France 24, 24/06/2025 a écrit :Israël : quand des Arabes israéliens se voient refuser l’accès aux abris anti-missilesAlors que le cessez-le-feu entre Israël et l'Iran reste fragile, de plus en plus de refus d’accès aux abris anti-missiles touchant notamment les citoyens arabes israéliens ont été constatés ces derniers jours. Une discrimination dénoncée par certains acteurs de la vie sociale et politique de l'État hébreu.Nasser Kteilat vit dans la municipalité de Tel-Aviv-Jaffa, il est Arabe israélien (un citoyen israélien issu de la population arabe). Le premier jour des bombardements iraniens, le 13 juin, il s’est rendu dans un abri sécurisé proche de son appartement.
Les bombardements ont commencé ici. C’était tout près de chez nous, comme souvent. La plupart du temps, les bombardements sont à Tel-Aviv. D’habitude, pendant les attaques précédentes, avec le Hamas, on descendait dans les escaliers de l’immeuble. Là, c’était différent. C'étaient des roquettes iraniennes, beaucoup plus grosses, plus dangereuses.
Notre immeuble est un immeuble mixte : arabes, juifs, chrétiens. Donc, on est descendus le premier jour et des voisins étaient là. On s’est assis, chacun de notre côté. Ils nous regardaient avec énormément de colère. C’était seulement pour 15 minutes, alors ça allait. On a l’habitude… On est les Arabes ici… Ils ne nous aiment pas.
Puis, quand c’était fini et qu’on a voulu ressortir, une jeune femme nous a arrêtés. Elle parlait comme si elle était désolée, qu’elle nous aimait bien, mais elle a dit que les voisins avaient décidé de ne plus laisser personne entrer à la prochaine alerte. Ce qui est étrange, c’est qu’elle n’habite même pas dans l’immeuble et c’est elle qui nous traitait d’étrangers.
Je suis revenu le lendemain. Et avant même d’arriver, ils avaient changé le code, ils ne voulaient pas qu’on entre. J’ai alors appelé le centre municipal. Une femme a décroché, et elle a commencé à dire : “Oui… ils ne vous laissent pas entrer parce que vous êtes Arabes.”
J’y suis retourné le lendemain, à cause d’une nouvelle alerte. Un voisin était dehors, et il m’a donné le nouveau code. Le code c’était 1948 [ndlr : l’année de l’expulsion des Palestiniens du nouvel État d’Israël, connue par les Palestiniens comme la “Nakba”, ou “catastrophe.”]
C’est triste, c’est affreux. On se sent chez soi et en même temps étranger. On n’est plus les bienvenus.
Cet événement est loin d’être isolé. Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos circulent depuis les premières attaques iraniennes le 13 juin, montrant des scènes où des personnes, souvent des Arabes israéliens, ne peuvent pas accéder à des abris protégés par des Israéliens.
Contacté par la rédaction des Observateurs, le député israélien Ofer Cassif, élu sur la liste Hadash-Taal, alliance de deux partis de gauche, explique :
Depuis le début de la guerre avec l’Iran, il y a malheureusement de nombreux cas quotidiens de personnes qui doivent se réfugier dans des abris à cause des sirènes. Mais chaque jour, on recense aussi des cas de personnes qui se voient refuser l’entrée dans ces abris. Des cas ont été signalés, principalement concernant des citoyens arabes, mais aussi des travailleurs étrangers, des familles venues d’Ukraine, des personnes avec des animaux de compagnie.
Ces incidents ne concernent pas uniquement des Arabes israéliens, une famille a été empêchée d’entrer parce qu’elle avait des enfants. D'autres ont été repoussées parce qu’elles venaient d’un autre immeuble. Refuser l’accès à un abri est illégal : la loi stipule que toute personne cherchant refuge doit pouvoir accéder à un abri, que ce soit public ou privé.
Le 19 juin, le député a interpellé via son compte X le Commandement du Front Intérieur [ndlr : une branche des Forces de défense israéliennes chargée de la protection de la population civile]. Il a demandé la mise en place d’une ligne téléphonique dédiée au signalement des refus d’accès aux abris lors des alertes, en réaction à ces actes discriminatoires. Dans sa lettre, il dénonce "un phénomène fondamentalement répréhensible qui touche principalement les couches les plus vulnérables de la société et les minorités, qui souffrent de graves lacunes en matière de protection et d'intégration, ainsi que de discrimination raciale et sociale."
Si ces actes discriminatoires visent aussi bien des travailleurs étrangers, que des Arabes israéliens ou même des Israéliens, Ofer Cassif souligne que "parmi la dizaine de cas recensés, la plupart concernaient principalement des citoyens arabes".
Des mesures de protection inégales entre communautés arabes et israéliennesÀ Tamra, dans le nord d’Israël, un missile iranien a tué quatre femmes et blessé une dizaine de personnes, le 14 juin dernier.
Le député Ofer Cassif explique :
Dans cette ville arabe de près de 40 000 habitants, il n’y a aucun abri public. À quelques kilomètres de Tamra, une communauté juive de moins de 10 000 habitants dispose de plus de dix abris. En Israël, sur environ 9 à 10 millions de personnes, près de 2,5 millions n’ont pas accès à un abri ni même à une pièce sécurisée. Les Arabes sont les plus touchés, mais pas uniquement. C’est une problématique de discrimination raciale institutionnalisée.
Selon un rapport de 2018 du Contrôleur de l'État d'Israël sur la protection des civils non-juifs, 46 % des citoyens arabes en Israël n'ont pas accès à des espaces de protection adéquats, contre 26 % de la population générale.
De nombreuses ONG israéliennes, dont l'organiation Sikkuy-Aufoq qui œuvre pour l’égalité et le partenariat entre citoyens juifs et arabo-palestiniens, dénoncent depuis des années des inégalités structurelles en matière de protection civile. Cette ONG souligne donc un écart important dans l’accès aux abris publics.
Autre exemple : le long de la Route 85 - l'un des axes les plus importants de Galilée qui relie l’ouest à l’est de cette région - les localités arabes ne disposent que d'un abri pour 26 000 habitants, contre un pour 440 dans la ville juive voisine de Karmiel, selon l’ONG. La possibilité d’installer des pièces protégées (appelées “mamad”) dans les logements privés arabes est également fortement empêchée par des obstacles juridiques, qui excluent de nombreux foyers arabes.
De plus, l’ONG Sikkuy-Aufoq alerte sur l’accès limité à l’information sur le sujet, notamment en raison de documents non traduits en arabe, freinant les demandes d’exemptions administratives qui servent à faciliter ces constructions. Ces inégalités se retrouvent aussi dans les protections situées dans les écoles : 26 % des établissements arabes ne disposent pas d’infrastructure de protection adéquate, contre 13 % dans les localités juives.
"Ils essaient de trouver des solutions seuls"Ces discriminations concernent aussi les Bédouins, pour la plupart des Arabes israéliens, qui habitent des villages non reconnus par l’État israélien, notamment dans le sud du pays, dans le désert du Néguev. Comme le rappelle le député Ofer Cassif :
La plupart de ces villages existaient avant même la création d’Israël. L’État les considère comme illégaux, donc ils n’ont pas accès aux infrastructures de base : pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de gaz… et aucun abri. Les habitants n’ont donc nulle part où aller en cas d’alerte.
Même dans les villes censées être pourvues de services de base, environ la moitié des habitants n’ont pas accès à des abris anti-missiles, selon l’ONG Adallah, qui œuvre pour protéger les droits des Palestiniens citoyens d’Israël. Dans les villages reconnus comme dans ceux qui ne le sont pas, la situation est similaire : peu ou pas de routes, d'infrastructures, d'abris ou de sirènes d’alerte. Statut légal ou non, les conditions de vie restent extrêmement précaires.
Selon Marwan Abu Frieh, coordinateur régional pour la région du Néguev et chercheur de terrain :
Ces communautés auraient besoin de plus de 12 000 abris pour être correctement protégées.” Aujourd’hui, l'ONG, aidée par d’autres organisations israéliennes et étrangères, a réussi à en rassembler seulement 350.
Face à l'absence d’aide du gouvernement israélien, des ONGs comme Adallah et des municipalités tentent de s’organiser pour installer des abris mobiles, dont le coût minimal atteint 50 000 shekels (12 à 14 000 dollars).
Depuis le 7 octobre, ils essaient de trouver des solutions seuls. Certains se cachent sous les ponts des autoroutes, d’autres enterrent des conteneurs dans le sol pour s’en servir comme abris pour les enfants, les personnes âgées, les mères… Beaucoup de Bédouins n’ont rien. Si tu n’as pas internet sur ton téléphone, tu ne peux même pas recevoir les alertes de sirène. Et si tu n’as pas d’abri… tu n’as aucun endroit où te réfugier. Les enfants ont peur, les hommes et les femmes aussi. Ils courent sous les ponts quand les sirènes retentissent. Certains y restent jour et nuit.
Pourtant, plus de 130 000 personnes vivent sans aucune protection, sans aide, car le gouvernement refuse d’intervenir dans les villages non reconnus, considérant qu’ils n’ont pas de statut légal. Dans ces localités, toute construction est jugée illégale faute de permis. Mais même dans les villages reconnus, les habitants se heurtent au même blocage : aucune autorisation n’est accordée. Selon les autorités, cela relève de la sécurité nationale et du commandement militaire, hors du champ de la Cour suprême. "Mais ce n’est pas seulement une question d’abris", insiste Marwan Abu Frieh, "Il n’y a pas de services publics : pas d’écoles, pas de jardins d’enfants, pas de centres médicaux, rien."