N'ayant pas trop le temps de rejoindre la discussion, je me contente de copier-coller vite fait un extrait d'article de 2006 de Duménil et Lévy, qui ont abordé ce thème à plusieurs reprises. Il y quelques chiffres assez éloquents, je crois.
a écrit :Les hauts revenus aux États-Unis
Quand on examine les revenus de l'ensemble des ménages des États-Unis au début des années 2000, toujours dans les mêmes statistiques fiscales de 2001, on voit assez clairement se singulariser une fraction supérieure dont les revenus sont assez différents du reste de la population . Il s'agit d'un écart de niveau, mais également de composition. Il n'est évidemment pas possible de passer sans précaution de l'observation des revenus à la structure de classe, mais il s'agit là d'un aspect important des différentiations sociales.
A en croire les statistiques fiscales, la grande masse de la population, soit 98 % des ménages, reçoit moins de 200.000 dollars par an. Son revenu est formé à 90 % de salaires, dans une acception large qui inclut les retraites. Les revenus du capital, au sens des intérêts et dividendes, représentent moins de 5 %. Le tableau change en pénétrant parmi les 2 % aux revenus supérieurs à 200.000 dollars (aux États-Unis, 2 % des ménages signifie plus de 2 millions de familles). Les salaires représentent encore un peu plus de la moitié du revenu de ces ménages ; les gains en capitaux (notamment les plus-values boursières), 18 % ; les dividendes, intérêts et loyers, 11 % ; et les revenus d'entreprises autres que les sociétés par actions, comme ceux des professions libérales et des travailleurs indépendants, 14 % . Il n'est évidemment pas possible de fixer une frontière rigoureuse, et les données disponibles sont limitées, mais les traits d'un monde capitaliste privilégié semblent s'affirmer entre 2 % et 1 % ; nous placerions volontiers la frontière aux alentours du 1,5 % des ménages aux revenus les plus élevés.
L'importance des salaires et des revenus des entreprises autres que les sociétés par actions, dans les revenus supérieurs, a conduit à parler de « riches travailleurs », ou de « riches au travail ». Les pourcentages précédents appellent, cependant, les éclaircissements suivants, permettant d'en saisir la nature véritable :
1. Beaucoup de revenus financiers échappent aux statistiques fiscales, et il y a toutes raisons de penser que ce pourcentage s'est accru dans le néolibéralisme. On estime en France, par exemple, que les revenus du capital déclarés représentent moins de 20 % de leur valeur. Il s'agit d'innombrables dispositifs permettant d'échapper à l'impôt (investir dans des paradis fiscaux, placer dans des fonds d'assurance vie, donner des portefeuilles d'actions à ses enfants, ce qui exonère de l'impôt sur les plus-values, etc.).
2. Le cas des entreprises autres que les sociétés par actions montre que le tissu des relations sociales est plus complexe encore que ce que suggère la séparation entre salaires et profits dans une société par actions. Une fraction correspond à des entreprises financières où les ménages les plus riches gèrent en commun leurs avoirs et s'engagent dans des opérations financières ; des flux d'intérêts et de dividendes sont ainsi transformés en une autre catégorie de revenus. On peut noter incidemment que ces entreprises sont des utilisateurs privilégiés de paradis fiscaux. Considérant l'ensemble de ces entreprises autres que les sociétés par actions, les activités financières et immobilières représentent environ un tiers de leur revenu total. Un quart de ce revenu provient de services rendus aux entreprises. Il s'agit de la sous-traitance de tâches de gestion à des entreprises de cadres spécialistes, vendeurs de leur compétence, mais aussi propriétaires de leur entreprise.
3. Au sein de ce 1 % supérieur en termes de revenus fiscaux, les revenus autres que les salaires sont importants. Globalement, cette caractéristique signale déjà un statut dans les relations de production distinct de celui du salarié type. Cela est d'autant plus vrai qu'on s'élève dans la hiérarchie. Les rémunérations sont si élevées, que tout ménage parvenant à ces niveaux devient, de fait, le détenteur d'un portefeuille de titres important. De plus, les revenus de ces groupes, classés comme « salaires », doivent être appréhendés avec précaution, puisqu'ils regroupent les salaires au sens strict et les distributions de titres, comme des stock-options réalisées ou d'autres distributions. Si l'on considère la moyenne de ces revenus pour les 100 présidents de sociétés les mieux payés, elle équivalait à un peu moins de 40 fois le salaire national moyen en 1970 et plus de 1000 fois en 1999 (presque 500 fois en 2003) . En 1999, le revenu annuel moyen, par individu, de ces 100 présidents atteignit 40 millions de dollars, dont moins de 10 % de salaires et primes, au sens strict, et le reste sous la forme de distributions de titres. Nous sommes là dans un monde de rémunérations exorbitantes, dont la nature est celle d'une distribution directe de plus-value.
Nous avons évoqué antérieurement la chute de la concentration des revenus fiscaux durant les décennies du compromis keynésien, le 1 % aux revenus les plus élevés voyant sa quote-part du revenu total des ménages diminuer de 16 % à 8 % (figure 1). Tout s'inversa avec le néolibéralisme. Comme le montre la figure, ce 1 % vit sa part du revenu fiscal total passer, en un peu plus de 20 ans, de 8 % à 16 % du revenu total. Cette croissance formidable des inégalités fut particulièrement aiguë au sommet de la pyramide. Alors que 90 % des familles (aux revenus les plus faibles) connurent, entre 1970 et 2002, une stagnation approximative de leur pouvoir d'achat, celui du 0,01 % supérieur fut multiplié par 4.