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• LE MONDE | 30.11.02 | 12h56
• MIS A JOUR LE 30.11.02 | 13h14
Attac refuse les avances de la gauche
Jacques Nikonoff doit succéder, ce week-end, à Bernard Cassen à la tête de l'association de lutte contre la mondialisation libérale. Quatre ans après sa création, elle est devenue une des références de l'opposition mais ne souhaite pas prendre part à l'actuelle recomposition politique.
Quatre ans après sa création, Attac, qui réunit, samedi 30 novembre et dimanche 1er décembre, son assemblée générale à La Rochelle (Charente-Maritime), change de tête. L'économiste Jacques Nikonoff doit succéder officiellement à Bernard Cassen et prendre ainsi la présidence d'une association forte de quelque 30 000 adhérents, qui fait figure de petite institution.
Deux priorités lui sont déjà assignées. Première mission : revoir le recrutement très "classe moyenne" de l'association. "Il faut élargir notre base vers les ouvriers, les employés, les chômeurs", souligne M. Cassen. Ce qui, selon Pierre Khalfa, membre du bureau de l'association, "passe par un renforcement des liens avec les luttes des salariés". Pour M. Khalfa, "on assiste à un début de remobilisation sociale non négligeable depuis la rentrée. Et, sur ce terrain, Attac doit passer la vitesse supérieure".
La seconde mission n'est pas plus simple. "Pour que la décantation des esprits aille plus loin, pour prouver qu'il n'y a pas que Raffarin, Strauss-Kahn ou Fabius, il faut désormais obtenir des victoires concrètes", explique M. Cassen. Des petites victoires immédiates à arracher car, si Attac relève "une pénétration accrue de ses idées"depuis quatre ans, elle constate qu'elle n'a pas encore réussi à peser sur un gouvernement.
Muni de ce plan de vol, Jacques Nikonoff, le nouveau président de l'association, va devoir piloter au plus serré. Car s'il est une chose qui unit aujourd'hui l'ex-gauche plurielle - dans toutes ses composantes - à l'extrême gauche, incarnée notamment par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), c'est l'intérêt porté à Attac.
Dans le paysage sinistré de l'après-21 avril, Attac fait plus que jamais figure, pour la gauche traditionnelle, de repère et de bouée de sauvetage. "Il y a trois ans, il était difficile à gauche d'aborder la question de la mondialisation et de ses effets. Aujourd'hui, je vois se multiplier les déclarations d'hommes politiques éminents", s'amuse Claude Saulnier, sénateur et maire PS de Saint-Brieuc, adhérent de la première heure. Il est vrai qu'il n'est plus un responsable de gauche qui ne mentionne l'association pour louer ce nouveau militantisme ou évoquer ce "mouvement social" dont il faudrait se rapprocher.
"GROS GATEAU APPÉTISSANT"
Du coup, dans les rangs de l'association, beaucoup ont désormais le sentiment d'être regardés comme un "gros gâteau appétissant sur une table". Fortement sollicitée dans les débats qui agitent la gauche, Attac n'entend pas être entraînée sur le terrain de la recomposition politique. "Il est hors de question pour Attac d'être partie prenante de quelque construction que ce soit", avertit Bernard Cassen. "Jamais !", insiste-t-il. "S'il y avait un choc du type grosse scission au PS, Attac serait interpellée", estime pour sa part Pierre Khalfa. Mais il ajoute : "Ce qui est sûr, c'est que, vu le paysage actuel, Attac ne participera pas à une combinaison." M. Nikonoff est d'autant plus attendu sur ce terrain qu'il était, jusqu'à sa démission, en octobre 2001, membre des instances nationales de direction du PCF. " Ce qui n'est pas forcément une garantie d'indépendance totale ", soupire Serge Le Quéau, membre du conseil d'administration de l'association.
Mais il n'y a pas que la gauche plurielle. L'attention bienveillante de la LCR est également pointée du doigt. Les conditions d'investiture de certains candidats au conseil d'administration ont provoqué ici ou là des crispations. Au sein d'Attac, certains prêtent à la LCR l'intention de vouloir utiliser l'association pour jeter les bases d'une Ve Internationale. "Des membres du conseil d'administration se sont récemment inquiétés des risques d'entrisme et de récupération qui menacent l'association et plus largement le mouvement antimondialisation", déclare M. Le Quéau, qui se range parmi eux. Il se dit, tout comme M. Cassen, "agacé" par le comportement, jugé trop activiste, de la LCR, lors du Forum social européen de Florence en novembre. "L'antimondialisation libérale n'appartient pas plus à Attac qu'elle n'appartient à Olivier Besancenot ou à un autre responsable politique", indique M. Cassen, qui entend plus que jamais à l'avenir revêtir les habits de gardien du temple.
Alors que l'on s'agite beaucoup autour d'elle, l'association a d'autres problèmes à régler. Absent des priorités affichées, l'approfondissement de la démocratie interne demeure pourtant un sujet important de préoccupation pour ses adhérents. Les fondateurs du comité local d'Aix-en-Provence ont décidé de frapper les esprits en diffusant, à quelques jours de l'assemblée générale, un texte intitulé "Pourquoi nous quittons Attac". "Le fonctionnement d'Attac manifeste la croyance que la démocratie est pesante et qu'il faut s'en remettre au pouvoir et à la clairvoyance d'un seul ou d'un groupe dirigeant auto-institué", écrivent-ils. Et de conclure : "Un large mouvement de contestation du système néolibéral est en marche, c'est bien. Mais nous ne reconnaissons pas, dans les pratiques d'Attac, un modèle pour l'avenir." Pour Attac, ce modèle reste à inventer.
Caroline Monnot
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.12.02
Attac, bouée de sauvetage de la gauche réformiste ?