Comment profiter des pauvres ?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Sterd » 25 Juil 2009, 08:07

Un article de "Pour la Science" de ce mois-ci qui explique comment les banques peuvent se sortir indemnes de la crise financière

("Pour La Science" a écrit :Comment profiter des pauvres ?

Comment profiter des pauvres Les banques utilisent la passivité comptable pour masquer leurs actifs pourris, puisent dans les capitaux prêtés par l'État presque sans intérêt et augmentent certains taux de prêt à leurs clients.


Les banques vont bien. bnp-Paribas a déclaré un profit de 1,56 milliard d'euros pour le premier trimestre 2009. Goldman-Sachs va rembourser par anticipation dix milliards d'euros au Trésor américain, et donc se débarrasser des contraintes réglementaires qui conditionnaient ce prêt. En revanche, l'économie mondiale va mal. La production mondiale a reculé en 2009, pour la première fois depuis la fin de la guerre, General Motors est en faillite, et le pib américain a retrouvé son niveau de 1998. Comment les banques peuvent-elles faire des profits alors que la production industrielle chute ?

Notons que certains de ces profits sont fictifs. Les banques détiennent toujours des actifs toxiques, tels les fameux subprimes, prêts hypothécaires qui ne seront jamais remboursés. Ce sont des actifs dont personne ne veut, mais qui continuent à figurer au bilan de leur détenteur pour leur valeur nominale. En d'autres termes, si dans la période d'euphorie, vous avez acheté pour un milliard de subprimes, vous continuez à inscrire un milliard aux actifs de votre bilan. Vous savez pertinemment que si vous cherchiez à les vendre vous n'en tireriez que la moitié, soit 500 millions, mais vous vous gardez bien de le faire, car vous seriez alors forcé d'enregistrer une perte de 500 millions. Certes, il faudra bien la constater un jour, mais le plus tard sera le mieux, et si l'on veut conserver ses clients il vaut mieux annoncer des profits que des pertes. C'est si vrai que le Trésor américain, qui avait annoncé son intention de racheter aux banques les actifs toxiques pour assainir le système et rétablir la confiance, vient d'annoncer qu'il retardait sa mise en œuvre, car il ne trouvait pas de vendeur !

Mais d'autres profits sont bien réels. Les banques bénéficient aujourd'hui d'une situation extraordinairement favorable : les gouvernements leur donnent tout l'argent qu'elles veulent, pour aussi longtemps qu'elles veulent, et pratiquement sans intérêt (0,25 pour cent aux États-Unis !). Comme les taux auxquels elles prêtent à leurs propres clients n'ont pas baissé, le simple jeu des marges leur assure des profits confortables et sans risque aucun. Donnons un exemple. Chaque année, le Ghana sollicite auprès d'un pool de banques une ligne de crédit destinée à préfinancer la production du cacao. Cette production future est vendue d'avance : avant même qu'une graine ait été mise en terre, les négociants internationaux se sont déjà engagés à acheter la récolte et ont convenu du prix. Le risque pour les prêteurs est donc nul : il s'agit simplement de donner aux petits paysans les moyens de planter et de cultiver...

Jusqu'en 2007, le taux de la ligne de crédit reflétait cette absence de risque : 0,16 pour cent au-dessus du libor, qui est le taux sans risque. En 2008, on passe à 0,45 pour cent, ce qui s'explique par la crise financière : les banques ne disposaient plus de liquidités. On pourrait croire qu'en 2009, maintenant que les banques peuvent puiser à pleines mains dans les coffres des États, on est revenu au niveau d'avant la crise. Il n'en est rien. Le taux cette année est passé à 3,5 pour cent au-dessus du libor, soit 7 fois plus que l'année dernière, 20 fois plus qu'en 2007. Rappelons qu'il s'agit d'une opération sans risque : si les banques appliquaient aux paysans ghanéens le taux qu'elles s'appliquent entre elles, ils paieraient deux fois moins cher, en l'occurrence 35 milliards au lieu de 70, puisque l'opération porte sur un milliard de dollars. La différence, soit 35 millions, est une rente, un transfert direct d'argent des paysans ghanéens vers Natixis, la Société Générale et les autres banques du syndicat.

Nous sommes revenus à la situation antérieure : un flot de liquidités se déverse dans le système financier mondial, provoquant une bulle spéculative et poussant les financiers à rechercher des rendements irréalistes. Avant 2007, elle était alimentée par des taux anormalement bas aux États-Unis, qui ont permis la spéculation immobilière ; aujourd'hui, elle est alimentée par les subventions versées au banques. Les mauvaises habitudes reviennent, on ne parle plus de réglementer le système financier. Au contraire, ceux qui devraient le faire quittent l'administration pour devenir banquiers. Ils n'ont rien appris, ni rien oublié.

Ivar EKELAND
Sterd
 
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Message par Jacquemart » 25 Juil 2009, 08:16

Et le gars qui écrit cet article est très loin d'être un gauchiste.
Sa biographie sur Wikipedia.
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Jacquemart
 
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Message par Sterd » 29 Nov 2009, 10:06

Un article du même dans le numéro 386 de "Pour la science" (décembre 2009 en kiosque)

a écrit :Les mammouths engraissent !

Il serait bon que les banques de prêts, les mammouths, ne profitent pas des dépôts garantis par l'État pour se livrer à des activités spéculatives d'investissements.


Ivar EKELAND

Si l'archevêque de Cantorbéry nous dit qu'il croit en Dieu, il fait tout bonnement son métier. En revanche, s'il nous dit qu'il n'y croit pas, on peut penser qu'il a réfléchi avant de parler. Dans le même ordre d'idées, il est rafraîchissant d'entendre Adair Turner, président de la Financial Services Authority, s'interroger publiquement sur l'utilité sociale des banques d'investissement, et Mervyn King, gouverneur de la Banque d'Angleterre, déclarer que jamais, dans l'histoire de l'humanité, on n'avait vu si peu de personnes devoir autant à tant de monde. Et de fait, au Royaume-Uni, les banques ont reçu de l'État, et donc, en dernière analyse, du contribuable, 1 000 milliards de livres, soit les deux tiers du pib annuel.

Au fait, à quoi servent les banques ? Les bons auteurs nous expliquent qu'elles servent à mettre de l'argent en circulation, et qu'elles facilitent par là l'activité économique. C'est le propre de toute activité de prêt : si je sors 10 millions d'euros de sous mon matelas, et que je prête 100 000 euros à 100 personnes qui en ont besoin, ce sont 10 millions d'euros qui rentrent dans le circuit des échanges. Malheureusement, je ne peux pas prêter de l'argent que je n'ai pas. Le miracle des banques, c'est qu'elles, elles peuvent le faire ! Elles ne sont tenues à conserver libre et disponible qu'une petite proportion, à l'heure actuelle huit pour cent, des sommes qui leur sont confiées. Cela veut dire que si une banque a 10 millions d'euros de dépôts, elle peut en prêter 9,2 millions à ses clients ; outre les déposants initiaux, il y aura donc d'autres personnes dont le compte sera abondé, pour un total de 9,2 millions d'euros qui viendront s'ajouter aux 10 millions d'euros initiaux. Si maintenant ces nouveaux riches retirent leur argent et viennent le déposer dans une autre banque, ils deviennent des déposants au regard de celle-ci, qui s'en servira pour créer une nouvelle génération d'emprunteurs. Compte tenu de la réserve légale de huit pour cent, ce sont 8,364 millions d'euros supplémentaires qui seront mis en circulation, et qui à leur tour feront des petits. En itérant l'opération, il est facile de voir qu'en fin de course, un dépôt initial de 10 millions d'euros se traduira par une ouverture de crédit de 125 millions d'euros.

Tout le système est fondé sur l'hypothèse que les huit pour cent de réserve suffiront aux opérations de retrait courantes. Bien entendu, si les déposants ont le moindre doute sur la capacité de la banque à honorer ses engagements, ils se précipiteront tous en même temps pour retirer leur argent, et provoqueront la catastrophe qu'ils redoutaient. Pour éviter cela, les gouvernements ont mis en place des mécanismes protecteurs, dont l'efficacité a été amplement démontrée : en cas de difficultés de trésorerie, les banques peuvent se tourner vers la banque centrale, prêteuse en dernier ressort, et les dépôts sur compte-courant sont, dans la plupart des pays, garantis par l'État.

Mais, me dira-t-on, qu'en est-il de la spéculation sur les marchés financiers, qui a coûté si cher à la Société générale ou à l'Écureuil ? C'est bien là que le bât blesse : il s'agit d'une activité différente, et dont l'utilité sociale est bien moins assurée. Certes, il a toujours existé, à côté des banques de dépôt, se conformant au rôle que je viens de décrire, des banques d'investissement, se spécialisant dans la prise de risque pour une clientèle fortunée. Il ne s'agit plus d'une activité de prêt, où la source de profit est la différence entre l'intérêt que l'on verse aux déposants et celui que l'on prend aux emprunteurs, mais d'une activité spéculative, où les gains les plus importants vont de pair avec les risques les plus élevés.

On ne voit pas pourquoi cette activité spéculative, où les banques d'investissement concurrencent des sociétés financières, des gestionnaires privés, et des hedge funds, bénéficierait des multiples protections qui entourent les banques de dépôt. À la suite de la crise de 1929, l'exercice simultané des deux activités a été interdit ; c'est le fameux Glass-Stegall Act, dont l'abolition en 1999 a conduit à la constitution de mammouths, se conduisant en spéculateurs tant qu'ils gagnaient, et revendiquant la protection de l'État quand ils perdaient. La solution préconisée par M. King consiste à séparer de nouveau les deux types d'activité, quitte à sacrifier les mammouths. Leur sauvetage a coûté très cher aux contribuables, et le mammouth se révèle à l'usage être un animal gourmand, encombrant, parfois dangereux et qui n'en fait qu'à sa tête.
Sterd
 
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