Deux articles de Combat Ouvrier du 21 fevrier :
a écrit : HAÏTI
Vers une intervention militaire (américaines ou française?)
Au moment où nous écrivons, les évènements d’Haïti ont franchi un nouveau cap avec pratiquement la coupure en deux du pays entre le nord contrôle par les forces armées de l’ex-armée cannibale apparemment rejointe aujourd’hui par d’ex-militaires et civils para- militaires qui avaient fait le coup d’état de 1994. Plusieurs villes du centre et du nord sont aux mains des «rebelles» qui se nomment eux mêmes Front de libération de l'Artibonite. Et qui menacent de marcher sur Port au Prince.
C’est parce que cette menace devient plus qu’une simple rodomontade de bandes armées que les grandes puissances voudraient bien soutenir Aristide, au nom de l’ordre, de la légalité (dont ils ne s’embarrassent eux-mêmes pas beaucoup: voir les justifications mensongères de l’intervention américaine en Irak) ; mais c’est de «leur» ordre qu’il s’agit. Laisser aller les choses en Haïti risque d'aboutir à une situation incontrôlable aux portes mêmes des Etats-Unis, avec des conséquences incalculables, avec déjà celle de voir se déverser vers la Floride tous les "miséreux" chassés d'Haïti par l’aggravation brutale de la situation.
Les faits nouveaux de la situation, l'arrivée en renfort pour les rebelles de Gonaïves, d’ex-putschistes de 1991, la prise d’une grande ville comme Hinche et pratiquement le contrôle de Saint-Marc, un port où arrive marchandise, produits pétroliers et drogues, pousseront probablement les puissances internationales à intervenir pour empêcher le renversement par la force du régime de Aristide.
Mais si elles le font ce sera une autre façon pour Aristide de «tomber», de n'être plus qu'un pantin sans pouvoir. On peut toutefois se poser la question: la menace que font peser de ces ex-putschistes ne va t elle pas faire renaître la volonté des masses pauvres de le soutenir ou de s’opposer à ceux qui sont les ennemis et les assassins de 1994? Mais il est probablement top tard pour une telle réaction, dans un peuple qui a été trompé, écrasé en 1991, trahi de nouveau par le nouvel Aristide en 1994 et depuis 2000, où il fut réélu, un peuple qui est sous la pression de bandes de voyous subventionnés, cyniquement utilisés par Aristide. Il y a, malheureusement, peu de chance que dans la population se réveille un tel instinct de protection contre ces ex putschistes, alliés aux voyous de Gonaïves. Tous ces gens sont aussi des ennemis mortels de la population. Ce sont des trafiquants et mafieux qui ne se battent pour aucun idéal, pour aucune politique de changement mais tout simplement pour conserver la main mise sur leur fief, sur les trafics de drogue et de marchandises diverses auxquels ils se livrent sur le port de Saint-Marc et à Gonaïves.
Qui se lèvera pour défendre le régime lui-même archi-corrompu d’Aristide? Personne, à part une «mission militaire» de l’ONU, si les Américains l’autorisent, et/ou de la France qui par la bouche Dominique de Villepin, le ministre des affaires étrangère français, a déjà proposé ses bons offices. Il a proposé de faire des Antilles dites françaises, la base de départ pour une telle intervention. La proposition de Villepin était d’ailleurs assez ambiguë où il mélangeait volontairement les interventions humanitaires, l'assistance technique et économique avec l’intervention militaire! On verra bien si les dirigeants américains préfèrent laisser ce rôle à la France et se dessaisir du "dossier haïtien" plutôt que régler les problèmes de leur « arrière-cour » eux-mêmes.
Pendant ce temps, depuis 48 ans, un peuple est écrasé, laminé et souffre sous la botte des dictateurs civils ou militaires. En 48 ans les Haïtiens sont passés par les macoutes, les militaires, puis par les "chimères" d'Aristide. Aujourd’hui, ils sont sous la menace de la bien nommée "armée cannibale" de Gonaïves. Alors les grandes puissances, et spécialement la France et les Etats-Unis qui se bouchent le nez ou veulent aller jouer les arbitres, ont plus que leur part de responsabilité dans cette situation.
Il faut comprendre qu’historiquement elles ont fait payer très cher aux ex-esclaves noirs d‘Haïti leur audace de s'être libérés eux-mêmes de l'esclavage et cela en battant de vraies armées occidentales (françaises) lancées à leurs trousses. On leur a fait payer chèrement, tout au long du dix-neuvième et vingtième siècle, le fait d’avoir proclamé la première république noire. Ils ont dû vivre en autarcie, sous surveillance, coupé d’un monde où, pendant des dizaines d’années, a régné encore l'esclave (Etats-Unis: abolition en 1865!) et donc en vase clos. C’est dans ces conditions qu’a bouillonné le chaudron de sorcières d'où sont sortis les différents régimes dictatoriaux qui ont écrasé leur propre peuple depuis deux siècles, avec la bénédiction du grand voisin, pourvu que l’ordre fût respecté à leurs portes et que la misère fût contenue à l’intérieur du chaudron.
a écrit :
HAÏTI
La population pauvre victime de la guerre des gangs
Les gardes côtes américains ont déclaré être sur leurs gardes et ont prévenu que la base de Guantanamo à Cuba est prête à accueillir de nouveau des centaines de boat-people. Ils essaient ainsi de dissuader ceux qui seraient tentés de quitter Haïti par tous les moyens.
Les pauvres voient de nouveau le chemin de la mer comme issue à la situation qui devient intenable. Ils sont pris en étau entre des bandes armées rebelles, les forces de police d’Aristide qui brûlent tout sur leur passage d’une part et d’autre part des opposants, politiciens qui ne sont intéressés que par la prise du pouvoir.
Les «rebelles», ces anciens chimères qui ont retourné leur armes contre leur ancien patron Aristide, ont reçu l’appui de Louis-Jodel Chamblain et de l'ex-commissaire Guy Philippe, anciens putschistes à la solde de Raoul Cédras et Toto Constant. Tous deux sont revenus en Haïti alors qu'ils étaient en exil en République Dominicaine voisine avec pour but, selon eux, de s’attaquer à Port-au-Prince. En attendant, le «Front de résistance de l’Artibonite», comme ils se nomment, s’attaque à la population de la zone allant de Gonaïves à St Marc en débordant sur le plateau central, qui est rançonnée et est victime dans les affrontements. Dans les zones du pays où les Aristidiens contrôlent la situation, comme le département de l’Ouest et de Port au Prince, c’est sous la menace des chimères qui quadrillent les quartiers. Dimanche 15 février, une manifestation de la Plate-forme de l’opposition a été bloquée sur la route de Delmas par les «chimères» soutenus par les policiers tirant des grenades lacrymogènes. Tout en déclarant son soutien à la population du Nord du pays qui réclame le départ d’Aristide, le patron André Apaid, coordonnateur du Groupe des 184, a pris ses distances avec le mouvement armé des Gonaïves. Il rappelle le «caractère pacifique de la mobilisation anti-Lavalas».
Ce pacifisme, les patrons ne l’appliquent pas dans les entreprises qu’ils dirigent où ils continuent à exploiter les ouvriers pour le salaire dérisoire de 76 gourdes, inférieur à 2 euro, pour 8h de travail et où les ouvriers sont révoqués à la moindre allusion politique.
Les spéculateurs sont à leur aise et la gourde chute sur le marché des devises à un euro pour 59 gourdes. Cette situation d’affrontement, de désordre, favorise tous les rackets : Les prix des denrées de base flambent, les transports publics n’existent plus et c’est à la tête du client, le pétrole lampant devient une denrée rare, les agressions se multiplient, on est à la merci du premier venu porteur d’une arme. Dans les provinces du Nord dont la route d’accès est coupée à Gonaïves, la situation qui était précaire est devenue catastrophique pour la population pauvre.
Les combats que mènent Aristide et ses forces de répression n’ont pour but que de s’accrocher au pouvoir, ils sont lâchés par ceux qui sentent le vent tourner. Les gouvernements américain, canadien, français demandent à leurs ressortissants de quitter Haïti. Alors que les nantis quittent le pays, les bourgeoisies de St Domingue, des USA, du Canada mettent un cordon de sécurité pour empêcher aux pauvres de fuir par la mer.