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France-Antilles, André-Marc BELVON 29 juin 2018 a écrit :Pleurs, douleurs et émeutes à Sainte-Thérèse (Sans les photos, malheureusement)
Le quartier dit populaire de Sainte-Thérèse a connu des événements tragiques au cours de ces soixante dernières années. La mémoire collective retient surtout le camion dont les freins ont cédé en 1965 et qui a terminé sa course dans une maison ; les émeutes qui ont suivi en 1965 la fin de l'évasion de Marny ; et les violences urbaines de 2011.
En 1965, la « route de Sainte-Thérèse » comme les automobilistes l'ont dénommée pendant longtemps (avant de l'appeler « l'avenue Maurice-Bishop » ) était la plus meurtrière de la Martinique. C'était la seule voie qui donnait accès aux routes du Sud. Elle traversait ce faubourg de Fort-de-France qui n'avait cessé, comme d'autres zones périphériques de la ville, d'accueillir des populations depuis les fermetures des usines sucrières, et au rythme des exodes ruraux qu'engendraient celles-ci. Un trafic de voitures, de camionnettes et de camions dont les chauffeurs semblaient ne pas mesurer tous les dangers de la traversée d'une agglomération. Parmi tous les accidents que les Foyalais de Sainte-Thérèse ont eu à déplorer, ils étaient nombreux en ce mois de mars 1965, ceux qui se souvenaient encore d'une camionnette chargée de gravats, qui avait percuté un an plus tôt, en mars 1964, sur un passage protégé, cinq enfants qui sortaient de l'école.
Ce vendredi 19 mars 1965, vers 14 h 30, un terrible accident allait se produire en face du garage Phocéen (pour ceux qui s'en souviennent encore) : un camion fou, après avoir tué un jeune cycliste, rebondissait sur une voiture en stationnement, traversait la route, fracassait une construction en bois où se trouvaient deux magasins, semant la panique et la terreur sur son passage, tuait à nouveau une veille dame, broyait les jambes d'un enfant de 11 ans, et blessait grièvement trois autres personnes.
« C'ÉTAIT EFFROYABLE »
C'est Maurice Beauroy, 47 ans, garagiste, qui raconte à Georges Montout ce qu'il a vu, dans l'édition de France-Antilles du lundi 22 mars : « C'était effroyable. J'étais en compagnie d'un de mes ouvriers, à proximité de la route, en train de déplacer des poutrelles métalliques. En levant les yeux, j'ai vu arriver un camion chargé de sable. Brusquement, comme s'il voulait éviter un obstacle, le chauffeur a donné un violent coup de volant vers la droite, il a frôlé le trottoir et a heurté un jeune homme qui était en train de gonfler une roue de sa bicyclette. Le choc a été terrible. Le jeune a été projeté quelques mètres plus loin. Son vélo a été traîné sur quelques mètres aussi. Le camion a ensuite percuté une voiture qui était en stationnement. Il a semblé prendre encore de la vitesse pour traverser la chaussée, monter sur l'autre trottoir et s'encastrer dans une maison en bois où se trouvaient deux magasins. Il y a eu un fracas énorme. Tout s'est écroulé. Les nombreux fils électriques qui passaient au-dessus du toit de la maison se sont emmêlés, cela a provoqué des étincelles » . C'était l'affolement général.
Des décombres, les secours allaient sortir une morte, Eugénie Edouard Edouarzi, mère de huit enfants, que des témoins avaient vu courir à l'arrivée du camion fou pour se sauver ; et des blessés graves. Robert Villeronce, 15 ans, avait été le premier à perdre la vie dans cet accident. C'était lui le cycliste projeté quelques mètres plus loin. Parmi les blessés graves, un écolier de 11 ans a dû être amputé des deux jambes.
« Qu'aurait fait le camion si le plancher des magasins ne s'était pas effondré sous son poids ? » , soulignait avec angoisse le témoin Maurice Beauroy. « Il aurait défoncé plusieurs maisons, blessant et tuant encore. »
Le chauffeur du camion, légèrement blessé, était sorti de son « 10 tonnes » infernal en criant « mes freins ont lâché, mes freins ont lâché! » .
« Qu'aurait fait le camion si le plancher des magasins ne s'était pas effondré sous son poids ? Il aurait défoncé plusieurs maisons, blessant et tuant encore » .
« Qu'aurait fait le camion si le plancher des magasins ne s'était pas effondré sous son poids ? Il aurait défoncé plusieurs maisons, blessant et tuant encore » . •
Après avoir tué un écolier, le camion fou a achevé sa course dans deux magasins, semant la panique sur son passage, ôtait la vie à une mère de huit enfants, broyait les jambes d'un enfant de 11 ans, et blessait grièvement trois autres personnes.
Après avoir tué un écolier, le camion fou a achevé sa course dans deux magasins, semant la panique sur son passage, ôtait la vie à une mère de huit enfants, broyait les jambes d'un enfant de 11 ans, et blessait grièvement trois autres personnes. •
Les secours ont dû affronter la foule de badauds pour transporter les blessés. Une des victimes a été amputée des deux jambes.
Les secours ont dû affronter la foule de badauds pour transporter les blessés. Une des victimes a été amputée des deux jambes. •
Marny blessé, le quartier s'enflamme
« Sainte-Thérèse » est non seulement associé à la fin de la cavale de Pierre-Just Marny mais encore et surtout aux émeutes qui l'ont accompagnée. Bilan : des dizaines de blessés tant au sein des forces de l'ordre que parmi les émeutiers. Deux commerces pillés.
Ce 20 octobre 1965, cela fait dix jours que Marny s'est évadé du 110, rue Victor-Sévère. Il y a été emprisonné un mois auparavant, le vendredi 8 septembre, après son arrestation vers 15 heures la veille, sur la route de Redoute. Pendant une semaine, policiers et gendarmes de la Martinique étaient à ses trousses. Il venait de régler ses comptes avec des complices, en tuant le bébé d'un de ces derniers, un chauffeur de taxi, un autre homme, et en blessant cinq personnes dont certaines sont restées mutilées.
Ce mercredi 20 octobre, il est 19 h 30 environ. Sainte-Thérèse est en pleine animation. Nos confrères racontent dans l'édition de France-Antilles du vendredi 22 octobre : « Personne ne prête attention à un grand gaillard en blue-jean et chemise de sport appuyé à un poteau en ciment. Il interpelle une fillette : « J'ai rendez-vous avec un ami. Cours lui dire que je suis là » . Cet ami avait volé la nuit précédente un fusil et 17 5 cartouches à l'amurerie Lebreton. Car Marny n'a pas renoncé à ses projets meurtriers » .
Parmi les passants cependant, quelqu'un l'a reconnu. Cet inconnu alerte la gendarmerie. Vers 20 heures, une voiture s'arrête non loin de l'endroit indiqué et des gendarmes en jaillissent. « Marny, rends-toi, allonge-toi par terre! » , lui intime un gendarme. Il aurait répondu, a t-il été dit après les événements : « Je ne suis pas armé » . Quoi qu'il en soit, l'histoire retient qu'un gendarme tire en direction de Marny qui s'écroule. Il est aussitôt hissé dans la voiture qui disparaît. Quelques minutes plus tard, d'autres gendarmes arrivent sur les lieux pour les premières constations et interroger des témoins. Entre temps, une collision entre deux véhicules légers se produit. Un attroupement se forme. De cet attroupement gronde une colère. Elle met en cause la tenancière d'une épicerie située non loin. Le bruit court : « Ils viennent d'arrêter Marny, c'est cette femme qui l'a dénoncé » . Une émeute prend forme. Une voiture qui passe au même moment est stoppée, renversée. La foule grossit. Le désordre aussi.
LES PILLARDS SE SERVENT
L'épicerie de Mme Nadeau est assiégée, des blocs de pierres sont projetés à l'intérieur. Les pillards se servent, certains se rendent au premier étage. Ce qu'ils ne parviennent pas à emporter, ils le démolissent. Et lorsqu'il n'y a plus rien à détruire, ils tentent de mettre le feu. De l'autre côté de la route, la « boutique du Chinois » comme ils l'appellent, subit presque le même sort. Il assiste de son balcon, sans oser intervenir, à la ruine de son stock. Deux camions de gendarmes arrivent pour dégager les premiers militaires qui sont dépassés par les événements. Ils sont accueillis sous une pluie de pierres. Du haut des rues en pente de Sainte-Thérèse dévalent des fûts d'huile, de pétrole et d'essence qui bondissent sur l'artère principale. C'est la panique. Ces fûts risquent d'écraser ceux qui n'ont pas le temps de s'enfuir. Les combustibles se répandent sur la chaussée. Il suffirait d'une allumette pour que le quartier flambe. Les réverbères volent en éclats, les lumières s'éteignent. Les automobilistes pris au piège de ces émeutes sont agressés. Le face-à-face entre émeutiers et forces de l'ordre va durer toute la nuit, avec quelques soubresauts les deux nuits suivantes. Bilan humain de ces trois jours : une dizaine de gendarmes grièvement blessés, deux fois plus parmi les manifestants. Une vingtaine de ces derniers ont été jugés quelques semaines plus tard devant le tribunal correctionnel de Fort-de-France et condamnés à des peines de 4 à 10 mois de prison.
Le mercredi 24 novembre, par décision de la cour de cassation criminelle, Marny est transféré à Paris. Il sera condamné par la cour d'assises de la Seine à la réclusion à perpétuité en septembre 1969. En mai 2008, Marny est transféré à la prison de Ducos en Martinique. Le dimanche 6 août 2011, au petit matin, il met fin à ses jours. Il a 68 ans. Il a passé 48 années derrière les barreaux.
Le bruit a couru que la tenancière de cette épicerie a dénoncé Marny. Les locaux sont assiégés. Les pillards se servent, détruisent tout et tentent de mettre le feu.
Le bruit a couru que la tenancière de cette épicerie a dénoncé Marny. Les locaux sont assiégés. Les pillards se servent, détruisent tout et tentent de mettre le feu. •
Scènes de violences urbaines
Le mardi 18 octobre 2011, les scènes de violences urbaines ont rappelé de bien mauvais souvenirs aux plus anciens. Elles ont été menées par des jeunes pour qui les émeutes de 1965 ne sont que de l'histoire contemporaine. À l'origine de ce mouvement de colère : la fermeture administrative d'une épicerie, exécutée par des policiers. En réalité, un imbroglio administratif qui conduira le préfet à demander quelques jours plus tard, sa réouverture.
Ce mardi 18 octobre, en début d'après-midi, forces de l'ordre et jeunes de Sainte-Thérèse s'opposent violemment dans les environs de Canal Alaric. Des jeunes descendent de la route de Saint-Christophe pour leur lancer de grosses pierres et des bouteilles. De l'autre côté de l'avenue Maurice-Bishop, d'autres jeunes entrent en action. Des poubelles sont incendiées. Des individus cagoulés commencent à tout casser et à caillasser les véhicules de police. Dans la soirée, la situation est encore loin d'être maîtrisée. Les échauffourées au contraire, repartent de plus belle, malgré l'arrivée de nombreux renforts de police. Une réserve de 35 gendarmes est prête à intervenir. Des départs de feux sont signalés en divers points du quartier et en périphérie. Les pompiers sont appelés sur les lieux. Un peu plus tard, des regroupements de jeunes venus d'un peu partout s'attaquent à un commerce de motos et volent près d'une centaine d'engins. Ce n'est que tard dans la nuit que le calme revient. Les forces de l'ordre parviennent à interpeller une vingtaine de fauteurs de trouble. Onze d'entre eux seront déférés au parquet de Fort-de-France. Quatre seront jugés en comparution immédiate. Un seul jeune sera condamné à 6 mois de prison ferme. Les autres seront relaxés.