D’après le New York Times, si le document « Jericho Wall » a circulé au sein de la hiérarchie
militaire israélienne, on ignore si le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et son cabinet l’ont
consulté.
D’après Ha’Aretz, l’armée israélienne est restée sourde aux avertissements répétés
d’observatrices postées à la frontière avec Gaza dans les jours qui ont précédé l’attaque du
Hamas du 7 octobre. Ces jeunes femmes sont chargées d’étudier les images de caméras de
surveillance à la recherche d’activités suspectes. « Il ne fait aucun doute que si les hommes avaient
été assis devant ces écrans, les choses auraient été différentes », affirme une des soldates
rescapées de l’attaque au quotidien israélien.
art. Le Monde, 1/12/2023