Qu'enseigne l'expérience de la Mongolie ?
Dans l'interview accordée par Staline à Roy Howard [1], ce qui est essentiel, c'est l'affirmation de l'inéluctabilité de l'intervention de l'U.R.S.S. en cas d'agression japonaise contre la république populaire de Mongolie. Cette affirmation est‑elle juste au fond ? Nous pensons que oui. Non pas seulement parce qu'il s'agit de la défense d'un Etat faible contre un brigand impérialiste : si elle était guidée uniquement par ce genre de considérations, l'U.R.S.S. devrait être toujours en guerre contre tous les pays impérialistes du monde. L'U.R.S.S. est trop faible pour mener à bien une telle tâche, et, ajoutons‑le, cette faiblesse est la seule justification du « pacifisme » de son gouvernement.
Mais la question de la Mongolie est celle des positions stratégiques futures du Japon dans une guerre contre l'U.R.S.S. Ici, il faut fermement trancher jusqu'où on peut céder. Il y a quelques années, l'Union soviétique a cédé au Japon le chemin de fer de l'Est chinois qui est aussi une position stratégique de la plus haute importance. Cet acte fut alors célébré par l4Internationale Communiste comme une manifestation volontaire de pacifisme. En réalité, c'était un acte de faiblesse imposé. L'I.C. avait mené la révolution chinoise de 1925‑27 à la ruine grâce à la politique du « front populaire ». Cela a délié les mains de l'impérialisme. Ayant cédé une ligne de chemin de fer stratégique extrêmement importante, le gouvernement soviétique a, par là même, facilité les coups de force du Japon en Chine du Nord, ainsi que ses attaques actuelles en Mongolie. Aujourd'hui, il doit être clair, même pour un aveugle, que, lors de la cession du chemin de fer, il s'agissait non pas de pacifisme abstrait (ce qui eût été dans ce cas une simple stupidité et une trahison), mais d'un rapport de forces défavorable : la révolution chinoise avait été écrasée, l'Armée et la Flotte rouges n'étaient pas prêtes à la lutte. Actuellement, la situation du point de vue militaire s'est sans doute suffisamment améliorée pour que le gouvernement soviétique juge possible d'en venir à un veto catégorique dans la question de la Mongolie. On ne peut que saluer le renforcement des positions de l'U.R.S.S. en Extrême‑Orient, ainsi que l'attitude plus critique du gouvernement soviétique vis‑à‑vis de la capacité qu'aurait le Japon, déchiré par les contradictions, à mener une grande et longue guerre. Il faut cependant noter que la bureaucratie soviétique, très audacieuse face à ses propres travailleurs, est facilement prise de panique face à ses adversaires impérialistes : le petit-bourgeois ne se gêne pas avec le prolétaire, mais il craint le grand bourgeois.
La formule officielle de la politique extérieure de l’U.R.S.S. largement répandue par l'Internationale communiste est : « Nous ne voulons pas un pouce de terre étrangère, mais nous ne céderons pas un pouce de notre territoire. » Dans la question de la Mongolie, cependant, il ne s'agit nullement de la défense de « notre territoire » : la Mongolie est un Etat indépendant. La défense de la révolution, comme on le voit même dans ce petit exemple, ne se réduit pas à la défense des frontières. La véritable méthode de défense consiste à affaiblir les forces de l'impérialisme et à renforcer les positions du prolétariat et des peuples coloniaux dans le monde entier. Un rapport de forces défavorable peut obliger, pour sauver la base principale de la révolution, à céder à l'ennemi beaucoup de « pouces » de territoire, comme cela fut fait à Brest‑Litovsk et aussi en particulier dans le cas de la cession du chemin de fer de l'Est chinois. Et au contraire, un rapport de forces plus favorable impose à l'Etat ouvrier l'obligation de venir en aide au mouvement révolutionnaire dans les autres pays, non seulement moralement, mais aussi, si nécessaire, à l'aide de la force armée les guerres émancipatrices sont un élément constitutif des révolutions émancipatrices. L'expérience de la Mongolie réduit ainsi en miettes l'idéologie du pacifisme conservateur qui s'appuie sur les frontières historiques comme sur les Tables de la Loi. Les frontières de l'U.R.S.S. ne sont que les tranchées provisoires de la lutte des classes. Elles n'ont même pas de justification nationale. Le peuple ukrainien, pour prendre un seul exemple parmi tant d'autres, est divisé en deux par des frontières d'Etats [2]. Si la situation s'était développée de façon favorable, l'Armée rouge aurait été tenue de venir en aide à l'Ukraine occidentale opprimée par les bourreaux polonais. Il n'est pas difficile d'imaginer quelle gigantesque impulsion l'unification de l'Ukraine ouvrière aurait donné au mouvement révolutionnaire en Pologne et dans l'Europe entière. Les frontières de tous les Etats ne sont que les chaînes des forces productives. La tâche du prolétariat n'est pas le maintien du statu quo, c'est‑à‑dire éterniser les frontières, mais au contraire leur abolition révolutionnaire dans le but de créer les Etats‑Unis socialistes d’Europe et du monde entier. Pour qu'une telle politique internationale devienne possible, sinon dans l'immédiat, tout au moins dans l'avenir, il faut que l'Union soviétique elle‑même s'affranchisse de la domination de la bureaucratie conservatrice avec sa religion du « socialisme dans un seul pays ».
http://www.marxists.org/francais/trotsky/o.../lt19360318.htm
Barikad ton texte du SU sur la Mongolie est le bienvenu.