Etendre une nouvelle logique

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par piemme » 15 Déc 2006, 11:18

Le poscast est parfois utile ; pas toujours intéressant, mais utile. J'ai écouté une vieille émission de l'infréquentable Finkielkraut consacrée au "nouvelles radicalités" (Répliques, France Culture, le 4/11/2006). Deux invités, dont Daniel Bensaïd qui réussit l'exploit de ne jamais prononcer les mots "prolétariat", "classe ouvrière" et "lutte de classe". A total (ci-après les passages les plus... euh... disons "étonnants"), le sentiment que Bensaïd ne croit plus... disons qu'il imagine que la révolution ne sera pas... qu'il faut qu'elle soit plutôt... comment dire ?... En tous les cas, il se réfère toujours autant à Gramsci et Castoriadis pour étayer ses propos ; deux auteurs qui ont fini par parier davantage sur la révolution des consciences que sur la prise armée de l'Etat et l'expropriation de la bourgeoisie par les travailleurs.
D'abord, la lutte travail-capital est un schéma qu'il faut réactualiser, ou disons ... retemporaliser... : [je retranscris]
a écrit :La crise n'est pas passagère, on assiste à une crise généralisée de la valeur, de la mesure de la richesse, du travail, des échanges, des biens naturels par le marché, donc par la valeur marchande. Et à l'évidence, alors que la productivité s'est développée, au lieu de produire de la créativité humaine, de la disponibilité civique, etc., on a une montée dans les centres, y compris dans les centres européens et états-uniens... 37 millions de chômeurs hors couverture médicale aux Etats-Unis : c'est une aberration, il n'y a aucune logique à ça ! Pourquoi la croissance devrait-elle produire davantage de pauvreté et d'exclusion ? [...] on est dans une crise de type là et derrière il y a le capital. Il n'absorbe pas tout [...] ce n'est pas réduire tout à la contradiction unique, vous avez employé les mots de contradictions secondaires, elles ne sont pas secondaires, mais elles relèvent d'une autre temporalité. L’oppression des femmes n'est pas réductible au capital, ce serait idiot de le dire, mais il y a là un noeud : c'est que les femmes qui sont exploitées, opprimées, domestiquement, sont en plus celles qui subissent, par exemple, en Amérique latine, les effets des dégâts écologiques quand elles ont en charge la famille et l'alimentation. donc il y a des oppressions qui se croisent, qui se combinent...

A Philippe Raynaud, philosophe anti-communiste, professeur de sciences politiques à Paris II et à l'institut d'études politiques, auteur des "Nouvelles radicalités de l'extrême-gauche" (?), et qui ne croit donc pas à l'"affrontement du prolétariat et de la bourgeoisie" ("je ne vois aucune raison de supposer, sous prétexte que le monde marchand est incapable de produire des régulations suffisantes, que la solution de l'avenir se trouve dans la relance du projet de la révolution prolétarienne"), Bensaïd répond ce machin :
a écrit : C'est ce qu'il faut décliner derrière le terme de révolution. il appartient à un ensemble de vocabulaires qui tournent autour de la révolution française, donc on peut considérer que tout cet héritage conceptuel, de citoyenneté, de souveraineté, est aujourd'hui mal mené, ébranlé, le mot de révolution n'est pas ressorti indemne... Le siècle a eu lieu, comme dit Badiou... le XXe siècle et ses désastres. Mais il n'empêche qu'il exprime toujours une aspiration qui a traversé depuis les hérésies religieuses l'aspiration à un "monde autre". il y a cet irréductible, l'aspiration à un monde meilleur, au royaume de Dieu sur terre. Et puis, il y a la version profane de cette révolution, qui, pour moi, n'est pas liée à un schéma lyrique, prise du Palais d'Hiver, débarquement à Cuba, mais simplement il y a l'opposition de plus en plus effective entre deux logiques qui sont une logique de concurrence , de profit, de lutte de tous contre tous, dont la forme extrême est la guerre de tous contre tous, et les guerres actuelles, et le monde actuel, contrairement à ce qu'avait promis Bush père à la chute du mur de Berlin, n'est pas pacifié, mais a connu une recrudescence des guerres... ; et l'autre logiciel, c'est de pousser -- je dis pas la forme, le régime, bien sur on pourrait changer des idées là-dessus -- mais de pousser la logique, qui justement se trouve dans les ailes radicales du mouvement social, de comment redéfinir un principe de service public, et des droits sociaux qui lui sont associés, et tenter d'étendre, si tant est que nous devrions tous devenir des intermittents du travail, comment étendre le droit au revenu par une socialisation du salaire, et comment étendre, comment décliner le bien commun de l'humanité, qui se pose pas seulement pour la terre, dans des pays comme l'Asie, l'Afrique ou l'Amérique latine, mais qui se pose pour l'eau à travers le droit à polluer, qui se pose pour les mers et qui se pose pour les connaissances. Est-ce qu'on acceptera la privatisation du séquençage du génome, des langages informatiques ou du théorème de Descartes ou de la poussée d'Archimède ?

Je précise qu'il s'agit d'une émission destinée à la philosophie, aux sciences humaines en rapport avec les grandes "questions" contemporaines. Il s'agit, en somme d'y parler, sciences, théorie et conviction. Et qu'elle constitue donc bien l'un des rares endroits sur les ondes où l'on peut dépasser les discussions politiques habituelles sur les revendications et dire ce que l'on pense dans le fond, dire que notre conviction réside dans la lutte de classes et la prise du pouvoir par les travailleurs, dire que c'est là la seule réponse des révolutionnaires à la question du "bien commun de l'humanité".
Souvent, la forme révèle le fond et ce n'est pas toujours très rassurant...
piemme
 
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Message par clavez » 16 Déc 2006, 14:46

Je trouve que la question est intéressante. Si j'ai bien compris, en tant que philosophe français Bensaïd cherche le fil rouge qui unifie le déroulement de la période, suivant en ça Bergson. (d'ailleur Gramsci était traité de Bergsonien par les autres fractions du PCI) (I comme italien :hinhin: ).
Ou pour parler comme Sorel, un autre adepte de Bergson, Ben said cherche le mythe qui fait agir les "gens". Comme mythe, il faut entendre l'idée de grève générale, au début du siècle, idée qui tendait, par son existence même, à induire des actions et des modes d'organisation compatible avec elle même.
A d'autres époques le Parti, ou la forteresse ouvrière ont joué un rôle similaire.

Chez les pablistes, le thème de l'unité joue un rôle semblable.

Pour le reste, période réactionnaire oblige, je ne voie pas d'idée force poussant les travailleurs à la lutte ou à l'organisation, le paradygme du travailleur étant passé de l'OS de chez renault au travailleur précaire.
clavez
 
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Message par Puig Antich » 16 Déc 2006, 20:10

Oui enfin c'est surtout du grand n'importe quoi.
Puig Antich
 
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Message par clavez » 17 Déc 2006, 12:28

ah! bon. Pourquoi? :whistling_notes:
clavez
 
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Message par titi » 17 Déc 2006, 15:18

bensaid et raynaud doivent etre devenus potes, ils étaient aussi ensemble invités de culture matin lundi dernier
:-P
titi
 
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Message par piemme » 18 Déc 2006, 10:35

Emission où Daniel Bensaïd a défendu la nécessité de
a écrit :"construire quelque chose à gauche de la social-démocratie en France"
pour une
a écrit :"gauche indépendante"
Construction dont le catalyseur serait
a écrit :"une convergence entre la Ligue et le Parti communiste français"
Quant au parti socialiste,
a écrit :"on essaye de se retrouver pour défendre les expulsés de Cachan... Ce qui permet de vérifier qu'il existe certains points qui n'ont pas sauté dans l'histoire, c'est qu'on ait fait une campagne non pas contre la construction européenne, mais pour une Europe sociale et démocratique ensemble. On s'est retrouvé ensemble dans la défense du service public ou dans la défense de la retraite et des protections sociales dans les grèves de 95 avec des différences d'orientation et de tactique, mais sur les questions de fond... "
Là, Bensaïd sent qu'il va trop loin, il se reprend :
a écrit :"...Enfin, vous ne pouvez pas dire... Dans la plate-forme des collectifs, il y a quand même un très grand nombre de points d'accord. Ca, ce sont des problèmes politiques, on ne va pas régler ça sur des règlements de compte du passé. Le passé a son importance ; moi, je n'oublie rien sur le passé. Vous avez raison Marc Kravetz de dire : le fond s'est évanouie dans les pratiques communistes, mais il y a de beaux reste concernant les méthodes... Si on veut changer le monde, on doit pouvoir réussir à changer le parti communiste ou ce qu'il en reste"
"Il y a de beaux reste concernant les méthodes"... :hmpf: Sauf que Royal est blairiste, dit-il... Ben alors divergence sur la méthode ou non ?
En définitive : sur le fond, la LCR est à la fois d'accord et pas d'accord. De même sur les questions de méthodes : entre la LCR et la social-démocratie, il y a des points d'accord et des points de désaccord. Tel était en ce lundi matin, pour l'essentiel, le message de Bensaïd aux auditeurs de France Culture.
Quant aux vraies différences (avec le PS) -- ces points donc qui, eux, auraient "sauté dans l'histoire" --, Bensaïd ne les a pas précisées.
Un problème de contre-temps, probablement...
piemme
 
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