(shadoko @ mercredi 25 janvier 2006 à 01:38 a écrit : Et bien, justement, Marx a toujours tenté de rendre ses concepts compréhensibles par tout le monde. Lorsqu'il doit introduire de nouveaux concepts, il essaye toujours de leur donner un nom relativement usuel et imagé, et il évite la sophistication inutile. Il a choisi "exploitation" (Ausbeutung dans le texte), et non pas "exploitisation" ou autre "exploitage". Il n'a pas fabriqué de néologisme. Alors, bien sûr, il faut parfois utiliser de nouveaux concepts. Mais il faut tout de même essayer d'éviter de les noyer dans un vocabulaire totalement illisible. Quand je lis:
a écrit :
Cette question fait l'objet de bien des controverses, qui sont au coeur des débats sur "l'immédiateté" ou "l'immédiatisme" de la révolution comme dépassement produit par la lutte des classes, en tant que praxis des deux classes dans la contradiction essentielle du capital. Ou des discussions sur le fait qu'il n'y a pas de "transcroissance", c'est-à-dire de continuité quantitative, entre revendications immédiates, et abolition du capital, mais rupture, saut qualitatif (révolution comme immédiateté à un moment donné).
je me gratte la tête pendant cinq minutes, et quand j'ai enfin compris quelque chose, je me demande bien pourquoi c'est dit de manière aussi ampoulée. Par exemple, le mot "transcroissance", à quoi sert-il? A rien.
Enfin, bon, tout ça pour dire qu'on peut discuter de tout, mais encore faut-il qu'on ne passe pas trois heures à comprendre cinq mots (et tout ça n'a rien à voir avec la difficulté de certains concepts).
Je partage ton avis sur le fait que l'on peut sans doute faire plus simple, mais bon, je ne suis pas l'auteur de ces théories, je prends les concepts tels qu'ils sont exprimés et articulés dans un corpus qui se tient, et je suis à ce stade parfaitement incapable de le reformuler autrement. Ce qui m'a intéressé, c'est l'ensemble, sa logique, sa pertinence, les questions qu'il pose dans la perspective révolutionnaire. J'ai un principe intellectuel simple, prendre ce qui est formulé par les autres dans leur langage, et tenter de le comprendre, sans le déformer, avant de voir si je suis d'accord ou pas, comment et pourquoi. Dans ce cas je n'ai pas à appeler autrement ce qui est essentiel à la théorie en question. De plus, je distingue ce qu'elle est en toute rigueur, que j'essaye d'expliquer dans ses termes, et ce que j'en pense, les questions que ça me pose.
Cela dit, quelques remarques.
Relativement à Marx, c'est vrai que ces efforts sont admirables pour se mettre à portée, mais tout aussi vrai que les concepts qu'il forge peuvent être faussement simples, surtout quand ils sont portés par des mots courants, puisqu'ils revêtent alors un sens différent, un sens théorique précis dans une analyse donnée. Il suffit de penser à "travail", "valeur", "prix", "plus-value", "taux-de-profit", "baisse tendancielle", "accumulation", "abstraction", "concret"... pour admettre qu'il reformule totalement leur sens dans le contexte de sa théorie. La difficulté n'est pas dans le vocabulaire, mais bel et bien dans les analyses elles-mêmes. Certains termes changent même de contenu au cours de son oeuvre (aliénation, par exemple), et certains qui ne changent pas donnent lieu à des évolutions sensibles. Le fait donc de donner aux concepts
"un nom relativement usuel et imagé" peut s'avérer un piège, et tu sais comme moi combien il est facile d'y tomber.
Je n'ai rien en tête, mais dire qu'il n'a pas fabriqué de "néologisme", vu la construction de la langue allemande, est peut-être un peu rapide.
J'ai eu droit au même type de remarques en abordant dans certaines discussions le "double moulinet", la
subordination formelle, ou
réelle du travail sous le capital, alors que ces concepts sont de Marx lui-même. On en trouverait d'autres et ces théoriciens font un large usage d'un vocabulaire marxien que la plupart des militants communistes ignorent souverainement.
Dire que "transcroissance" ne "sert à rien" n'engage que toi. Il n'y a pas d'autre terme, en l'occurrence, pour dire la même chose, et pour le dire sachant qu'il traduit une rupture théorique par rapport à d'autres points de vue, dans l'héritage de Marx. "Immédiateté" signifie que la révolution comme rupture ne peut être produite qu'à un certain moment de l'évolution du capital, quand sa reproduction est en cause dans la crise, au bout d'un cycle. "Immédiatisme" pointe l'illusion qu'on pourrait produire à tous moments la révolution par volontarisme, ou justement, par une montée des luttes revendicatives.
Maintenant, il est vrai que ceux que ces termes arrêtent n'y comprendront rien, et que leur incompréhension même légitimée ne vaudra rien contre la théorie elle-même. Je ne crois pas qu'on puisse discuter de tout après l'avoir survolé cinq minutes dans un forum. J'ai mis un an, alors que j'étais loin d'ignorer Marx, et je suis loin d'être au bout.
Quant à "communisation", le terme existe dans la théorie communiste depuis plus de trente ans, avec en gros cette même signification, et des évolutions qui sont celles de la théorie elle-même, puisque, de même que le capitalisme ne fait pas du sur-place, la théorie est appelée à évoluer, ce que Marx a fait toute sa vie.
Communiser n'est certes pas beau, mais dit bien ce qu'il veut dire : prendre des mesures communistes d'emblée pour abolir le capital, ce dont ne rend pas compte le concept de révolution, puisqu'il est souvent accompagné d'une transition socialiste. La communisation est donc une conception particulière de la révolution, qui exclut par exemple, la "dictature du prolétariat", sans pour autant prôner la démocratie jusqu'au bout. Dans les débats sur le communisme, le terme de "communisation" deviendra vite incontournable. Il serait dommage de s'en exclure sous prétexte (faux) qu'il serait un terme empoulé.