Belles feuilles

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Belles feuilles

Message par Byrrh » 26 Juin 2020, 08:04

Lorsque les choses allaient vraiment mal, il se consolait en se jetant à corps perdu dans la lutte. Depuis qu'il avait rejoint le grand courant socialiste, tout ce qu'il avait considéré jusque-là comme primordial dans sa vie lui paraissait relativement secondaire. Il s'intéressait dorénavant au monde des idées. À première vue, il menait une existence banale et terne, sans autre ambition que de demeurer un simple portier d'hôtel. Mais, intellectuellement, il allait d'aventure en aventure. Il avait tant à apprendre, tant de merveilles à découvrir !

La Jungle, d'Upton Sinclair (1905).
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Belles feuilles, Trotsky, journal ouvrier

Message par com_71 » 04 Juil 2020, 10:49

Comme on le sait, cette année une violente épidémie de malaria a ravagé le pays. Alors que les anciennes épidémies, – typhus, choléra, etc. -, ont nettement diminué ces derniers temps (atteignant même un taux inférieur à celui d'avant la guerre), la malaria s'est développée dans des proportions inouïes. Elle touche des villes, des arrondissements, des usines, etc. Les apparitions subites, le flux et le reflux, la périodicité (la régularité) de ses accès font que la malaria n'agit pas seulement sur la santé, mais aussi sur l'imagination. On en parle, on y réfléchit, elle offre un terrain propice aux superstitions autant qu'à la propagande scientifique. Mais notre presse s'y intéresse encore insuffisamment. Cependant, chaque article traitant de la malaria suscite, comme l'ont rapporté les camarades de Moscou, le plus grand intérêt : le numéro du journal passe de main en main, l'article est lu à haute voix. Il est parfaitement évident que notre presse, sans se limiter à la propagande sanitaire du commissariat à la santé publique, doit entreprendre sur ce thème un important travail. Il faut commencer par décrire le développement même de l'épidémie, préciser les régions où elle se répand, énumérer les usines et les fabriques qu’elle touche plus particulièrement. Cela établira déjà un lien vivant avec les masses les plus retardées en leur montrant qu'on les connaît, qu'on s'intéresse à elles, qu'on ne les oublie pas. Il faut ensuite expliquer la malaria d'un point de vue scientifique et social, montrer par des dizaines d'exemples qu'elle se développe dans des conditions de vie et de production particulières, bien mettre en lumière les mesures prises par les organismes gouvernementaux, dispenser les conseils nécessaires et les répéter avec insistance d'un numéro à l'autre, etc. On peut et on doit sur ce terrain développer la propagande contre les préjugés religieux. Si les épidémies, comme en général toutes les maladies, représentent un châtiment pour les péchés commis, alors pourquoi la malaria se répand-elle plus dans les lieux humides que dans les lieux secs ? Une carte du développement de la malaria, accompagnée des explications pratiques nécessaires, est un remarquable instrument de propagande antireligieuse. Son impact sera d'autant plus important que le problème touche en même temps et très vivement de larges groupes de travailleurs.


https://www.marxists.org/francais/trots ... /qmv2.html
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Belles feuilles, Trotsky, journal ouvrier (2)

Message par com_71 » 04 Juil 2020, 11:01

Un proverbe dit : " C'est l'uniforme qui fait le général..." Il faut donc commencer par la technique journalistique. Elle est meilleure, certes, qu'en 1919-1920, mais elle est encore extrêmement défectueuse. A cause du manque de soin dans la mise en page, de l'excès d'encrage, le lecteur cultivé, et à plus forte raison celui qui ne l'est pas, a des difficultés à lire le journal. Les journaux à grand tirage destinés aux larges masses ouvrières, comme "Le Moscou travailleur" ou "La gazette ouvrière", sont extrêmement mal imprimés. La différence d'un exemplaire à l'autre est très grande : parfois, presque tout le journal est lisible, parfois, on n'en comprend pas la moitié. C'est pourquoi l'achat d’un journal ressemble, à une loterie. Je tire au hasard un des derniers numéros de "La gazette ouvrière". Je regarde "Le coin des enfants" : "Le conte du chat intelligent..." Impossible de lire, tant l'impression est défectueuse; et c'est pour des enfants ! Il faut le dire franchement : notre technique en matière de journaux, c'est notre honte. Malgré notre pauvreté, malgré notre immense besoin d'instruction, nous nous payons souvent le luxe de barbouiller le quart, si ce n'est la moitié d'une feuille de journal. Un tel "chiffon" ne peut qu'irriter le lecteur; un lecteur peu averti s'en lasse, un lecteur cultivé et exigeant grince des dents et méprise carrément ceux qui se moquent ainsi. de lui. Car il y a bien quelqu'un qui écrit ces articles, quelqu'un qui les met en page, quelqu'un qui les imprime, et en fin de compte le lecteur, malgré tous ses efforts, n'en déchiffre pas la moitié. Quelle honte et quelle infamie ! Lors du dernier congrès du parti, on a porté une attention particulière au problème de la typographie. Et la question se pose : jusqu'à quand allons-nous supporter tout cela ?

"C'est l'uniforme qui fait le général..." Nous avons déjà vu qu'une impression défectueuse empêche quelquefois de pénétrer l'esprit d'un article. Mais il reste encore à procéder à la disposition du matériau, à la mise en page, aux corrections. Arrêtons-nous seulement sur les corrections, car elles sont chez nous particulièrement mal faites. Il n'est pas rare de relever des fautes d'impression et des coquilles énormes, non seulement dans les journaux, mais aussi dans les revues scientifiques, particulièrement dans la revue "Sous la bannière du marxisme". Léon Tolstoï a dit un jour que les livres étaient un instrument pour répandre l'ignorance. Bien sûr, cette affirmation de barine méprisant est totalement mensongère. Mais hélas, elle se justifie en partie... si l'on considère les corrections de notre presse. Cela non plus, on ne peut plus le supportera Si les imprimeries ne disposent pas des cadres nécessaires, de correcteurs-réviseurs cultivés qui connaissent leur travail, il faut alors perfectionner sur le tas les cadres existants. Il faut leur donner des cours de soutien ainsi que des cours d'instruction politique. Un correcteur doit comprendre le texte qu'il corrige, sinon ce n'est pas un correcteur, mais un propagateur involontaire de l'ignorance ; la presse, quoi qu'en dise Tolstoï, est, et doit être, un instrument d'éducation.


https://www.marxists.org/francais/trots ... /qmv2.html
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Belles feuilles, Trotsky, Revendications de transition

Message par com_71 » 11 Juil 2020, 18:35

Discussion pour résumer sur les revendications de transition
23 mars 1938
Trotsky. — Au cours des discussions précédentes, des camarades ont eu l'impression que quelques-unes de mes propositions ou revendications étaient opportunistes, et d'autres qu'elles étaient trop révolutionnaires et ne correspondaient pas à la situation objective. Cette combinaison est fort compromettante, et c'est pourquoi je voudrais défendre brièvement cette apparente contradiction.

Quelle est la situation générale, aux Etats-Unis et dans le monde entier ? La crise économique est sans précédent, la crise financière, dans chacun des états, de même, et la guerre approche. C'est une crise sociale sans précédent. Pendant sept, huit ou neuf ans, nous avons cru que le capitalisme américain ferait preuve de plus de résistance, mais les faits ont montré que le capitalisme américain, c'est-à-dire le capitalisme apoplectique, est peut-être plus près que d'autres de l'effondrement. La crise américaine est une crise sociale, pas une crise de conjoncture. Cette crise sociale — qu'on appelle maintenant récession — présente des traits d'une extrême acuité. Ce n'est pas la fin de la récession.

Les difficultés financières des Etats-Unis. Naturellement la nation est très riche, et l'Etat peut lui emprunter, mais cela veut dire que, sur la base de la crise financière, il y a une crise de l'Etat. Nous pouvons dire qu'il y a crise politique de la classe dominante. La prospérité s'est évanouie ; personne ne croit à son retour. Et ce fait se reflète dans la crise politique des démocrates et des républicains. Les classes dominantes sont désorganisées et à la recherche d'un nouveau programme. Le programme de Roosevelt est expérimental, pour ne pas dire aventuriste, du point de vue capitaliste. Cela signifie une prémisse tout à fait fondamentale pour une situation révolutionnaire. C'est vrai pour le monde, c'est vrai pour les Etats-Unis et peut-être spécialement pour eux.

Maintenant, la question du prolétariat. Il s'est produit un très grand changement dans la situation de la classe ouvrière. J'ai appris avec intérêt et plaisir, dans quelques articles du Socialist Appeal et de New International, qu'aujourd'hui le sentiment de l'ouvrier américain qu'il est un ouvrier, est en train de grandir, que ce n'est pas le vieil état d'esprit pionnier, qu'il est ouvrier pour un temps : maintenant il est un ouvrier permanent, et même un chômeur permanent. C'est la base de tous les autres développements dans la classe ouvrière. Et puis il y a eu les grèves sur le tas. Elles étaient, je crois, sans précédent, dans tout le mouvement ouvrier aux Etats-Unis. Comme résultat de ce mouvement, la fondation et la croissance du C.I.O. Et aussi la tendance à construire le Labor party, la L.N.P.L.

Je ne connais pas suffisamment l'histoire et l'actualité du mouvement ouvrier en Amérique. Mais, de façon générale, en 1924, je peux dire que le mouvement était plus imposant, mais qu'aujourd'hui les prémisses sociales sont incomparablement plus mûres. C'est pourquoi la signification du Labor Party est plus importante aujourd'hui. Je ne dirai pas pourtant que toutes les conditions sont développées au même degré et au même niveau. Si on prend la situation mondiale en général — les contradictions impérialistes, la position du capitalisme américain, la crise et le chômage, la position de l'Etat américain comme une expression de l'économie américaine, de la bourgeoisie américaine, l'état d'esprit politique de la classe dirigeante, la désorientation dans ses rangs et la position de la classe ouvrière — on peut dire, en prenant tout cela en considération, que les prémisses sont plus mûres pour la révolution.

Si on passe de ces prémisses à la superstructure, à la politique, on relève moins de maturité. Les contradictions internes du capitalisme américain — la crise et le chômage — sont incomparablement plus mûres pour une révolution que la conscience des ouvriers américains. Tels sont les deux pôles de la situation. On peut dire qu'elle est caractérisée par une sur-maturité de toutes les prémisses sociales fondamentales pour la révolution, un fait que personnellement je n'avais pas prévu il y a huit ou neuf ans.

D'un autre côté, grâce à la rapidité et l'aggravation de la décomposition des conditions matérielles aux Etats-Unis, la conscience des masses — bien qu'elle ait réalisé des progrès importants — demeure arriérée en comparaison des conditions objectives. Nous savons que les conditions subjectives — la conscience des masses, la croissance du parti révolutionnaire — ne sont pas un facteur fondamental. Elles dépendent de la situation objective, en dernière analyse, l'élément subjectif dépend lui-même des conditions objectives, mais cette dépendance n'est pas un processus simple.

On a observé en France l'année dernière un phénomène très important et très instructif pour les camarades des E.U. Le mouvement ouvrier avait reçu un élan puissant. Les syndicats étaient passés en quelques mois de moins d'un million à près de cinq millions. Les grèves sur le tas en France ont été incomparablement plus puissantes qu'aux E.U. Les travailleurs étaient prêts à tout, à aller jusqu'au bout. Et, d'un autre côté, on a vu la mécanique du Front populaire : pour la première fois, on pouvait démontrer l'importance historique de la trahison de l'I.C. Parce que, depuis quelques années, l'I.C. est devenue un appareil pour la conservation sociale du capitalisme, la disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs a pris une acuité terrible, et le Front populaire est devenu le frein le plus puissant pour canaliser ce grand courant révolutionnaire des masses. Et il y est, dans une certaine mesure, arrivé. On ne peut pas prévoir ce que sera demain, mais, en France, ils sont arrivés à capturer le mouvement des masses, et on voit maintenant le résultat : le mouvement à droite, Blum qui devient un dirigeant, celui qui forme les gouvernements d'union, l'union sacrée pour la guerre. Mais ce n'est qu'un phénomène secondaire. Le plus important, c'est qu'il existe, partout dans le monde, ce qui existe aux Etats-Unis, à savoir cette disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs, mais elle n'a jamais été aussi aiguë que maintenant.

On a aux Etats-Unis un mouvement des masses pour surmonter cette disproportion, celui qui va de Green à Lewis, de Walker à La Guardia [1]. Il s'agit de surmonter la contradiction fondamentale. Le P.C. joue aux Etats-Unis le même rôle qu'en France, mais à une échelle plus modeste. Le rooseveltisme remplace ici le Front popularisme de France. Dans ces conditions, notre parti doit réaliser, doit aider les ouvriers à surmonter cette contradiction.

Quelles sont nos tâches? Les tâches stratégiques consistent à aider les masses, à adapter leur mentalité politique et psychologique à la situation objective, à surmonter les préjugés traditionnels des ouvriers américains, à adapter leur état d'esprit à la situation objective de la crise sociale de l'ensemble du système.

Dans cette situation — prenant en considération la petite expérience, puis considérant la création du C.I.O., les grèves sur le tas, etc. — nous avons tout à fait le droit d'être plus optimistes, plus courageux, plus offensifs dans notre stratégie et notre tactique — pas aventuristes — et d'avancer des mots d'ordre qui ne font pas partie du vocabulaire de la classe ouvrière américaine.

Quel est le sens du programme de transition ? On peut dire que c'est un programme d'action, mais pour nous, pour notre conception stratégique, c'est un programme de transition—c'est une aide aux masses pour surmonter les idées reçues, les méthodes et les formes, et pour s'adapter aux exigences de la situation objective. Ce programme de transition doit inclure les revendications les plus simples. Nous ne pouvons ni prévoir ni prescrire les revendications locales et syndicales adaptées à la situation locale d'une usine donnée, le développement de cette revendication, au mot d'ordre pour la création d'un soviet d'ouvriers.

Ce sont là les deux points extrêmes, à partir du développement de notre programme de transition, pour trouver les liens et amener les masses à l'idée de la prise révolutionnaire du pouvoir. C'est pourquoi certaines revendications apparaissent comme très opportunistes — parce qu'elles sont adaptées à la mentalité réelle des travailleurs. C'est pourquoi d'autres apparaissent comme trop révolutionnaires — parce qu'elles reflètent plus la situation objective que la mentalité réelle des ouvriers. Nous devons combler aussi vite que possible l'écart entre les facteurs objectifs et les facteurs subjectifs. C'est pourquoi je ne peux surestimer l'importance du programme de transition.

Vous pouvez m'objecter qu'on ne peut pas prédire le rythme de développement, et que la bourgeoisie trouvera peut-être une position de repli politique — ce n'est pas exclu — et que nous serons alors obligés de battre en retraite. Mais dans la situation actuelle, c'est vers une stratégie offensive, non vers la retraite que nous devons nous orienter. Cette offensive stratégique doit être inspirée par l'idée de la création de soviets d'ouvriers à celle d'un gouvernement ouvrier et paysan. Je ne propose pas de lancer tout de suite le mot d'ordre des soviets — pour bien des raisons, surtout parce que ce mot d'ordre n'a pas pour les ouvriers américains le sens qu'il avait pour les ouvriers russes — pour aller, de là, à la dictature du prolétariat. Il est très possible et probable que, de même qu'on a vu aux Etats-Unis les grèves sur le tas, on y verra, sous une forme nouvelle, un équivalent des soviets. Probablement commencera-t-on par leur donner un autre nom. Dans certaines périodes, les soviets peuvent être remplacés par les comités d'usine, de l'échelle locale à l'échelle nationale. On ne peut le dire à l'avance, mais notre orientation stratégique pour la prochaine période, c'est l'orientation vers les soviets. L'ensemble du programme de transition doit combler les trous entre les conditions d'aujourd'hui et les soviets de demain...


https://www.marxists.org/francais/trots ... 380323.htm
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Belles feuilles Frederick Douglass

Message par com_71 » 18 Juil 2020, 11:04

article de Spark juillet 2020
Frederick Douglass : le 4 juillet

Le 5 juillet 1852, Frederick Douglass prononça un discours devant la Rochester Ladies 'Anti-Slavery Society à Rochester, New York. Nous présentons des extraits ici. L'oppression systémique dont parle Douglass existe toujours aujourd'hui; et la prochaine révolution pour le renverser est dans notre avenir.

Citoyens, je ne manque pas de respect pour les pères de cette république. Les signataires de la Déclaration d'indépendance étaient des hommes courageux. C'étaient aussi de grands hommes - assez grands pour donner la gloire à un grand âge. Il n'arrive pas souvent à une nation d'élever, à un moment donné, un tel nombre d'hommes vraiment grands. Le point à partir duquel je suis obligé de les considérer n'est certainement pas le plus favorable; et pourtant je ne peux pas contempler leurs grandes actions avec moins d'admiration. C'étaient des hommes d'État, des patriotes et des héros, et pour le bien qu'ils ont fait et les principes qu'ils défendaient, je m'unirai à vous pour honorer leur mémoire.

C'étaient des hommes de la paix; mais ils préféraient la révolution à la soumission pacifique à l'esclavage. C'étaient des hommes tranquilles; mais ils n'ont pas hésité à s'agiter contre l'oppression. Ils ont fait preuve de patience; mais ils connaissaient ses limites. Ils croyaient à l'ordre; mais pas dans l'ordre de la tyrannie. Avec eux, ce qui n'allait pas n'était pas «réglé». Avec eux, la justice, la liberté et l'humanité étaient «définitives»; pas l'esclavage et l'oppression. Vous pouvez bien chérir la mémoire de ces hommes. Ils étaient formidables dans leurs jours et leur génération.

Avec des hommes courageux, il y a toujours un remède contre l'oppression. Juste ici, l'idée d'une séparation totale des colonies de la couronne est née! C'était une idée surprenante, bien plus que nous, à cette distance de temps, ne la considérons.

Les timides et les prudents de ce jour-là en étaient bien sûr choqués et alarmés. De telles personnes vivaient alors, avaient vécu auparavant et auront probablement jamais une place sur cette planète; et leur cours, par rapport à tout grand changement, (peu importe combien le bien à atteindre, ou le mal à réparer par lui,) peut être calculé avec autant de précision que peut l'être le cours des étoiles. Ils détestent tous les changements, mais l'argent, l'or et le cuivre changent! De ce type de changement, ils sont toujours fortement en faveur. ...
Mes affaires, si j'en ai ici aujourd'hui, sont avec le présent.

Mes chers concitoyens, pardonnez-moi, permettez-moi de vous demander pourquoi je suis appelé à parler ici aujourd'hui? Qu'ai-je à voir, ou ceux que je représente, avec votre indépendance nationale? Les grands principes de liberté politique et de justice naturelle, incarnés dans cette déclaration d'indépendance, nous sont-ils étendus? Et suis-je donc appelé à apporter notre humble offrande à l'autel national, à nous confesser les bienfaits et à exprimer une profonde gratitude pour les bénédictions résultant de votre indépendance?

Souhaitez à Dieu, tant pour vous que pour nous, qu'une réponse affirmative puisse être renvoyée en toute vérité à ces questions! Mais tel n’est pas le cas. Je le dis avec un triste sentiment de la disparité entre nous. Je ne suis pas inclus dans ce glorieux anniversaire! Votre grande indépendance ne révèle que la distance incommensurable qui nous sépare. Les bénédictions dont vous vous réjouissez aujourd'hui ne sont pas communes. Le riche héritage de justice, de liberté, de prospérité et d'indépendance, légué par vos pères, est partagé par vous, pas par moi. La lumière du soleil qui vous a apporté la vie et la guérison, m'a apporté des rayures et la mort. Ce 4 juillet est le vôtre, pas le mien. Vous pouvez vous réjouir, je dois pleurer. Entraîner un homme en chaînes dans le grand temple illuminé de la liberté, et l'inviter à vous rejoindre dans de joyeux hymnes, c'était déjà des moqueries inhumaines et une ironie sacrilège. Voulez-vous, citoyens, vous moquer de moi, en me demandant de parler aujourd'hui?

Concitoyens; au-dessus de votre joie nationale et tumultueuse, j'entends le gémissement lugubre de millions! Dont les chaînes, lourdes et douloureuses hier, sont, aujourd'hui, rendues plus intolérables par les cris de jubilé qui les atteignent. ...

Mon sujet donc, concitoyens, c'est l'ESCLAVAGE AMÉRICAIN. Je vais voir, ce jour, et ses caractéristiques populaires, du point de vue de l'esclave. Debout, là, identifié à l'esclave américain, faisant miens ses torts, je n'hésite pas à déclarer, de toute mon âme, que le caractère et la conduite de cette nation ne m'ont jamais paru plus noirs qu'en ce 4 juillet! Que l'on se tourne vers les déclarations du passé ou vers les professions de foi du présent, la conduite de la nation semble également hideuse et révoltante. ... Debout avec Dieu et l'esclave écrasé et saignant en cette occasion, j'oserai, au nom de l'humanité outragée, au nom de la liberté enchaînée ... oser remettre en cause et dénoncer, avec tout l'accent que je peux commander, tout ce qui sert à perpétuer l'esclavage - le grand péché et la honte de l'Amérique!

Dans un moment comme celui-ci, il faut une ironie torride, et non un argument convaincant. Oh! Si j'avais la capacité, et pourrais-je atteindre l'oreille de la nation, je déverserais aujourd'hui un flot de feu de ridicule mordant, de reproches explosifs, de sarcasme flétri et de reproche sévère. Car ce n'est pas la lumière qui est nécessaire, mais le feu; ce n'est pas la douce averse, mais le tonnerre. Nous avons besoin de la tempête, du tourbillon et du tremblement de terre. Le sentiment de la nation doit être accéléré; la conscience de la nation doit être réveillée; la propriété de la nation doit être effrayée; l'hypocrisie de la nation doit être exposée; et ses crimes contre Dieu et l'homme doivent être proclamés et dénoncés.

Qu'est-ce, pour l'esclave américain, votre 4 juillet? Je réponds; un jour qui lui révèle, plus que tous les autres jours de l'année, l'injustice et la cruauté flagrantes ... Pour lui, votre célébration est une imposture; votre liberté vantée, une licence impie - un voile mince pour couvrir des crimes qui déshonoreraient une nation de sauvages. Il n'y a pas une nation sur terre coupable de pratiques, plus choquantes et sanglantes, que ... ces États-Unis, à cette heure même.
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Belles feuilles : Platon, Le Banquet

Message par com_71 » 30 Juil 2020, 22:18

Pour sourire un peu :
Pausanias
...Tout le monde sait bien qu'il n'y a pas d'Aphrodite sans Éros. Si donc il n'y avait qu'une seule Aphrodite, il n'y aurait qu'un seul Éros ; mais, puisqu'il y a bien deux Aphrodites, il s'ensuit nécessairement qu'il y a aussi deux Éros. Comment nier qu'il y ait deux Aphrodites ? L'une, qui est sans doute la plus ancienne et qui n'a pas de mère, c'est la fille d'Ouranos129, celle que naturellement nous appelons la « Céleste ». L'autre, la plus jeune, qui est la fille de Zeus et de Dionè, c'est celle que nous appelons la « Vulgaire ». Tout naturellement, la correction impose que l'Eros qui coopère avec l'une soit appelé le « Vulgaire » et que celui qui coopère avec l'autre soit appelé le « Céleste ». S'il faut certes faire l'éloge de toutes ces divinités, il n'en reste pas moins que l'on doit s'efforcer de déterminer quel lot est échu à chacune des deux. Il en va en effet de toute action comme je vais le dire. Prise en elle-même, une action n'est ni belle ni honteuse. Par exemple, ce que, pour l'heure, nous sommes en train de faire, boire, chanter, converser, rien de tout cela n'est en soi une action belle ; mais c'est dans la façon d'accomplir cette action que réside telle ou telle qualification. Lorsqu'elle est accomplie avec beauté et dans la rectitude, une action devient belle, et lorsque la même action est accomplie sans rectitude, elle devient honteuse. Et il en va de même à la fois pour l'amour et pour Éros ; Éros n'est pas indistinctement beau et digne d'éloge, seul l'est l'Éros qui incite à l'amour qui est beau.
Cela dit, l'Éros qui relève de l'Aphrodite vulgaire est véritablement vulgaire, en ceci qu'il opère à l'aventure ; c'est ainsi qu'aiment les gens de peu...

Éryximaque
...C'est par la médecine que je commencerai mon discours, de façon à donner à cet art la place d'honneur. En effet, la nature des corps comporte le double Éros que je viens d'évoquer. Car, dans le corps, ce qui est sain et ce qui est malade, c'est, tout le monde l'admet, quelque chose de différent et de dissemblable. Or le dissemblable recherche et aime le dissemblable. Ainsi donc, l'amour inhérent à la partie saine est différent de l'amour inhérent à la partie malade. Dès lors, de même qu'il est beau – Pausanias le disait à l'instant – d'accorder ses faveurs aux êtres humains qui le méritent, et honteux d'accorder ses faveurs aux débauchés, de même, quand il s'agit des corps eux-mêmes, favoriser ce qu'il y a de bon et de sain dans chaque corps est beau et c'est ce qu'il faut faire, et c'est cela que l'on appelle médecine, tandis que cela est honteux pour ce qui est mauvais et malsain et qu'il faut défavoriser, si l'on veut suivre les règles de l'art. Car, pour le dire en un mot, la médecine est la science des opérations de remplissage et d'évacuation du corps que provoque Éros ; et celui qui sait distinguer dans ces cas quel est le bon Éros et quel est le mauvais, celui-là est le médecin le plus accompli...
De même, dans notre art, c'est une affaire importante que de bien user des désirs relatifs à l'art culinaire, de manière à en cueillir le plaisir sans se rendre malade.
Ainsi donc en musique, en médecine et partout ailleurs, aussi bien dans les choses humaines que dans les choses divines, pour autant que cela est permis, il faut sauvegarder l'un et l'autre amour, puisqu'ils s'y trouvent tous les deux.
Étant donné que l'arrangement des saisons de l'année est aussi plein de ces deux Éros, chaque fois que les attributs dont je viens de parler – le chaud et le froid, le sec et l'humide – rencontrent dans leurs rapports mutuels l'Éros qui est bien réglé, chaque fois qu'ils s'accordent et qu'ils se mêlent de façon raisonnable, ils viennent apporter l'abondance et la santé aux hommes, aux animaux et aux plantes ; ils ne leur causent aucun dommage. Mais, chaque fois que l'Éros qui s'accompagne de démesure prévaut en ce qui concerne les saisons de l'année, il provoque de nombreuses destructions et de nombreux dommages. En effet, les épidémies se plaisent à provenir de tels phénomènes, et il en va de même pour la masse disparate des maladies qui frappent les animaux et les plantes : gelée, grêle, nielle du blé, proviennent du déséquilibre et du dérèglement qui s'installent dans les relations mutuelles qu'entretiennent de tels phénomènes qui relèvent d'Éros. Il est une science de ces phénomènes, qui s'intéresse aux mouvements des astres et des saisons de l'année ; elle a pour nom astronomie...
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Belles feuilles Trotsky, Entre Impérialisme et Révolution

Message par com_71 » 04 Août 2020, 16:38

LDT 1922 a écrit :.
Nous l’avouons humblement, nous ne reconnaissons pas la morale absolue de la prêtraille, des églises, des universités, du Vatican, de la Croix ou du Pèlerin. L’impératif catégorique de Kant, l’idée philosophique abstraite d’un Christ immatériel, dégagé de tous les attributs que lui ont conférés l’art et le mythe religieux, nous sont aussi étrangers que la morale éternelle découverte sur le Sinaï par ce parangon d’astuce et de cruauté qu’était le vieux Moïse. La morale est fonction de la société elle-même ; elle est l’expression abstraite des intérêts des classes de la société, surtout des classes dominantes. La morale officielle est la corde avec laquelle on tient en laisse les opprimés. Au cours de la lutte, la classe ouvrière élabore sa morale révolutionnaire qui débute par le renversement de Dieu et des normes absolues.

Par honnêteté, nous entendons, nous, la conformité de la parole et de l’action devant la classe ouvrière en vue du but suprême du mouvement et de la lutte : l’émancipation de l’humanité par la révolution sociale. Nous ne disons point, par exemple, qu’il ne faut pas employer la ruse, que l’on ne doit pas tromper, qu’il faut aimer ses ennemis, etc. Une morale aussi élevée n’est évidemment accessible qu’aux hommes d’État profondément croyants, tels lord Curzon, lord Northcliffe ou M. Henderson.

Nous haïssons nos ennemis ou les méprisons, selon qu’ils le méritent ; nous les battons ou les dupons, suivant les circonstances, et si même nous concluons un accord avec eux, il ne s’ensuit pas que, dans un élan d’amour magnanime, nous soyons prêts à tout leur pardonner. Mais nous estimons que l’on ne doit pas mentir à la masse et la tromper sur les buts et les méthodes de sa lutte. La révolution sociale est basée tout entière sur le développement de la conscience du prolétariat lui-même, sur sa foi dans ses propres forces et dans le parti qui le dirige. A la tête de la masse et avec la masse, notre parti a commis des fautes. Ces fautes, nous les avons reconnues ouvertement devant la masse et, avec elle, nous avons donné le coup de barre nécessaire.

Ce que les tartufes de la légalité appellent notre démagogie n’est que la vérité proclamée trop ouvertement, trop brutalement et d’une façon trop inquiétante pour eux...
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Belles feuilles Trotsky, La famille Declerc

Message par com_71 » 01 Oct 2020, 22:29

Trotsky, dans la «Kievskaya Mysl» en 1915, puis dans l'«Humanité» le 22 janvier 1922 a écrit :
La famille Declerc
novembre 1915


Jules Declerc est à la guerre depuis novembre dernier ; il a quarante cinq ans, et dans le civil il était contrôleur de tramway. S'il avait été simple soldat, il serait resté avec sa classe quelque part, à l'arrière, à un poste d'auxiliaire. Mais pour le malheur de sa femme et pour le sien propre, il est sergent et il a été envoyé sur le front. Aujourd'hui ses galons lui coûtent cher, dit sa femme. Les premières semaines, il les a passées presque tout le temps au milieu des combats ; ensuite il a été dans les tranchées, et dans ces derniers mois sous Toul.

Madame Declerc est une belle femme, avec un frais visage au fin profil et des cheveux gris. Elle attend son mari en permission de quatre jours ; elle l'attend silencieusement, opiniâtrement . Sa voisine, Madame Richard, porteuse de pain, attendait aussi le sien, mais Richard a été tué par un boulet perdu, loin derrière la ligne de feu, à la veille de son départ pour la maison.

Au troisième mois de la guerre, ses petites économies commençait à s'épuiser, Madame Declerc se mit à travailler comme femme de ménage, et son propre ménage à elle passa du coup au second plan. Les enfants vont à l'école et y reçoivent un repas. Pendant les trois dernières semaines, le fils aîné Marcel, douze ans, visage pâle, coiffé d'un vieux béret, demande chaque jour à sa mère en revenant de l'école : «Et papa, est-il arrivé ?» et s'entend répondre une fois de plus que non ..., mais, pour sûr, bientôt, d'un jour à l'autre.

Madame Declerc a reçu de Paris une lettre de sa sœur aînée qui lui annonce la mort de son fils. Il avait vingt ans, il s'était marié en avril, il était parti à la guerre an août. «Ah ! quel bon garçon c'était. Il ne ressemblait à aucun autre...» dit Madame Declerc en pleurant à chaudes larmes... «Ma sœur est souvent malade et l'enfant est resté un certain temps chez nous ; nous l'aimions comme un fils». Il avait été blessé par une balle de schrapnell, légèrement sans doute, à la tête, un de ses amis l'avait porté au poste de secours. A ce moment même, éclata un obus qui blessa l'ami et tua le blessé. «On ne peut pas l'oublier, monsieur, il ne ressemblait à personne...»

Le lendemain du jour où arriva la nouvelle de la mort de Richard, Madame Declerc fut en retard d'un quart d'heure au travail et, en s'excusant expliqua à sa patronne : «C'est que, Madame, nous n'avons pas dormi pendant cette nuit.» «Nous» c'étaient les autres, celles qui étaient veuves et celles qui vivaient dans la crainte perpétuelle du veuvage. Elles se rassemblaient par groupes chez chaque nouvelle veuve ou auprès de chaque mère privée de son enfant pour passer la nuit avec elle, se souvenir et pleurer la plupart en deuil, avec de petits portraits du mari ou du fils, en broche sur la poitrine. Elles se repaissaient ensemble de leur malheur, de sa fatalité, de son universalité, et le matin suivant elles retournaient au travail.

C'est dans cette atmosphère d'angoisse, de nuits blanches et de labeur que Madame Declerc attend silencieusement, opiniâtrement son mari. «Non, non, dit-elle, aux instants de désespoir, aucun homme ne reviendra de la guerre, aucun.»

A la fin d'octobre, le pâle Marcel, dans son long pardessus qui sera encore bon l'année prochaine, revient à cinq heures du soir de l'école, par la grande rue, quand tout à coup, le petit marchand de légumes lui jette : «Cours ton père est revenu.»

Les mots lui sonnent aux oreilles et il court, repoussant de ses jambes maigres les pans interminables de son manteau. «Marcel, ton père est arrivé» lui crie Madame Richard en traversant la rue. Marcel, tout pâle, fait rapidement un signe de tête et, la main tachée d'encre, appuyé sur sa poitrine, il continue à courir. Le fruitier, l'homme le plus gros de Sèvres, est sur le pas de sa porte (son poids l'a sauvé du service militaire), il voit courir Marcel et lui crie d'un ton encourageant : «dépêche-toi, ton père t'attend». Marcel veut courir encore plus vite, mais impossible : son cœur bat, ses oreilles sonnent et ses jambes ne veulent plus bouger. Il pleure doucement, serre ses doigts tachés d'encre sur sa poitrine et chuchote : «Me voilà, papa, me voilà, cher, cher papa, me voilà.. ;» Il pleure et il rassemble ses dernières forces pour monter en courant la côte.

Le sergent Declerc est en effet arrivé, enfin, en permission de quatre jours. Comme les autres, on l'a envoyé pendant cent heures dans la vie de famille, dans la vie pacifique, à condition de revenir au jour fixé. En pleine nuit, les permissionnaires de toutes armes sont montés dans un train sombre, sans lumière, à quelques kilomètres de la ligne de feu ; éreintés, ils se sont assis ou couchés sur les banquettes ou par terre et peu après ils se sont endormis à la cadence mesurés des wagons. Ensuite ils se sont groupés dans les gares régulatrices en petites sociétés de «pays». Le lien du front est rompu pour le moment, celui du pays est rétabli ; on cause patois. Plus ils s'éloignent du front, plus le calme les assourdit. Declerc, avec le groupe le plus nombreux, descend à Paris.

Au moment de son arrivée, la femme était au travail, Marcel à l'école et seulement les deux petits, sous la surveillance de la sœur aînée, étaient à la maison. Le sergent embrassa les enfants, jeta un coup d'œil autour de lui et ressentit en lui-même certaine joie inquiète mélangée d'étonnement. Madame Declerc revint chez elle, ne sachant rien, fatiguée de croire et d'espérer, et cinq minutes après la joyeuse rencontre, une angoisse lancinante s'était emparée d'elle ; dans quatre jours, il faudra qu'il regagne le front.

Le sergent est très calme, ne se plaint de rien et sa femme s'étonne et s'effraie. Elle a l'impression de ne pas trouver le chemin de son cœur et le caractère éphémère de l'entrevue lui en devient plus douloureux ; on se croirait au carrefour de deux vies divergentes. Il est très économe Declerc, et non seulement il n'a pas une seule fois demandé d'argent, mais encore il a économisé sur sa solde de sergent ; il apporte à la maison une petite somme avec des cadeaux pour les enfants.

Tranquillement, comme assourdi encore par le calme qui l'entoure, il raconte les tranchées allemandes, qui étaient si près qu'on pouvait converser, le soir d'une ligne à l'autre presque sans élever la voix. Mais c'était défendu... On ne voit pas la fin de la guerre, c'est à dire qu'on ne voit dans les événements aucun indice de cette fin.

D'une voix rabaissée et lointaine — sa femme ne lui connaissait pas encore une voix pareille — le sergent raconte les grenades à main et les mines ; les gaz asphyxiants et les liquides enflammés, les fils barbelés... et Madame Declerc l'écoute les yeux fixes, croyant à peine avoir devant elle son vieux Jules, qu'il ait pu vivre et agir ainsi ; de temps en temps, elle le prend par la manche en disant :
«Non, je ne te verrai plus jamais, tu ne reviendras plus me voir.» Le sergent ne confirme ni n'infirme ; il lisse doucement ses cheveux tôt blanchis et regarde de côté.

Une fois dans l'obscurité, Marcel entendit une conversation de ce genre ; il grimpa sur les genoux du père, comme un pauvre petit chien faible, prit dans ses deux mains une des grosses mains et se mit à embrasser cette chère et rude main, avec une indéfinissable expression de désespoir muet que quelque chose de chaud mouilla les doigts du sergent.

Le lendemain de son arrivée, le sergent, bien lavé et rasé de frais, rendit visite à ses parents et amis. Les femmes l'assiègent de questions troublantes sur la guerre et sur la fin, le regardant comme s'il pouvait donner tout de suite une réponse décisive. Chaque fois, Declerc se troublait, se rappelant les instructions du capitaine au moment du départ en «perm» : Ne rien dire, et il répondait de façon évasive : «Nous espérons», en évitant le coup d'œil de ses interlocuteurs. Les femmes hochaient la tête et se taisaient.

Les quatre jours passèrent vite. Les voici déjà assis dans le wagon côte à côte, le sergent Declerc et sa femme. Elle l'accompagne jusqu'à Paris, lui tient le bras et le fixe dans les yeux. Une tendresse aiguë anime son regard et ses doigts. Lui est renfermé, comme distrait. Il lui répond brièvement, d'un ton presque indifférent et regarde surtout par la fenêtre. Parfois seulement, quand leurs regards se croisent, un sourire reconnaissant glisse sur son visage et disparaît. Il ne veut pas céder à l'émotion ; par la pensée, il est déjà là-bas.

A Paris, il faut aller à la gare du Nord. C'est là qu'on timbre le titre de permission, et voilà de nouveau Declerc embrigadé, détail infime, dans la grande machine de guerre : Sèvres, la femme et Marcel sont couverts pour lui d'un rideau de fumée. D'un air distrait il dit adieu à sa femme sous les yeux des autres permissionnaires et assis avec eux dans son compartiment le voilà définitivement replongé corps et âme dans l'atmosphère de la zone des armées.

Madame Declerc a remis dans l'armoire sa robe des dimanches, sa bague et sa chaîne qu'elle avait mises pour son mari, et elle recommence à monter les cent-quarante marches du coteau pour aller au travail ? Et déjà quelques jours plus tard, avec crainte et espérance, elle guettait des yeux le facteur. Les sombres nouvelles se succèdent. L'épicier de la riche boutique du coin est mort, son commis est blessé, le frère cadet du patron du magasin de jouets a eu la jambe enlevée. De plus en plus souvent les femmes en deuil se rassemblent la nuit, et elles en comptent déjà soixante-dix qui ne reviendront plus à Sèvres.

Marcel porte soigneusement le nouveau béret qu'on lui a fait avec l'ancien képi du sergent. Après le départ de son père ses paupières sont longtemps restées rouges, les taches sombres qu'il a sous les yeux sont plus profondes que jamais.

Sèvres, novembre 1915
L. TROTSKY.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Belles feuilles, Trotsky, Lettre à Jules Guesde

Message par com_71 » 02 Oct 2020, 13:26

Jaurès est mort tribun pacifiste. L'autre grand du socialisme français d'avant la 1ère guerre mondiale, Jules Guesde, était en 1916 ministre d'État dans un gouvernement qui menait une guerre sanglante. Trotsky lui adresse une lettre ouverte le 11 octobre :

Lettre à Jules Guesde
11 Octobre 1916

A Monsieur le Ministre Jules Guesde, Ministre d'État.

Monsieur le Ministre,

Avant de quitter le sol français, assisté du commissaire de police, personnifiant les libertés à la garde desquelles vous veillez au sein du Ministère national, je crois de mon devoir de vous exprimer quelques pensées qui ne vous serviront probablement à rien à vous, mais pourront du moins servir contre vous.

En m'expulsant de France, votre collègue M. Malvy n'a pas eu le courage de me dire les motifs de cette mesure. De même, un autre de vos collègues, le Ministre de la Guerre, n'a pas trouvé bon d'indiquer les causes de l'interdiction du journal russe Notre Parole, dont j'étais un des rédacteurs et qui, pendant deux ans, a supporté toutes les tortures de la censure, fonctionnant sous le couvert de ce même Ministre de la Guerre.

Cependant, je ne vous dissimulerai pas que les motifs de mon expulsion n'ont pour moi rien de mystérieux : il s'agit de mesures répressives envers un socialiste internationaliste, un de ceux qui ne veulent pas assumer le rôle d'avocat ou d'esclave volontaire de la guerre impérialiste.

Mais les motifs de la mesure qui me frappe ne m'ont pas été donnés, à moi, l'intéressé ; ils ont, par contre, été exposés par M. Briand aux députés et journalistes.

A Marseille, un groupe de soldats russes mutinés, tuèrent en août leur colonel. La perquisition aurait révélé que quelques-uns de ces soldats possédaient des numéros de Notre Parole.

Telle est du moins la version de M. Briand dans sa conversation avec le député Longuet et le président de la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre, M. Leygues, qui la transmit aux journalistes de la presse bourgeoise russe.

Certes, M. Briand n'a pas osé affirmer que Notre Parole, soumise à sa propre censure, fut la cause immédiate du meurtre de l'officier. Sa pensée peut être exprimée ainsi : Vu la présence en France de soldats russes, il est nécessaire de balayer le sol de la République de Notre Parole et de ses rédacteurs, car un journal socialiste qui ne sème point d'illusion ni de mensonge pourrait, selon la parole inoubliable de M. Renaudel - donner le " cafard " aux soldats russes et les pousser dans la voie dangereuse de la réflexion.

Cependant, malheureusement pour M. Briand, son explication repose sur un scandaleux anachronisme. Gustave Hervé, alors encore membre de la Commission administrative permanente de votre parti, écrivait l'année passée que si Malvy jetait hors de France les réfugiés russes, coupables d'internationalisme révolutionnaire, lui, Hervé, garantissait que l'opinion publique de ses concierges accepterait cette mesure sans aucune objection. Evidemment, on ne peut pas douter que l'inspiration de cette prophétie ne fût puisée par Hervé dans un des cabinets du Ministère. A la fin de juillet, le même Hervé chuchotait officieusement que je serais expulsé de France.

Vers la même époque - c'est-à-dire toujours antérieurement au meurtre du colonel à Marseille - le professeur Durkheim, président de la commission nommée par le gouvernement pour s'occuper des réfugiés russes, informait le représentant de ces derniers de la prochaine interdiction de Notre Parole et de l'expulsion des rédacteurs de ce journal (voir Notre Parole du 30 juillet 1916).

Ainsi tout fut préparé d'avance, même l'opinion publique des concierges de M. Hervé. On n'attendait plus qu'un prétexte pour frapper le coup décisif. Ce prétexte fut trouvé : les malheureux soldats russes, au moment opportun - dans l'intérêt de quelqu'un - tuèrent leur colonel.

Cette opportunité providentielle donne lieu à une supposition qui, je crains, pourra froisser votre pudeur ministérielle encore fraîche. Les journalistes russes qui se sont occupés particulièrement de l'incident de Marseille ont établi que dans cette affaire, comme presque toujours dans des cas semblables, un rôle actif a été joué par un agent provocateur. Il est facile de comprendre quel était son but, ou plutôt le but, poursuivi par les canailles bien rétribuées qui le dirigeaient. Un excès quelconque de la part des soldats leur était nécessaire, d'abord pour justifier ce régime de knout, quelque peu choquant pour les autorités françaises, ensuite pour créer un prétexte à des mesures contre les réfugiés russes qui profitent de l'hospitalité française pour démoraliser, pendant la guerre, les soldats russes.

On peut facilement admettre que les initiateurs de ce projet ne croyaient ni ne voulaient mener l'affaire aussi loin. Ils avaient probablement espéré atteindre des résultats plus amples avec des sacrifices moindres. Mais dans ces sortes d'entreprises, il entre toujours un élément de risque professionnel. Cependant, cette fois, les victimes furent non le provocateur lui-même, mais le colonel Krausé et ses meurtriers. Même les journalistes patriotes russes, hostiles à Notre Parole, ont émis la supposition que les exemplaires de notre journal ont pu être donnés aux soldats au moment voulu par ce même agent provocateur.

Essayez, Monsieur le Ministre, de faire, par l'intermédiaire de M. Malvy, une enquête dans ce sens ! Vous n'en espérez aucun résultat ? Moi non plus. Car, disons-le franchement, les agents provocateurs sont pour le moins aussi précieux à la prétendue "défense nationale" que les ministres socialistes. Et vous, Jules Guesde, après que vous avez pris la responsabilité de la politique extérieure de la Troisième République, de l'Alliance franco-russe avec ses conséquences, des prétentions morales du tsarisme, de tous les buts et méthodes de cette guerre, vous n'avez plus qu'à accepter, avec les détachements symboliques de soldats russes, les hauts faits nullement symboliques de S.M. le Tsar.

Au début de la guerre, lorsque les promesses généreuses étaient distribuées à pleines mains, votre plus proche compagnon, Sembat, avait fait entrevoir aux journalistes russes l'influence la plus bienfaisante des démocraties alliées sur le régime intérieur de la Russie. C'était d'ailleurs l'argument suprême par lequel les socialistes gouvernementaux de France et de Belgique essayaient, avec persévérance mais sans succès, de réconcilier les révolutionnaires russes avec le Tsar.

Vingt-six mois d'une collaboration militaire constante, de la communion des généralissimes, des diplomates, des parlementaires, des visites de Viviani et de Thomas à Tsarskoe-Selo, en un mot vingt-six mois d' "influence" ininterrompue des démocraties occidentales sur le tsarisme, ont fortifié dans notre pays la réaction la plus arrogante, adoucie seulement par le chaos administratif, et ont en même temps extrêmement rapproché le régime intérieur de l'Angleterre et de la France de celui de la Russie. Les promesses généreuses de M. Sembat valent, comme on le voit, moins cher que son charbon. Le sort malheureux du droit d'asile n'apparaît ainsi que comme un symptôme éclatant de la domination soldatesque et policière aussi bien en deçà qu'au-delà de la Manche.

Le pendeur de Dublin, Lloyd George, impérialiste acharné, aux manières de clergyman ivre, et M. Aristide Briand, dont je vous laisse, Jules Guesde, le soin de chercher la caractéristique dans vos articles d'antan - ces deux figures expriment le mieux l'esprit de la guerre actuelle, son droit, sa morale avec ses appétits aussi bien de classe que personnels. Et quel digne partenaire pour MM. Lloyd George et Briand que M. Sturmer, cet Allemand vrai Russe, qui a fait sa carrière en s'accrochant aux soutanes des métropolites et aux jupes des bigotes de la cour. Quel trio incomparable ! Décidément l'histoire ne pouvait pas trouver pour Guesde-ministre de meilleurs collègues et chefs.

Est-il possible pour un socialiste honnête de ne pas lutter contre vous ! Vous avez transformé le parti socialiste en un chœur docile accompagnant les coryphées du brigandage capitaliste, à l'époque où la société bourgeoise - dont vous, Jules Guesde, vous étiez un ennemi mortel - a dévoilé jusqu'au fond sa véritable nature. Des événements, préparés par toute une période de pillage mondial, dont nous avons maintes fois prédit les conséquences, de tout le sang versé, de toutes les souffrances, de tous les malheurs, de tous les crimes, de toute la rapacité et la félonie des gouvernants, vous, Jules Guesde, vous ne tirez pour le prolétariat français que ce seul et unique enseignement : à savoir que Guillaume II et François Joseph sont deux criminels qui, contrairement à Nicolas II et à M. Poincaré, ne respectent pas les règles du droit international !

Toute une nouvelle génération de la jeunesse ouvrière française, de nouveaux millions de travailleurs éveillés moralement pour la première fois par les foudres de la guerre, n'apprennent que ce que veut bien leur en dire le livre jaune de MM. Delcassé, Poincaré, Briand. Devant ce nouvel Evangile des peuples, vous, vieux chef du prolétariat, vous êtes tombé à genoux et vous avez renié tout ce que vous avez appris et enseigné à l'école de la lutte de classes.

Le socialisme français, avec son passé inépuisable, sa magnifique phalange de penseurs, de lutteurs et de martyrs, trouve enfin - quelle chute et quelle honte ! - un Renaudel pour traduire au jour le jour, à l'époque la plus tragique de l'histoire, les hautes pensées du livre jaune en une langue de la presse de même couleur.

Le socialisme de Babeuf, de Saint-Simon, de Fourier, de Blanqui, de la Commune, de Jaurès et de Jules Guesde - oui, de Jules Guesde aussi ! - trouva enfin son Albert Thomas, pour délibérer avec Romanoff sur les plus sûrs moyens de s'emparer de Constantinople ; son Marcel Sembat pour promener son je m'en fichisme de dilettante au-dessus des cadavres et des ruines de la civilisation française ; et son Jules Guesde pour suivre, lui aussi, le char du triomphateur Briand.

Et vous avez cru, vous avez espéré que le prolétariat français qui, dans cette guerre sans idée et sans issue, est saigné à blanc par le crime des classes dirigeantes, supportera silencieusement jusqu'au bout ce pacte honteux passé entre le socialisme officiel et ses pires ennemis. Vous vous êtes trompé. Une opposition surgit. En dépit de l'état de siège et des fureurs du nationalisme qui, sous des formes diverses : royaliste, radical ou socialiste, conserve sa substance capitaliste toujours la même, l'opposition révolutionnaire avance pas à pas et gagne chaque jour du terrain.

"Notre Parole", journal que vous avez étranglé, vivait et respirait dans l'atmosphère du socialisme français qui se réveillait. Arraché du sol russe par la volonté de la contre-révolution, triomphante grâce au concours de la Bourse française - que vous, Jules Guesde, servez actuellement - le groupe de "Notre Parole" était heureux de refléter, même aussi incomplètement que nous le permettait votre censure, la voix de la section française de la nouvelle Internationale, surgissant au milieu des horreurs de la guerre fratricide.

En notre qualité d'"étrangers indésirables" qui avons lié notre destin à celui de l'opposition française, nous sommes fiers d'avoir essuyé les premiers coups du Gouvernement français, de votre gouvernement, Jules Guesde.

Avec l'opposition française, avec Monatte, Merrheim, Saumoneau, Rosmer, Bourderon, Loriot, Guilbeaux et tant d'autres, nous avons partagé l'honneur d'être accusés de germanophilie. L'hebdomadaire de votre ami Plekhanov, votre copartageant dans votre gloire aussi bien que dans votre chute, qui paraît à Paris, nous dénonçait chaque semaine à la police de M. Malvy comme agents de l'Etat-major allemand. Autrefois vous avez connu le prix de pareilles accusations, car vous avez eu vous-même le grand honneur de leur servir de cible. Maintenant, vous accordez votre approbation à M. Malvy, résumant pour les gouvernements de la défense nationale les rapports de ses mouchards. Or, mon casier politique contient une condamnation à l'emprisonnement toute récente, prononcée contre moi par contumace, pendant la guerre, par un tribunal allemand pour une brochure sur "La guerre et l'internationalisme".

Mais même au dehors de ce fait brutal, de nature à s'imposer au cerveau policier de M. Malvy, je crois avoir le droit d'affirmer que nous autres, internationalistes révolutionnaires, sommes des ennemis beaucoup plus dangereux pour la réaction allemande que tous les gouvernements de l'Entente.

En effet, leur hostilité contre l'Allemagne n'est qu'une simple rivalité de concurrents tandis que notre haine révolutionnaire contre sa classe dirigeante est irréductible.

La concurrence impérialiste peut aussi rapprocher les frères ennemis ; si les projets d'écrasement complet de l'Allemagne se réalisaient, l'Angleterre et la France chercheraient dans une dizaine d'années à se rapprocher de l'empire des Hohenzollern pour se défendre contre la puissance excessive de la Russie. Un futur Poincaré échangerait des télégrammes de félicitations avec Guillaume ou son héritier : Lloyd George maudirait, en son langage de clergyman et de boxeur, la Russie, ce rempart de barbarie et de militarisme ; Albert Thomas, en sa qualité d'ambassadeur de la France près du Kaiser, recevrait du muguet de la main des dames de la cour de Potsdam, comme cela lui est arrivé il y a quelque temps avec de grandes duchesses à Tsarskoe Selo. On sortirait de nouveau les banalités de tous les discours et de tous les articles d'aujourd'hui et M. Renaudel n'aurait qu'à changer, dans ses articles, les noms propres, ce qui est tout à fait à sa portée.

Quant à nous, nous resterions les mêmes ennemis jurés de l'Allemagne dirigeante que nous sommes maintenant, car nous haïssons la réaction allemande de la même haine révolutionnaire que nous avons vouée au tsarisme ou à la ploutocratie française et si vous osez, vous et vos commis aux journaux, applaudir Liebknecht, Luxembourg, Mehring, Zetkin, comme ennemis intrépides des Hohenzollern, vous ne pouvez pas ignorer qu'ils sont nos coreligionnaires, nos frères d'armes ; nous sommes alliés à eux contre vous et vos maîtres par l'unité indissoluble de la lutte révolutionnaire.

Vous vous consolez peut-être en pensant que nous sommes peu nombreux ? Cependant, nous sommes bien plus nombreux que ne le croient les policiers de tous rangs. Ils ne s'aperçoivent pas, dans leur myopie professionnelle, de cet esprit de révolte qui se lève de tous les foyers de souffrance, se répand à travers la France et toute l'Europe, dans les faubourgs ouvriers et les campagnes, les ateliers et les tranchées.

Vous avez enfermé Louise Saumoneau dans une de vos prisons, mais avez-vous diminué pour cela le désespoir des femmes de ce pays ? Vous pouvez arrêter des centaines de Zimmerwaldiens après avoir chargé votre presse de les couvrir une fois de plus de calomnies policières, mais pouvez-vous rendre aux femmes leurs maris, aux mères leurs fils, aux enfants leurs pères, aux infirmes leur force et leur santé, au peuple trompé et saigné à blanc la confiance en ceux qui l'ont trompé ?

Descendez, Jules Guesde, de votre automobile militaire, sortez de la cage où l'État capitaliste vous a enfermé, et regardez un peu autour de vous. Peut-être le destin aura une dernière fois pitié de votre triste vieillesse et pourrez-vous percevoir le bruit sourd des événements qui s'approchent. Nous les attendons, nous les appelons, nous les préparons. Le sort de la France serait trop affreux si le calvaire de ses masses ouvrières ne conduisait pas à une grande revanche, notre revanche, où il n'y aura pas place pour vous, Jules Guesde, ni pour les vôtres.

Expulsé par vous, je quitte la France avec une foi profonde dans notre triomphe. Par-dessus votre tête, j'envoie un salut fraternel au prolétariat français qui s'éveille aux grandes destinées. Sans vous et contre vous, vive la France socialiste !

11 octobre 1916.
Léon TROTSKY


https://www.marxists.org/francais/trots ... 161011.htm
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Belles feuilles, Béranger, le Chant du Cosaque

Message par com_71 » 25 Déc 2020, 19:55

Texte cité par Lénine dans une interview au New York Herald Tribune No. 197 le 15 mars 1921.

New York Herald Tribune a écrit :...Discutant de la littérature française, il répéta une ballade du poète français Béranger, «Le Chant du Cosaque», dans laquelle l'auteur, bien qu'écrivant à l'époque où le cosaque était le plus fort soutien de la réaction, prophétisait que le moment viendrait où le cosaque briserait les trônes des rois et les autels des prêtres. « Ce temps, dit Lénine, est venu ».


Pierre-Jean de Béranger a écrit :Le Chant du Cosaque

Viens, mon coursier, noble ami du Cosaque,
Vole au signal des trompettes du Nord.
Prompt au pillage, intrépide à l’attaque,
Prête sous moi des ailes à la Mort.
L’or n’enrichit ni ton frein ni ta selle ;
Mais attends tout du prix de mes exploits.

Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle,
Et foule aux pieds les peuples et les rois.

La Paix, qui fuit, m’abandonne tes guides ;
La vieille Europe a perdu ses remparts.
Viens de trésors combler mes mains avides ;
Viens reposer dans l’asile des arts.
Retourne boire à la Seine rebelle,
Où, tout sanglant, tu t’es lavé deux fois.
Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle !
Et foule aux pieds les peuples et les rois.

Comme en un fort, princes, nobles et prêtres,
Tous assiégés par des sujets souffrants,
Nous ont crié : Venez ! soyez nos maîtres ;
Nous serons serfs pour demeurer tyrans.

J’ai pris ma lance, et tous vont devant elle
Humilier et le sceptre et la croix.
Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle !
Et foule aux pieds les peuples et les rois.

J’ai d’un géant vu le fantôme immense
Sur nos bivouacs fixer un œil ardent.
Il s’écriait : Mon règne recommence !
Et de sa hache il montrait l’Occident.
Du roi des Huns c’était l’ombre immortelle :
Fils d’Attila, j’obéis à sa voix.
Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle !
Et foule aux pieds les peuples et les rois.

Tout cet éclat dont l’Europe est si fière,
Tout ce savoir qui ne la défend pas,
S’engloutira dans les flots de poussière
Qu’autour de moi vont soulever tes pas.
Efface, efface, en ta course nouvelle,
Temples, palais, mœurs, souvenirs et lois.
Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle !
Et foule aux pieds les peuples et les rois.


https://www.hs-augsburg.de/~harsch/gall ... _ch18.html
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