D'une époque à une autre

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Antemonda » 10 Fév 2012, 15:31

Bonjour à tous; je suis un jeune (19 ans) nouveau parmi vous !

Alors que je navigue toujours un peu plus dans les ouvrages de Marx, Lénine et Trotski, j'ai une question qui n'a toujours pas trouvé de réponses : Si le marxisme a expliqué le mouvement de la féodalité vers la révolution française bourgeoise, et plus globalement, vers la révolution industrielle, j'aimerais comprendre ce qui a fait que nous sommes passés de l'Antiquité au féodalisme en revanche.

En effet, quel mécanisme a fait abolir l'esclavage ? Les invasions nordiques ?
Et de même : Comment expliquer géopolitiquement et historiquement l'abolition de l'esclavage des noirs en Amérique du Nord. Parce qu'on ne (me) présente les nordistes que comme de grands hommes aux tout aussi grands cœurs. J'ai besoin d'une bonne explication matérialiste, et pourquoi pas un cours d'Histoire intégral !

Et, enfin, j'ai encore une question : La "Renaissance", en fait, ce sont les prémisses de la bourgeoisie ? La petite bourgeoisie commençant à pointer le bout de son nez. Et pourquoi la Renaissance est-elle tant inspirée de l'Antiquité ?



En espérant avoir la réponse à mes questions sans vous épuisez de trop !
A bientôt,
Maxence.
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Message par quijote » 10 Fév 2012, 17:25

On n 'a pas aboli l'esclavage dans l 'Antiquité . Il est tombé en désuétude . Car il n 'était plus rentable . "Latifundia perdidere Roma ". Les esclaves qu on faisait travailler à Rome sur de grandes propriétés où l 'on pratiquait l 'élevage , car c'est tout ce que l 'on pouvait leur imposer , des historiens latins en conclurent que ce sont les latifundias qui ont été la cause de la ruine et de la décadence romaine . en réalité le travail servile est peu productif . Car il n 'y a aucun "intéressement " de la force productive ( l 'esclave) . C'est pourquoi bien des esclaves furent affranchi et l 'on développa le servage . Le serf doit des droits au seigneur , des corvées , récupère une partie ( petite ) de ce qu 'il produit mais reste fixé sur la terre du seigneur qui lui accorde en revanche sa protection. Voilà l 'explication ,en gros , que Marx et les historiens matérialistes donnent du passage de l'esclavage comme mode de production dominant au servage en Europe .
Quant aux USA , c'est la pression de la bourgeoisie industrielle du Nord qui avait besoin de main d'oeuvre à bon marché qui a poussé le Nord à imposer l 'abolition de l 'esclavage au Sud. Une motivation poussée par l 'intérêt , pas au nom de considérations "morales"...
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Message par nnscrrtl » 10 Fév 2012, 20:29

Rapidement, si t'as envie de lire, et sans que ça puisse répondre complètement :
- Le CLT no. 79 porte sur "Capitalisme et esclavage" : http://www.lutte-ouvriere.org/documents/ar...-de-l-abolition
- Et on peut aussi conseiller le bouquin d'E. Williams sur la question : http://www.archive.org/stream/capitalisman...age/n7/mode/2up (Il existe en français mais pas en ligne).

Et j'en dis pas plus parce que je dois me tirer. :-)
nnscrrtl
 
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Message par Antemonda » 17 Fév 2012, 17:08

a écrit :On n 'a pas aboli l'esclavage dans l 'Antiquité . Il est tombé en désuétude .


En effet, je suis allé trop vite en besogne en classant le passage de l'Antiquité à la Féodalité par une simple "abolition de l'esclavage"; simple étourderie !

Sinon, le lien sur le "n°79" est excellent voir génial ! Je ne connaissais pas ce "cercle" de lecture, et c'est vraiment ce qui me plait et intéresse. Immenses remerciements pour m'avoir fait découvrir cela !

Néanmoins, j'aimerais comprendre plus précisément en quoi l'esclavage est anti économique. C'est une affaire de consommation ?

Sinon je viens de mieux me faire apparaitre les choses. Déjà parce que je ne vois plus l'esclavage, le servage et le salariat moderne comme 3 entités distinctes aussi aisément. J'ai cru comprendre que l'esclavage existait encore, selon certaines formes, avec le servage, puis avec le salariat moderne*. Peut-on dire pareil du servage ? Qu'il existerait toujours avec le salariat moderne en quelques endroits ? Ah, et existait-il déjà dans l'Antiquité des formes de servages, peut être ?


*Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : "L’esclavage est la première forme de l’exploitation, la forme propre au monde antique ; le servage lui succède au Moyen Age, le salariat dans les temps modernes. Ce sont là les trois grandes formes de la servitude qui caractérisent les trois grandes époques de la civilisation, [...] l’esclavage, d’abord avoué, et depuis peu déguisé, subsiste toujours à côté d’elles".".
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Message par Zelda » 17 Fév 2012, 18:32

a écrit :Je ne connaissais pas ce "cercle" de lecture, et c'est vraiment ce qui me plait et intéresse.


En fait, c'est une conférence tenue par des orateurs de Lutte Ouvrière.
Elle est publique et a lieu à peu près tous les mois, à Montreuil, métro Robespierre.
Puis ensuite, on peut l'écouter en audio, en vidéo, ou la lire en brochure (CLT dans le jargon de Lutte Ouvrière). Plus, on peut pas. :-)

http://www.lutte-ouvriere.org/documents/ar...eon-trotsky-62/

http://www.lutte-ouvriere.org/documents/mu...on-trotsky-173/

Sinon, j'ai pas de réponses mais toutes les questions de ton premier message m'intéressent au plus haut point. J'ai hâte de continuer à lire ce fil. :hinhin:
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Message par Jacquemart » 17 Fév 2012, 19:16

Bon, allez, je me lance.

a écrit : j'aimerais comprendre ce qui a fait que nous sommes passés de l'Antiquité au féodalisme en revanche. En effet, quel mécanisme a fait abolir l'esclavage ? Les invasions nordiques ?


Sur tout cela, autant je crois qu'il y a un consensus général parmi les marxistes sur les (très) grandes lignes, autant, dans les (gros) détails, les désaccords sont nombreux. Il n'est déjà pas évident de dater les phénomènes. Pour certains, l'esclavage était déjà en net recul dès le IIIe siècle dans l'empire romain d'occident, et il était déjà remplacé par une nouvelle forme (le colonat) très proche du futur servage. Oui, mais pour d'autres, l'esclavage, avec des hauts et des bas, est resté très vigoureux jusqu'au Xe siècle - il y avait sans doute plus d'esclaves dans la France actuelle sous Charlemagne que sous les romains - et ce n'est que vers 950 que la société a brutalement basculé vers une nouvelle structure.

Tout ça pour dire que les questions restent ouvertes et sujettes à l'investigation scientifique (ne serait-ce que de savoir précisément ce qui définissait le servage. Là aussi, quand on lit de près les spécialistes, on a de drôles de surprises par rapport à ses schémas appris à l'école primaire).

Sur le fond cependant, il ne fait guère de doute que le servage, en permettant aux exploités d'être reconnus comme des personnes humaines, de fonder une famille et d'être intéressés à une partie de leur production, était porteur de progrès économiques dont l'esclavage était difficilement capable.

a écrit :Et de même : Comment expliquer géopolitiquement et historiquement l'abolition de l'esclavage des noirs en Amérique du Nord. Parce qu'on ne (me) présente les nordistes que comme de grands hommes aux tout aussi grands cœurs. J'ai besoin d'une bonne explication matérialiste, et pourquoi pas un cours d'Histoire intégral !


Pour faire très court : il y avait un conflit d'intérêt irréconciliable entre le capitalisme industriel libéral du Nord, qui avait l'Angleterre comme concurrente et prêteuse, et le capitalisme (car c'en était bien un) agricole et esclavagiste du Sud, qui avait l'Angleterre comme cliente. Tout ça est expliqué par Marx lui-même dans une série d'articles heureusement disponibles sur http://www.marx.org, sous le titre la guerre civile aux Etats-Unis. De mémoire, l'article qui correspond le plus à tes questions est le 1.2, la guerre civile américaine.

a écrit :Et, enfin, j'ai encore une question : La "Renaissance", en fait, ce sont les prémisses de la bourgeoisie ? La petite bourgeoisie commençant à pointer le bout de son nez. Et pourquoi la Renaissance est-elle tant inspirée de l'Antiquité ?

Pour le début, oui. Pour la fin, je suggérerais prudemment parce que l'Antiquité avait déjà vu un certain développement de l'économie marchande, et d'un ancêtre de la bourgeoisie, et avait donc secrété des formes juridiques, politiques et philosophiques réutilisables. Et puis, il est toujours plus facile, même pour des idées neuves, de se présenter dans de vieux habits. Mais bon, des camarades plus compétents que moi sur le sujet te répondront sans doute bien mieux.
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Message par Jacquemart » 17 Fév 2012, 22:49

Ah, et puis il y a cela, aussi :

a écrit :Sinon je viens de mieux me faire apparaitre les choses. Déjà parce que je ne vois plus l'esclavage, le servage et le salariat moderne comme 3 entités distinctes aussi aisément. J'ai cru comprendre que l'esclavage existait encore, selon certaines formes, avec le servage, puis avec le salariat moderne. Peut-on dire pareil du servage ? Qu'il existerait toujours avec le salariat moderne en quelques endroits ? Ah, et existait-il déjà dans l'Antiquité des formes de servages, peut être ?


Pour commencer par la première question, le capitalisme, au moins dans sa phase de développement, ne s'est pas partout accompagné de la généralisation du salariat libre. Il a eu même une franche tendance, dans bien des régions du monde, à créer, ou à développer, des formes "archaïques" telles que l'esclavage (dans le Sud des Etats-Unis), le servage (en Europe de l'Est) et mille autres formes de contrainte de la main d'oeuvre (notamment, mais pas seulement dans les mines et plantations d'Amérique Latine). Même aux Etats-Unis ou en Angleterre, par exemple, le salarié était loin de pouvoir quitter librement un emploi, et ces interdictions s'accompagnaient de mesures pénales.

Tout cela, sans parler bien évidemment des différentes formes de travail forcé qui ont accompagné le colonialisme.

Pour la seconde question, l'esclavage est très, très loin d'être la seule forme juridique de l'exploitation dans l'Antiquité (qui de ce point de vue, se prolonge très tard en Europe). Il existait une myriade de formes, qu'on connaît souvent assez mal (uniquement par un texte ou deux, sans être capable de connaître le vrai sens du mot employé par l'auteur antique). J'avais lu il y a quelques années un article de Moses Finley, un historien marxisant, qui m'avait semblé une très bonne synthèse de la question : "Entre l'esclavage et la liberté", publié en collection de poche dans le receuil "Economie et société en Grèce ancienne", qui contient bien d'autres articles tout aussi intéressants.
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Message par quijote » 18 Fév 2012, 00:22

Pour aller un peu dans le sens de ce que dit Jacquemart , dans la littérature picaresque du 16 ème siècle espagnol , il est souvent question d'"esclavo" .. le Picaro parle de son '"esclave" ..comme il ne s'agit pas d'un indien ramené d 'Amérique , mais bien d'un autochtone , je me demande quel sens on peut attribuer dans l Espagne du 16ème .et si la distinction était nette . Je crois qu'il s'agit d'un serviteur , tellement assujéti et soumis à son maître que celui-ci parle de lui comme de son "esclave" ..Je pense aussi que la différence entre le "vasallo" , le serf et l '"esclave" ne devait pas être très claire .. c'est vrai qu'en Espagne au 16 ème siécle ( pas dans l 'Espagne d Ultra Mar) la vente des esclaves n 'existait pas .. pas de marché aux esclaves comme dans les "indes occidentales " (les colonies espagnoles d' 'Amérique)En Espagne c'est l 'Eglise qui s'y opposait....
Autre point , l 'esclavage existait dans le pourtour méditerranéen et Cervantes lui même fut esclave pendant 5 ans dans les "bains" d Alger .. sa famille avait tenté de le racheter et il put s'évader ..( cet épisode , vous le retrouvez dans la nouvelle du "Cautivo" qui fait partie du Don Quichotte . Le "cautivo" c'est l propre histoire de Cervantes , l 'histoire de sa captivité et de son évasion , mais romancée bien sûr..
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Message par Antemonda » 21 Fév 2012, 03:31

D'abord merci pour toutes ses réponses éclairantes et limpides (et cet idiot de lien sur le cercle L.Trotski qui mange mes journées en lectures !)


Je reviens à l'assaut en distordant un peu le titre de ce fil, avec une nouvelle question :


On sait que pour Marx, l'idéologie dominante d'une époque n'est que l'idéologie de la classe dominante. Et que par-delà, changer la société change les esprits.

En URSS, début, milieu et fin, les habitants vivaient-ils véritablement avec une mentalité autre ? Comme "deux époques" au même moment !? Et socialement, psychologiquement même, le passage vers la chute de l'Union, a t'il été remarquable ? Des réflexes, des automatismes de pensées ont-ils existé sous l'URSS de manière claire ? Car j'ai l'impression que les russes notamment avait une mentalité, une façon de vivre pas tellement différente de la notre; à un niveau philosophique, j'entends. Vrai ? (ce qui laisse supposer soit une erreur de constat, soit une erreur de doctrine, soit une erreur de, euh, communisme (comme je l'imagine)).


Je développe. Par exemple, de par chez nous, en occident, le tic de pensée, enfant de rock'n'roll et de démocratie participative, c'est la phrase typique du genre "chacun sa vérité", "chacun ses goûts", "si tu n'aimes pas, critique pas", ainsi qu'une profonde recherche de la tolérance pour tout sujet, etc.. C'était pareil, là-bas ? Est-ce qu'ils avaient un système de pensée, profondément partagé, autre ?



PS : Bonne nuit !

PS 2 : Quelqu'un rapidement pourrait m'indiquer ce qu'Engels et Marx ont pu reprocher par la suite au manifeste (écrit de jeunesse) ? Je suis curieux de savoir quelles sont les phrases qu'ils auraient reformulés ou purement barrés. Il y a des textes plus tard qui corrigent les écrits passés (de manière plus ou moins explicite) ? La phrase "l'idéologie dominante d'une époque n'est [...]", elle est toujours validée par la suite de ses réflexions par exemple ?
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Message par quijote » 21 Fév 2012, 16:47

(Antemonda @ mardi 21 février 2012 à 03:31 a écrit : D'abord merci pour toutes ses réponses éclairantes et limpides (et cet idiot de lien sur le cercle L.Trotski qui mange mes journées en lectures !)


Je reviens à l'assaut en distordant un peu le titre de ce fil, avec une nouvelle question :


On sait que pour Marx, l'idéologie dominante d'une époque n'est que l'idéologie de la classe dominante. Et que par-delà, changer la société change les esprits.

En URSS, début, milieu et fin, les habitants vivaient-ils véritablement avec une mentalité autre ? Comme "deux époques" au même moment !? Et socialement, psychologiquement même, le passage vers la chute de l'Union, a t'il été remarquable ? Des réflexes, des automatismes de pensées ont-ils existé sous l'URSS de manière claire ? Car j'ai l'impression que les russes notamment avait une mentalité, une façon de vivre pas tellement différente de la notre; à un niveau philosophique, j'entends. Vrai ? (ce qui laisse supposer soit une erreur de constat, soit une erreur de doctrine, soit une erreur de, euh, communisme (comme je l'imagine)).


Je développe. Par exemple, de par chez nous, en occident, le tic de pensée, enfant de rock'n'roll et de démocratie participative, c'est la phrase typique du genre  "chacun sa vérité", "chacun ses goûts", "si tu n'aimes pas, critique pas", ainsi qu'une profonde recherche de la tolérance pour tout sujet, etc.. C'était pareil, là-bas ? Est-ce qu'ils avaient un système de pensée, profondément partagé, autre ?



PS : Bonne nuit !

PS 2 : Quelqu'un rapidement pourrait m'indiquer ce qu'Engels et Marx ont pu reprocher par la suite au manifeste (écrit de jeunesse) ? Je suis curieux de savoir quelles sont les phrases qu'ils auraient reformulés ou purement barrés. Il y a des textes plus tard qui corrigent les écrits passés (de manière plus ou moins explicite) ? La phrase "l'idéologie dominante d'une époque n'est [...]", elle est toujours validée par la suite de ses réflexions par exemple ?

puisque tu abordes trop de points pour qu 'on puisse répondre à tous , concernant l 'URSS , la disparition de celle-ci a été vécue par beaucoup comme un véritable traumatisme économique mais aussi psychologique . ça s'est traduit par un plus grand nombre des suicides ..un recul de l 'espérance de vie , une baisse de la natalité .. tout ce qu 'on sait ( si je me base sur certains témoignages : pour les soviétiques , ne plus avoir de salaire assuré , découvrir le chômage , ne pas avoir accès aux soins automatiquement, ça a été très durement vêcu alors que nous en Occident on est en quelque sorte "habitués" ....
quijote
 
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