Un article de Géo sur l'OAS

Marxisme et mouvement ouvrier.

Un article de Géo sur l'OAS

Message par Plestin » 30 Sep 2025, 06:29

Sortant des sentiers battus de cette revue où dominent habituellement les reportages sur la terre merveilleuse façon Arthus-Bertrand, voici un article sur la féroce dictature imposée par l'OAS non seulement à la population algérienne mais aux pieds-noirs eux-mêmes. Ecrit par Jean-Jacques Allevi, peu suspect de sympathie pour l'extrême-gauche.

https://www.geo.fr/histoire/quand-l-oas ... wtab-fr-fr

Quand l'OAS faisait trembler l'Algérie... et assassinait ses opposants pieds-noirs

Jusqu’où aller pour que l’Algérie reste française ? Perçus comme des soutiens de l’Organisation armée secrète, entité terroriste, les pieds-noirs étaient en fait partagés sur la question de la violence.
En ce 28 décembre 2022 se déroulent au crématorium d’Ajaccio les funérailles d’un certain Jean Biraud. Un "ancien combattant, officier de la Légion d’honneur" mort à l’âge de 93 ans, peut-on lire dans l’avis d’obsèques paru dans le quotidien Corse-Matin. Ce que ne mentionne évidemment pas l’annonce, c’est que le défunt avait été condamné à mort, par contumace, lors de l’un des procès tenus devant la Cour de sûreté de l’État pour juger les activistes de l’Organisation armée secrète (OAS), un groupe terroriste d’extrême droite qui défendit, dans un bain de sang, le maintien de l’Algérie au sein de la République française, en 1961 et 1962.

La présence à cette cérémonie d’une poignée de pieds-noirs nostalgiques de l’OAS serait de nature à conforter l’idée déjà bien ancrée selon laquelle les pieds-noirs ont soutenu, en bloc, ce mouvement. Or, s’il est exact que la plupart d’entre eux approuvaient l’Organisation, d’autres Français d’Algérie — tout aussi viscéralement attachés à leur terre natale — ne se sont pas reconnus dans l’idéologie de haine sanguinaire de l’OAS, et n’ont pas cautionné les atrocités commises. Certains pieds-noirs ont même résisté aux terroristes au prix de leur vie.

À ce jour, un seul ouvrage a été entièrement dédié à la question, un essai pionnier, publié en 2014 par Bernard Zimmermann (Les Résistances pieds-noires à l’OAS, éd. L’Harmattan). Interrogé, l’auteur, aujourd’hui âgé de 85 ans, qui a lui-même vécu en Algérie jusqu’en juin 1962, déplore vivement les carences de la recherche historique sur le sujet. "Après la parution du livre, un témoin, demeurant dans le Var, qui a résisté à l’OAS et dont j’ai reproduit le récit, a été menacé de mort par téléphone…", dit-il. Une attaque possiblement venue d’une frange de l’extrême droite soucieuse de préserver la fable de l’unanimisme pied-noir. Bernard Zimmermann poursuit : "Les résistances pied-noires sont un tabou qui perdure. Même le colloque international sur l’Algérie coloniale, à l’Institut de monde arabe à Paris ,en mars dernier, n’a pas évoqué la question".

L’OAS, une organisation de différents groupuscules et tendances de l'ultranationalisme

Pour comprendre ce silence, il faut remonter le temps. Durant les deux dernières années de cette guerre, en 1961 et 1962, la marche vers l’indépendance était d’autant plus inéluctable que le général de Gaulle, chef de l’État, s’était rallié progressivement à cette perspective. Laquelle révulsait le million de pieds-noirs que comptait alors l’Algérie, forte de 9 millions d’habitants.

Début 1961, deux d’entre eux, Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, créèrent l’OAS à Madrid. Le but de cette organisation qui finit par fédérer différents groupuscules et tendances de l’ultranationalisme ? Lutter contre les indépendantistes et maintenir, par tous les moyens, l’Algérie dans le giron de la France. Ce programme séduisait évidemment la majorité des pieds-noirs en leur redonnant l’espoir de demeurer dans ce pays qu’ils considéraient, bien plus que la métropole, comme leur patrie.

L’Organisation, fondée officiellement en février 1961, entra en scène dès le 25 janvier. Ce jour-là, à Alger, deux activistes poignardèrent à mort l’avocat catholique Pierre Popie. En se prononçant à la télévision en faveur de l’indépendance, le juriste avait signé son arrêt de mort. Il fut la première victime d’une guerre franco-française qui allait ensanglanter l’Algérie mais aussi la métropole.

Suite à l'échec du putsch des généraux, les attentats se multiplient

Après lui, bien d’autres Européens favorables à la décolonisation ou simplement opposés aux actions sanguinaires de l’OAS furent assassinés. Suite à l’échec cuisant du putsch mené par quatre généraux le 22 avril 1961 à Alger, les attentats s’enchaînèrent à une cadence qui donne le tournis. En quelques jours, l’OAS fit sauter des dizaines de pains de plastic, explosions que les pieds-noirs appelaient les stroungas et dont ils saluaient les effets par des concerts de casseroles aux balcons. Le "record" fut atteint le 5 mars 1962 quand Alger subit 120 plasticages en deux heures ! Une "opération rock and roll", fanfaronna l’OAS.

L’Organisation ne se contentait pas de commettre ce type d’attentats, elle piégeait aussi des voitures, mitraillait à tout-va, lynchait et se livrait à des "ratonnades", actions brutales et assassinats contre les musulmans. Son bras armé, les commandos Delta, eux, étaient spécialisés dans les "ops", les opérations ponctuelles. Un euphémisme pour désigner les assassinats ciblés destinés à éliminer les pieds-noirs accusés de mollesse, de traîtrise ou de collaboration avec le Front de libération nationale (FLN). Au total, selon l’historienne Anne-Marie Duranton-Cabrol, autrice de L’OAS, la peur et la violence (éd. André-Versaille, 2012), 269 pieds-noirs furent assassinés par l’OAS et plus de 1 000 autres blessés entre janvier 1961 et avril 1962.

Militants de gauche, syndicalistes et catholiques s’opposent à l’OAS

Mais combien de pieds-noirs ont-ils désapprouvé ces campagnes de terreur ? Impossible de le savoir avec précision, faute de statistiques précises. Seules des estimations permettent d’entrevoir l’ampleur du phénomène. Pour la seule région d’Oran (deuxième ville d’Algérie en population mais première pour le nombre de pieds-noirs), le général Henri de Pouilly, commandant le corps d’armée de la zone oranaise, jugeait à l’époque de la guerre que 90 % de la population pied-noire de la région d’Oran étaient favorables à l’OAS. Les 10 % restants représentaient environ 25 000 personnes. En extrapolant à l’ensemble de l’Algérie, Bernard Zimmermann évalue à quelque 100 000 le nombre d’opposants européens à l’OAS. Un chiffre identique à celui avancé par Jean-Jacques Susini, le cocréateur de l’OAS. Lorsque Rémi Kauffer l’interviewa, dans les années 1980, il affirma : "90 % de la population pied-noire [avait] des sympathies pour l’OAS" (cité dans OAS, histoire d’une guerre franco-française, éd. du Seuil, 2002). Conclusion de Bernard Zimmermann ? "La résistance pied-noire à l’OAS, pour minoritaire assurément qu’elle a été, a été moins négligeable numériquement qu’on la présente ordinairement".

Les premiers à s’opposer à l’OAS étaient des militants politiques de gauche, des syndicalistes et de nombreux catholiques, au premier rang desquels l’archevêque d’Alger, Mgr Léon-Étienne Duval, qui dénonça alors les actions terroristes de l’OAS. Haï par les ultras, le prélat fut rebaptisé "Mohammed Duval". Certains rêvaient de lui loger une balle dans la nuque mais l’OAS n’osa franchir le pas. Les activistes se contentèrent de badigeonner les portes de l’église de Bab-el-Oued avec des excréments puis, plus tard de la plastiquer.

Un système de surveillance dans les entreprises et les quartiers

Dans un tel climat, dénoncer les crimes était périlleux, d’autant que l’OAS quadrillait méticuleusement Alger et Oran où les pieds-noirs étaient très majoritaires. Pour surveiller cette population et s’assurer de sa loyauté, l’OAS mit en place un double contrôle "inspiré directement du système nazi", souligne Bernard Zimmermann. Une surveillance verticale dans les administrations et les entreprises et une autre, horizontale, dans les quartiers et les blocs d’immeubles. "Avoir l’oeil sur tout et sur tout le monde. Tout savoir. Tout contrôler, tout ficher. La Gestapo quoi !" : ainsi s’exprimait, en 1984, Jacques Achard, un ex-responsable OAS interrogé par Rémi Kauffer. Les pieds-noirs suspects étaient classés en différentes catégories selon qu’ils méritaient "avertissement, sanction ou élimination", raconte Bernard Zimmermann.

Les agents de l’OAS étaient donc présents partout. Dans l’antichambre du délégué général du gouvernement, qui avait la haute-main sur l’administration civile, comme dans les services de renseignements et surtout dans les commissariats de police en Algérie où nombre de fonctionnaires étaient de mèche. J’étais "sûr de tout… sauf de mes hommes", confiait Jacques Aubert, directeur de la Sûreté en Algérie, à Rémi Kauffer. Les opposants à l’OAS devaient aussi se méfier des commerçants, des coiffeurs et des cafetiers qui jouaient les délateurs. Athanase Georgopoulos, le patron du Grand Café Riche, célèbre établissement d’Oran, était aussi l’un des chefs locaux de l’OAS. Une ville que l’Organisation avait divisé en huit "collines" aux mains de quelque 500 activistes munis d’armes de guerre.

Quant à Alger, l’OAS y disposait d’un volume équivalent d’hommes, dont une centaine de tueurs groupés au sein des redoutables commandos Delta. Dans le viseur de l’Organisation, il y avait les policiers restés fidèles à la République mais aussi les cheminots, les gaziers et les électriciens. Sans oublier les dentistes et les médecins. Tous suspectés d’aider le FLN. Jean-Marie Larribère fut ainsi victime, en avril 1962, d’un attentat. La clinique de ce médecin et militant communiste fut entièrement détruite mais lui en réchappa miraculeusement. D’autres eurent moins de chance, tel le pharmacien algérois Claude Michel, abattu dans son officine parce qu’il voulait protéger son préparateur musulman menacé de mort. Les pieds-noirs opposés à l’OAS vivaient la peur au ventre, terrés chez eux et surtout murés dans le silence.

Certains pieds-noirs tentaient de se réfugier en France

Se taire ou faire semblant, quelles que soient les circonstances, telle était la règle pour survivre. Ceux qui n’en pouvaient plus tentaient de se réfugier en France. Encore fallait-il obtenir un "visa". Non pas des autorités régulières mais de l’OAS qui considérait que chaque départ affaiblissait sa cause. Dans la pratique, les pieds-noirs devaient obtenir une autorisation auprès d’un représentant de l’Organisation dans leur immeuble ou leur quartier. Pour tromper la vigilance des sbires de l’OAS, certains quittaient leur domicile en laissant tout ouvert… Même les déménagements étaient soumis à autorisation et, à l’été 1961, les départs en vacances vers la métropole furent interdits. Les indociles étaient menacés jusqu’aux abords des zones d’embarquement où les compagnies maritimes et aériennes étaient elles-mêmes soumises aux pressions de l’OAS.

Une trentaine d’attentats contre des récalcitrants furent dénombrés. Malgré les menaces, entre 20 000 et 100 000 pieds-noirs fuirent durant l’année 1961. L’un d’eux, Jean Sprecher, responsable syndical enseignant et partisan de l’indépendance, fila à La Seyne-sur-Mer. Des années plus tard, il confia à Bernard Zimmermann : "N’ayant aucun moyen d’affronter l’OAS, nous n’avions plus qu’à tenter de lui échapper". Ceux qui restaient n’étaient pas tous, loin s’en faut, complices de l’OAS. Malgré les risques encourus, des formes de résistance virent le jour. Sur des panneaux, certains, faisant fi du danger, écrivaient : "Ni la valise ni le cercueil, le partage".

Au péril de leur vie, des cheminots d’Oran rompirent le blocus imposé aux quartiers musulmans pour approvisionner les habitants en nourriture. Un dépositaire de presse de Sidi-Bel-Abbès enlevait et détruisait discrètement les tracts que l’OAS avait glissés dans les journaux. Des postiers, au moment de franchir en fourgon un barrage de l’OAS, prirent le temps de cacher leur collègue musulman dans un sac, le sauvant d’une mort certaine. D’autres s’opposèrent frontalement à l’Organisation, à l’image de Pascal Doriano, pilote d’Air Algérie, qui refusa de transporter le courrier des terroristes et le paya de sa vie.

À partir de 1962, la folie meurtrière provoque l’écoeurement dans l'opinion publique

Des instituteurs bravèrent les ordres de l’OAS qui leur interdisait de faire la classe aux enfants algériens. Des maîtres, qui passaient outre cette forme d’apartheid, furent abattus devant leurs élèves. Début 1962, la folie meurtrière de l’OAS commença à peser sur les consciences. Les exécutions gratuites de musulmans dans la rue puis le mitraillage d’appelés du contingent, tout juste sortis de l’adolescence, début mars, ne faisaient pas l’unanimité. Écoeurée, une grande partie des pieds-noirs finit par se détacher de l’OAS, qui se rendit responsable au total de la mort d’environ 2 000 personnes en Algérie, dont plus de 1 600 musulmans, auxquels il faut ajouter 61 morts en métropole.

Après la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962, l’OAS eut beau décréter l’insurrection générale, les pieds-noirs ne suivaient plus. En janvier 1963, après l’indépendance et le rapatriement, ils restaient 200 000 en Algérie. Certains devaient encore s’organiser pour leur départ. D’autres restèrent quelques années de plus, par refus d’abandonner leurs terres et leur pays de naissance. Mais l’ampleur du nombre suggère aussi que les pieds-noirs n’étaient pas tous, loin s’en faut, les alliés de l’OAS.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°103, "Pieds-noirs, Harkis... Les oubliés de l'Algérie", de septembre-octobre 2025.
Plestin
 
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Re: Un article de Géo sur l'OAS

Message par artza » 30 Sep 2025, 07:43

Une autre politique que le nationalisme était possible en Algérie dès les années 20 .

En 1960 bien sur c'était plus que rapé.

Là encore nous voyons l'ampleur de la catastrophe que fut le stalinisme pour tous les exploités en Algérie comme ailleurs.
artza
 
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