
Un article de "Pour la Science" de ce mois-ci qui explique comment les banques peuvent se sortir indemnes de la crise financière
("Pour La Science" a écrit :Comment profiter des pauvres ?
Comment profiter des pauvres Les banques utilisent la passivité comptable pour masquer leurs actifs pourris, puisent dans les capitaux prêtés par l'État presque sans intérêt et augmentent certains taux de prêt à leurs clients.
Les banques vont bien. bnp-Paribas a déclaré un profit de 1,56 milliard d'euros pour le premier trimestre 2009. Goldman-Sachs va rembourser par anticipation dix milliards d'euros au Trésor américain, et donc se débarrasser des contraintes réglementaires qui conditionnaient ce prêt. En revanche, l'économie mondiale va mal. La production mondiale a reculé en 2009, pour la première fois depuis la fin de la guerre, General Motors est en faillite, et le pib américain a retrouvé son niveau de 1998. Comment les banques peuvent-elles faire des profits alors que la production industrielle chute ?
Notons que certains de ces profits sont fictifs. Les banques détiennent toujours des actifs toxiques, tels les fameux subprimes, prêts hypothécaires qui ne seront jamais remboursés. Ce sont des actifs dont personne ne veut, mais qui continuent à figurer au bilan de leur détenteur pour leur valeur nominale. En d'autres termes, si dans la période d'euphorie, vous avez acheté pour un milliard de subprimes, vous continuez à inscrire un milliard aux actifs de votre bilan. Vous savez pertinemment que si vous cherchiez à les vendre vous n'en tireriez que la moitié, soit 500 millions, mais vous vous gardez bien de le faire, car vous seriez alors forcé d'enregistrer une perte de 500 millions. Certes, il faudra bien la constater un jour, mais le plus tard sera le mieux, et si l'on veut conserver ses clients il vaut mieux annoncer des profits que des pertes. C'est si vrai que le Trésor américain, qui avait annoncé son intention de racheter aux banques les actifs toxiques pour assainir le système et rétablir la confiance, vient d'annoncer qu'il retardait sa mise en œuvre, car il ne trouvait pas de vendeur !
Mais d'autres profits sont bien réels. Les banques bénéficient aujourd'hui d'une situation extraordinairement favorable : les gouvernements leur donnent tout l'argent qu'elles veulent, pour aussi longtemps qu'elles veulent, et pratiquement sans intérêt (0,25 pour cent aux États-Unis !). Comme les taux auxquels elles prêtent à leurs propres clients n'ont pas baissé, le simple jeu des marges leur assure des profits confortables et sans risque aucun. Donnons un exemple. Chaque année, le Ghana sollicite auprès d'un pool de banques une ligne de crédit destinée à préfinancer la production du cacao. Cette production future est vendue d'avance : avant même qu'une graine ait été mise en terre, les négociants internationaux se sont déjà engagés à acheter la récolte et ont convenu du prix. Le risque pour les prêteurs est donc nul : il s'agit simplement de donner aux petits paysans les moyens de planter et de cultiver...
Jusqu'en 2007, le taux de la ligne de crédit reflétait cette absence de risque : 0,16 pour cent au-dessus du libor, qui est le taux sans risque. En 2008, on passe à 0,45 pour cent, ce qui s'explique par la crise financière : les banques ne disposaient plus de liquidités. On pourrait croire qu'en 2009, maintenant que les banques peuvent puiser à pleines mains dans les coffres des États, on est revenu au niveau d'avant la crise. Il n'en est rien. Le taux cette année est passé à 3,5 pour cent au-dessus du libor, soit 7 fois plus que l'année dernière, 20 fois plus qu'en 2007. Rappelons qu'il s'agit d'une opération sans risque : si les banques appliquaient aux paysans ghanéens le taux qu'elles s'appliquent entre elles, ils paieraient deux fois moins cher, en l'occurrence 35 milliards au lieu de 70, puisque l'opération porte sur un milliard de dollars. La différence, soit 35 millions, est une rente, un transfert direct d'argent des paysans ghanéens vers Natixis, la Société Générale et les autres banques du syndicat.
Nous sommes revenus à la situation antérieure : un flot de liquidités se déverse dans le système financier mondial, provoquant une bulle spéculative et poussant les financiers à rechercher des rendements irréalistes. Avant 2007, elle était alimentée par des taux anormalement bas aux États-Unis, qui ont permis la spéculation immobilière ; aujourd'hui, elle est alimentée par les subventions versées au banques. Les mauvaises habitudes reviennent, on ne parle plus de réglementer le système financier. Au contraire, ceux qui devraient le faire quittent l'administration pour devenir banquiers. Ils n'ont rien appris, ni rien oublié.
Ivar EKELAND