Les "Working Rich" ?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par luc marchauciel » 29 Juin 2010, 10:14

Dans ce papier de Sciences Humaines sur le "Retour des riches" [= le fait que depuis les années 70 les plus riches captent une part toujours croissante du PIB à leur profit], je suis un peu surpris par le passage sur les "working rich" :

http://www.scienceshumaines.com/le-retour-...s_fr_25499.html

a écrit :
Un autre changement majeur survenu au cours des trente dernières années touche à la composition des très hauts revenus. Si jusqu’en 1975 ils étaient essentiellement tirés du patrimoine et du capital (dividendes, intérêts, immobilier…), ce sont désormais les revenus du travail qui sont prépondérants. L’ultrariche d’aujourd’hui est moins un rentier qu’un working rich, salarié hors norme bénéficiant de bonus et/ou de stock-options qui tire sa rémunération vers des sommets encore jamais atteints. Selon les calculs de C. Landais, les 2 500 plus grosses feuilles de paie françaises (1 million d’euros en moyenne) ont gonflé de 68,9 % entre 1998 et 2006. Les 90 % des Français les moins riches ont dû, eux, se contenter de 0,9 % de mieux sur la même période.


Un papier de Contretemps sur le monde des traders et des hauts salariés de la finance va un peu dans le même sens :

http://www.contretemps.eu/interviews/qui-sont-traders


Cela me semble un peu contradictoire avec ce qu'on raconte sur le fait que les très hauts salaires détournent des clopinettes par rapport à ce qui va aux revenus du capital....
Il faudrait nuancer ? Il faudrait réviser des trucs à la lumière de ces évolutions (sont-elles de cette ampleur ? sont elles surévaluées ?)
Qu'en pensez vous, s'il y en a qui ont des lumières ?
luc marchauciel
 
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Message par Indesit » 29 Juin 2010, 10:36

(luc marchauciel @ mardi 29 juin 2010 à 10:14 a écrit : Dans ce papier de Sciences Humaines sur le "Retour des riches" [= le fait que depuis les années 70 les plus riches captent une part toujours croissante du PIB à leur profit], je suis un peu surpris par le passage sur les "working rich" :

http://www.scienceshumaines.com/le-retour-...s_fr_25499.html

a écrit :
Un autre changement majeur survenu au cours des trente dernières années touche à la composition des très hauts revenus. Si jusqu’en 1975 ils étaient essentiellement tirés du patrimoine et du capital (dividendes, intérêts, immobilier…), ce sont désormais les revenus du travail qui sont prépondérants. L’ultrariche d’aujourd’hui est moins un rentier qu’un working rich, salarié hors norme bénéficiant de bonus et/ou de stock-options qui tire sa rémunération vers des sommets encore jamais atteints. Selon les calculs de C. Landais, les 2 500 plus grosses feuilles de paie françaises (1 million d’euros en moyenne) ont gonflé de 68,9 % entre 1998 et 2006. Les 90 % des Français les moins riches ont dû, eux, se contenter de 0,9 % de mieux sur la même période.


Un papier de Contretemps sur le monde des traders et des hauts salariés de la finance va un peu dans le même sens :

http://www.contretemps.eu/interviews/qui-sont-traders


Cela me semble un peu contradictoire avec ce qu'on raconte sur le fait que les très hauts salaires détournent des clopinettes par rapport à ce qui va aux revenus du capital....
Il faudrait nuancer ? Il faudrait réviser des trucs à la lumière de ces évolutions (sont-elles de cette ampleur ? sont elles surévaluées ?)
Qu'en pensez vous, s'il y en a qui ont des lumières ?


L'expression est d'Olivier Godechot, qui a beaucoup travaillé sur les traders. Elle désigne le fait qu'une minorité de salariés du très haut de l'échelle accapare une fraction de plus en plus importante des revenus.

J'avais lu des chiffres sur la proportion des salaires des 100 premières rémunérations de la SG par rapport à la masse salariale globale. En 30 ans, l'évolution est spectaculaire.

Ces salariés sont les cadres dirigeants, les traders par exemple, en France issus des grandes écoles. Godechot explique qu'il s'agit d'une accaparation, à la manière dont le ferait un capitaliste.

à +
Indesit
 
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Message par luc marchauciel » 29 Juin 2010, 10:38

Le lien de Contretemps que je donne est justement une interview d'Olivier Godechot.
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Message par sylvestre » 29 Juin 2010, 15:33

Il me semble qu'il y a une différence importante entre un trader, qui est fondamentalement un spécialiste technique dont la rémunération dépend de sa réputation et du marché du travail dans ce secteur précis (un peu comme un footballeur ou un chirurgien), et un cadre dirigeant, particulièrement pour ceux qui sont en mesure de décider eux-mêmes de leur rémunération dans les conseils d'administration, et peuvent ainsi capter une partie de la plus value sous forme de très haut salaires. Voir par exemple http://www.suisse.attac.org/Les-grands-pat...et-leur-salaire
sylvestre
 
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Message par Indesit » 29 Juin 2010, 15:50

(sylvestre @ mardi 29 juin 2010 à 15:33 a écrit :Il me semble qu'il y a une différence importante entre un trader, qui est fondamentalement un spécialiste technique dont la rémunération dépend de sa réputation et du marché du travail dans ce secteur précis (un peu comme un footballeur ou un chirurgien), et un cadre dirigeant, particulièrement pour ceux qui sont en mesure de décider eux-mêmes de leur rémunération dans les conseils d'administration, et peuvent ainsi capter une partie de la plus value sous forme de très haut salaires. Voir par exemple http://www.suisse.attac.org/Les-grands-pat...et-leur-salaire



Il y a évidemment des différences, mais ils appartiennent tous les deux à la caste des "working rich", pour reprendre l'expression de Godechot. Et un cadre dirigeant a aussi un savoir-faire, du moins on ose l'espérer...

J'y ai pensé après, mais on peut mettre les footballeurs dans cette caste des working rich. Leur savoir faire est très différent de celui des traders, mais par leur position de marché, ils accaparent aussi un revenu énorme en inflation constante depuis 25 ans : Michel Platini déclarait récemment que les footballeurs de l'équipe de France gagnaient autant d'argent en un an que lui sur l'ensemble de sa carière ; et de son temps, l'inflation avait déjà commencé...

On notera d'ailleurs que l'augmentation de salaires des traders, des footballeurs, des présentateurs de TV, etc... a commencé dans les années 1980, en même temps que l'envolée des profits, et que leur hausse relative au revenu national. Comme quoi, c'est vraiment lié.

à +
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Message par Faber » 30 Juin 2010, 10:55

là ou les footballeurs se distinguent peut être des traders, c'est que la fraction de très riches footballeurs est ultra minoritaire par rapport à l'ensemble. Les internationaux qui disputent la coupe du monde (et on ne parle là que des joueurs qui jouent ou ont joué en Europe) et dont les salaires se rapprochent un tant soit peu des sommes du monde de la finance, ne doivent pas être plus d'une trentaine. Les autres vivent très bien, mais c'est quand même pas les même sommes, quant à l'arrière droit du Honduras...
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Message par jeug » 30 Juin 2010, 11:47

(luc marchauciel @ mardi 29 juin 2010 à 11:14 a écrit : je suis un peu surpris par le passage sur les "working rich" :
(...)
a écrit :
ce sont désormais les revenus du travail qui sont prépondérants. [b]L’ultrariche d’aujourd’hui est moins un rentier qu’un working rich, salarié hors norme bénéficiant de bonus et/ou de stock-options qui tire sa rémunération vers des sommets encore jamais atteints. Selon les calculs de C. Landais, les 2 500 plus grosses feuilles de paie françaises (1 million d’euros en moyenne) ont gonflé de 68,9 % entre 1998 et 2006. Les 90 % des Français les moins riches ont dû, eux, se contenter de 0,9 % de mieux sur la même période.


Sauf que justement, les salaires de 1 million d'euros / an en moyenne, ce ne sont précisément pas les plus haut revenus.
Je rappelle que Bettencourt, elle gagne ça en 2 jours et 1/2.

L'article mélange plusieurs notions et joue un peu sur les mots. Volontairement ou pas.

A retenir quand même : les revenus (tout confondu) participent à la loi générale de l'univers en expansion qui augmente toutes les distances.
jeug
 
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Message par Jacquemart » 30 Juin 2010, 11:56

N'ayant pas trop le temps de rejoindre la discussion, je me contente de copier-coller vite fait un extrait d'article de 2006 de Duménil et Lévy, qui ont abordé ce thème à plusieurs reprises. Il y quelques chiffres assez éloquents, je crois.

a écrit :Les hauts revenus aux États-Unis

Quand on examine les revenus de l'ensemble des ménages des États-Unis au début des années 2000, toujours dans les mêmes statistiques fiscales de 2001, on voit assez clairement se singulariser une fraction supérieure dont les revenus sont assez différents du reste de la population . Il s'agit d'un écart de niveau, mais également de composition. Il n'est évidemment pas possible de passer sans précaution de l'observation des revenus à la structure de classe, mais il s'agit là d'un aspect important des différentiations sociales.

A en croire les statistiques fiscales, la grande masse de la population, soit 98 % des ménages, reçoit moins de 200.000 dollars par an. Son revenu est formé à 90 % de salaires, dans une acception large qui inclut les retraites. Les revenus du capital, au sens des intérêts et dividendes, représentent moins de 5 %. Le tableau change en pénétrant parmi les 2 % aux revenus supérieurs à 200.000 dollars (aux États-Unis, 2 % des ménages signifie plus de 2 millions de familles). Les salaires représentent encore un peu plus de la moitié du revenu de ces ménages ; les gains en capitaux (notamment les plus-values boursières), 18 % ; les dividendes, intérêts et loyers, 11 % ; et les revenus d'entreprises autres que les sociétés par actions, comme ceux des professions libérales et des travailleurs indépendants, 14 % . Il n'est évidemment pas possible de fixer une frontière rigoureuse, et les données disponibles sont limitées, mais les traits d'un monde capitaliste privilégié semblent s'affirmer entre 2 % et 1 % ; nous placerions volontiers la frontière aux alentours du 1,5 % des ménages aux revenus les plus élevés.

L'importance des salaires et des revenus des entreprises autres que les sociétés par actions, dans les revenus supérieurs, a conduit à parler de « riches travailleurs », ou de « riches au travail ». Les pourcentages précédents appellent, cependant, les éclaircissements suivants, permettant d'en saisir la nature véritable :

1. Beaucoup de revenus financiers échappent aux statistiques fiscales, et il y a toutes raisons de penser que ce pourcentage s'est accru dans le néolibéralisme. On estime en France, par exemple, que les revenus du capital déclarés représentent moins de 20 % de leur valeur. Il s'agit d'innombrables dispositifs permettant d'échapper à l'impôt (investir dans des paradis fiscaux, placer dans des fonds d'assurance vie, donner des portefeuilles d'actions à ses enfants, ce qui exonère de l'impôt sur les plus-values, etc.).

2. Le cas des entreprises autres que les sociétés par actions montre que le tissu des relations sociales est plus complexe encore que ce que suggère la séparation entre salaires et profits dans une société par actions. Une fraction correspond à des entreprises financières où les ménages les plus riches gèrent en commun leurs avoirs et s'engagent dans des opérations financières ; des flux d'intérêts et de dividendes sont ainsi transformés en une autre catégorie de revenus. On peut noter incidemment que ces entreprises sont des utilisateurs privilégiés de paradis fiscaux. Considérant l'ensemble de ces entreprises autres que les sociétés par actions, les activités financières et immobilières représentent environ un tiers de leur revenu total. Un quart de ce revenu provient de services rendus aux entreprises. Il s'agit de la sous-traitance de tâches de gestion à des entreprises de cadres spécialistes, vendeurs de leur compétence, mais aussi propriétaires de leur entreprise.

3. Au sein de ce 1 % supérieur en termes de revenus fiscaux, les revenus autres que les salaires sont importants. Globalement, cette caractéristique signale déjà un statut dans les relations de production distinct de celui du salarié type. Cela est d'autant plus vrai qu'on s'élève dans la hiérarchie. Les rémunérations sont si élevées, que tout ménage parvenant à ces niveaux devient, de fait, le détenteur d'un portefeuille de titres important. De plus, les revenus de ces groupes, classés comme « salaires », doivent être appréhendés avec précaution, puisqu'ils regroupent les salaires au sens strict et les distributions de titres, comme des stock-options réalisées ou d'autres distributions. Si l'on considère la moyenne de ces revenus pour les 100 présidents de sociétés les mieux payés, elle équivalait à un peu moins de 40 fois le salaire national moyen en 1970 et plus de 1000 fois en 1999 (presque 500 fois en 2003) . En 1999, le revenu annuel moyen, par individu, de ces 100 présidents atteignit 40 millions de dollars, dont moins de 10 % de salaires et primes, au sens strict, et le reste sous la forme de distributions de titres. Nous sommes là dans un monde de rémunérations exorbitantes, dont la nature est celle d'une distribution directe de plus-value.

Nous avons évoqué antérieurement la chute de la concentration des revenus fiscaux durant les décennies du compromis keynésien, le 1 % aux revenus les plus élevés voyant sa quote-part du revenu total des ménages diminuer de 16 % à 8 % (figure 1). Tout s'inversa avec le néolibéralisme. Comme le montre la figure, ce 1 % vit sa part du revenu fiscal total passer, en un peu plus de 20 ans, de 8 % à 16 % du revenu total. Cette croissance formidable des inégalités fut particulièrement aiguë au sommet de la pyramide. Alors que 90 % des familles (aux revenus les plus faibles) connurent, entre 1970 et 2002, une stagnation approximative de leur pouvoir d'achat, celui du 0,01 % supérieur fut multiplié par 4.
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Message par logan » 30 Juin 2010, 12:17

luc marchauciel > Quelles conclusions tires-tu de cela ?
logan
 
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Message par luc marchauciel » 30 Juin 2010, 19:20

(logan @ mercredi 30 juin 2010 à 13:17 a écrit : luc marchauciel > Quelles conclusions tires-tu de cela ?
Je sais pas, je suis censé tirer des conclusions dans un sens ou l'autre au bout de 3 posts et deux exemples sur un fil ?

Je crois que ce phénomène des "working rich" est plus important que ce que je pouvais imaginer, mais j'ai comme principe de considérer qu'avant de réviser un peu ou beaucoup une thèse qui a fait ses preuves depuis un paquet de temps, il faut pas mal de données solides qui ne collent pas avec la thèse (et on a en l'occurence de la marge, semble-t-il...). Mais j'ai aussi un autre principe : il est toujours bon d'être prêt à revoir ses théories si elles ne collent plus assez avec le réel, et à ne considérer aucune question comme tabou.
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