L'éphéméride du jour

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Thomas » 04 Sep 2005, 21:03

C'est le troisième sujet parlant d'Ignace Reiss, son histoire est vraiment interessante , notemment pour des jeunes comme n'ayant pas connaissance de ce personnage. Cependant , je voudrais revenir sur un aspect de la lettre de Trotsky qui me choque profondément

a écrit :Pour l’anniversaire de la mort de Reiss

Léon Trotsky

17 juillet 1938

Plus le temps passe et plus lumineuse apparaît la figure de Reiss, tombé tragiquement sur le seuil de la IV° Internationale. La rupture avec la clique bonapartiste ne signifiait pas pour lui la désertion vers la vie privée, comme pour d'autres bureaucrates apeurés et démoralisés. Pas une minute, Reiss n'a cherché à s'éloigner en prenant un air supérieur à l'égard de ceux qui continuaient le combat. Avant de prendre des mesures pour assurer sa sécurité personnelle, il a écrit une déclaration principielle sur les raisons de son passage sous le drapeau de la IV° Internationale. Dans les jours même où il était précisément en train de préparer sa rupture ouverte avec le Kremlin, il faisait déjà de la propagande active et recrutait parmi ses anciens collaborateurs et collègues. On doit se représenter clairement les graves convulsions internes qu'il eut à traverser et comprendre la force d'âme qui se dissimulait dans ce combattant révolutionnaire !

La figure de Ludwig [1] nous devient de plus en plus proche au fur et à mesure que nous voyons ces bureaucrates « fatigués » et « déçus » qui, voyez-vous, sont tellement tourmentés par Staline et leur propre passé que, sans changer d'état d'esprit, ils vont tout droit dans le camp de la démocratie bourgeoise ou du semi-anarchisme libéral [2]. Sous les coups de la vie, ces messieurs en viennent à la conclusion que la révolution d'Octobre a été une « erreur » et qu'il faut donc imaginer quelque chose de mieux, de jamais vu, d'inédit, qui soit totalement à l'abri, hermétiquement, de toute faiblesse et de tout échec. Et, en attendant cette doctrine de salut, les dilettantes ultra-gauches, alliés à des fascistes plus francs, s'occupent de racontars et d'intrigues contre les révolutionnaires. Faut-il des exemples ?

Ludwig est mort à l'aube même d'un nouveau chapitre de sa vie. Nous avons tous ressenti sa mort comme un coup très rude - et nous en avons reçu beaucoup. Ce serait cependant une erreur inadmissible que de penser que ce sacrifice a été inutile. Par la virilité de sa conversion de Thermidor à la révolution, Reiss a donné au trésor de la lutte prolétarienne une contribution bien plus grande que tous ceux qui, tous ensemble, dénoncent Staline. La figure de Reiss demeurera vivante dans la mémoire des jeunes générations comme un exemple et une leçon. Elle les inspirera et les entraînera.

Notes
[1] Pseudonyme de Reiss dans le G.P.U.
[2] L'allusion est dirigée contre Krivitsky.


Le passage qui me gêne est
a écrit :Et, en attendant cette doctrine de salut, les dilettantes ultra-gauches, alliés à des fascistes plus francs, s'occupent de racontars et d'intrigues contre les révolutionnaires.


Depuis quand nous , communistes , devons assimiler extrême gauche (ultra gauche) et extrême droite (fascistes) ? C'est là , la raison de nombre d'engueulades avec des gens modérés qui assimilent l'alternative à la démocratie bourgeoise de gauche (la démocratie ouvrière) et l'alternative à la démocratie bourgeoise de droite (la dictature bourgeoise).

Est ce que j'ai mal compris cet extrait ? Est ce que Léon a fait une grossière erreur sur ce passage ? Est ce qu'un communiste peut raisonnablement assimiler un homme de gauche quel qu'il soit à fasciste ?
Thomas
 
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Message par Gaby » 04 Sep 2005, 21:13

Réponse rapide :
L'extrème-gauche (l'opposition révolutionnaire trotskyste) et l'ultra-gauche (à l'époque, des conseillistes et d'autres antistaliniens se revendiquant de Marx) ne sont pas la même chose Thomas. Et effectivement des groupes d'ultra-gauches, qui sont critiques de la révolution d'Octobre, sont allés jusqu'à entretenir des liens assez troubles avec l'extrème opposé du spectre politique. Par ailleurs, ils refusent largement la conception marxiste de l'organisation politique des travailleurs (quitte à mettre en veilleuse les combats qu'ont mené les anciens du XIXème siècle, croyant ironiquement être les continuateurs du mouvement ouvrier). Certains méritent d'êtres lus, d'autres ont été de simples commentateurs se refusant à l'action et dont le barratin a parfois pué...
C'est d'ailleurs une mouvance assez large, empruntant largement à l'anarchie et connaissant de nombreuses déclinaisons.
Je pense que tu pourras trouver de la documentation à ce sujet assez facilement.
Gaby
 
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Message par Thomas » 05 Sep 2005, 01:13

Bien sûr, l 'ultra gauche existe encore à l'état groupusculaire à l'heure actuelle. Le groupe "courant communiste international" est de ceux là , critiquant LO et la Ligue comme de vulgaires soc dem. Je me suis déjà engueulé avec eux à 1 1er mai. Toujours est il qu'ils appartiennent au grand ensemble "extrême gauche", et qu'ils sont entre les marxistes et les anarchistes , qu'ils font partie du mouvement ouvrier. Les assimiler à l'ED est fondamentalement choquant. Entre eux et le PS , je les choisis à eux. Et entre le PS et le FN, je choisis le PS. Question de classes.
Thomas
 
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Message par Gaby » 05 Sep 2005, 01:55

Tout d'abord excuse-moi pour la longueur du post qui va suivre, je vais essayer d'être un peu plus factuel.

Tu ne m'as pas compris, je crains. Parmi les ultra-gauches des années 20 et 30, il y avait des anti-totalitarismes (comme les conseillistes dont le CCi que tu as croisé doit revendiquer l'héritage), mais il y avait aussi des courants puants. On peut commencer en parlant de la minorité "national-bolchevik" au sein du KAPD lors des années 20. Laufenberg en est plus ou moins la figure historique. Pour te donner une idée de la gravité de leur délire, ils appellaient en 1920 à ce que l'Allemagne reprenne les armes abandonnées et la guerre impérialiste. Et ils n'étaient pas tout à fait anonymes. Pour être parfaitement honnête, soulignons que le plus grand militant de l'ultra-gauche, Anton Pannekoek, leur était vivement opposé. Mais de fait, les proches de Laufenberg n'ont pas été les seuls à s'allier objectivement avec les thèses de l'extrème-droite.

On peut caractériser les ultra-gauche de l'époque de cette lettre d'une façon assez simple : ils sont antiparlementaristes, ils sont antisyndicalistes, ils sont pour la démocratie des conseils ouvriers. Certains vont même jusqu'à refuser le rôle du parti, même réduit à l'état d'organe de propagande.
Pannekoek n'est pas à l'abri de la critique non plus. A vrai dire, il est l'auteur de la phrase qui pourra te faire comprendre la réaction de Trotsky : "La lutte contre le national-socialisme est la lutte contre le grand capital allemand". Ce qu'il faut comprendre par là, ce n'est hélas pas seulement que le nazisme est produit du capitalisme (ce qui est vrai), ce qu'il faut comprendre c'est que l'ultra-gauche dans son ensemble s'est toujours refusé à l'antifascisme. Des conseillistes traçaient ainsi un trait d'égalité entre Blum et Mussolini. Ajoute à cela leurs principes organisationnels (qui justifient l'appellation de "dilletantes" dans la lettre) et leur non-compréhension de la révolution Russe (qui justifie l'emploi de "racontars").

On peut s'amuser à disséquer les termes employés par Trotsky si tu le souhaites, moi ils me semblent justes. Tu sembles dire que l'ultra-gauche est une tendance de l'extrème-gauche... Et bien non, tu fais un rapprochement à mon avis artificiel. D'ailleurs tu les insulterais. L'ultra-gauche est une idéologie aux multiples aspects qu'on peut caractériser comme la réaction épidermique et révoltée de marxistes qui ne comprennent pas le monstre stalinien. Leur particularité c'est d'expliquer l'affreux URSS comme la conséquence logique de la révolution d'Octobre, donc des principes organisationnels de Lénine... et même de ceux de Marx.

Je ne considère pas l'ultra-gauche comme nécessairement des camarades. Pas plus que j'en ferais de même avec des anarchistes individualistes. C'est affaire de personnes et d'organisations et il faut à chaque fois juger sur pièces. Poser le problème comme tu le fais en terme de classes sociales, concluant qu'il faut préférer un ouvrier réactionnaire à un bourgeois démocrate, ça me semble peu pertinent. L'ambition est bien pour nous de développer une politique communiste, ce qui ne va pas de soit quand on parle d'organisations qui, pour être honnête, contiennent des fous.

Et de toute façon, ce sera ma conclusion, on parle avec l'ultra-gauche de quelque chose de virtuel aujourd'hui.
Gaby
 
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Message par Gaby » 05 Sep 2005, 02:32

Dernière chose, qu'une discussion houleuse avec Puig Antich m'a soufflée...
Quand Trotsky parle d'ultra-gauche ici, il parle moins d'une organisation que d'une idéologie particulière, d'un comportement en réaction à la dégénerescence incomprise de la révolution Russe. En 1930 il disait :
(Lettre Ouverte à la rédaction de Prometéo a écrit :Il existe en ce moment trois courants fondamentaux dans le communisme international : le centre, la droite et la gauche (léniniste). En dehors de ces trois courants, il y a différentes sortes d'échappatoires ultra-gauchistes, qui tâtonnent entre le marxisme et l'anarchie.
Gaby
 
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Message par artza » 05 Sep 2005, 08:54

Thomas cette petite phrase de Trotsky te choque. Sans doute qu'en la lisant tu as bondi et du coup oublié ce que tu venais de lire juste avant.

Trotsky stigmatise cette catégorie d'individus qui après un passage plus ou moins long dans les rangs staliniens souvent comme bureaucrates ou compagnons de route chouchoutés rompent avec eux flirtent avec les diverses critiques anarcho-ultra-gauches etc rejettent le bolchévisme assimilé au stalinisme avant de rejoindre définitivement la réaction et en guise d'analyse colportent des racontars sur Lénine dictateur autocrate maniaque, Trotsky fusilleur d'ouvriers etc. et des meilleurs.
Racontars que l'on pouvait glaner dès 1918 dans les poubelles de la droite et de l'extrême-droite.

Consulter pour ça "l'excellent" "Tintin au pays des soviets" d'Hergé.
artza
 
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Message par Thomas » 05 Sep 2005, 10:06

Je répète que j'ai discuté avec un de ces gens là et que je connais leur absence d'antifascisme, leur tendance à l'anarchisme, leur critique des marxistes. Cependant, quoi qu'ils pensent, ce sont des mouvements ouvriers qui poussent pour la lutte de classes. Les anarchistes également. Cela n'empêche pas que j'ai , que nous avons de graves désaccords avec eux. Alternative Libertaire a pareillement certaines analyses farfelues voire choquantes, par exemple, ils évoquent sur le même plan "les réactions bolcheviques et fascistes". Ils sont néanmoins des gens avec qui on milite côte à côte, quelque fois ensemble (à Aix , ils étaient dans les comités du NON avec la Ligue et le Parti). Ce n'est pas parce que la droite et l'ED nous critique aussi qu'il faut voir en eux , leur alliés objectifs. Sinon , on peut légitimer le stupide slogan "socialfasciste" sous prétexte que SPD et NSDAP critiquait le KPD.

La chose est différente si on parle de courants "nationaux bolcheviks" qui même s'ils ont le mot "bolchevik" se sont REELLEMENT et pas objectivement alliés à l'ED dont ils reprennent les analyses nationalistes
Thomas
 
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Message par Ottokar » 05 Sep 2005, 10:50

Te fâches pas Thomas ! Personne n'a dit ici que les anars que tu connais aujourd'hui sont d'extrême-droite. Si tu es venu à la fête de LO, tu as du en croiser, ils ont des stands, ils vendent leur presse, ils débattent s'ils le veulent et personne ne les agresse. Trotsky parle d'autres gens, à une autre époque. Des gens découragés, passés par l'extrême-gauche puis que le dégoût du stalinisme a entraîné très loin, il y en a eu, et pas que chez les anars : Doriot était un membre de la direction du PC, maire de St Denis, et a fini fasciste en 40, James Burnham était un intellectuel qui a été membre de la direction du SWP de Cannon quand son parti a fusionné avec les trostskystes. Il n'avait jamais réllement abandonné ses conceptions démocrates a fini par anti-stalinisme dans les bras des anticommunistes au moment du maccarthysme et de la guerre froide... et chez nous, les anciens de 68, à part Krivine, Arlette ou même Lambert, où sont-ils ? Cohn-Bendit serait presque "à gauche" par rapport à Gluksman ou BHL !
Ottokar
 
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Message par pelon » 05 Sep 2005, 11:07

Oui, d'accord avec Artza et Ottokar. Trotsky parle de personnes précises dans un contexte précis. Il y a bien des révolutionnaires de l'époque qui, même s'ils n'étaient pas trotskystes, gardaient toute son estime, l'anarchiste Durruti par exemple, dont les circonstances de la mort durant la guerre civile espagnole restent mystérieuses.
pelon
 
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Message par Endymion » 05 Sep 2005, 11:39

a écrit :L'ultra-gauche est une idéologie aux multiples aspects qu'on peut caractériser comme la réaction épidermique et révoltée de marxistes qui ne comprennent pas le monstre stalinien


Gros contre-sens historique : si en 1920 les délégués du KAPD repartent effrayés de Russie, ce n'est pas à cause d'une incompréhension de staline (qu'ils n'ont même pas vus) ! Si la bolchevik Alexandra Kollontai accuse en 1921 (3e congrès de l'IC) Lénine de défendre le capitalisme, est-ce des "racontars" ou une réflexion sur la base d'une analyse marxiste ?

Nombre de marxistes - ultra-gauche ou non - n'ont pas attendu staline pour comprendre que la politique des bolcheviks en Russie substituait à la dictature du prolétariat la dictature de chefs et d'un parti unique.
Endymion
 
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