Belles feuilles, Leo Frankel sur le 1er Mai
Publié : 23 Oct 2021, 07:05
ARTICLE PARU DANS LA PETITE RÉPUBLIQUE LE 1er MAI 1895
LA LUTTE DU PROLÉTARIAT ET LE 1er MAI
Dans tous les pays civilisés on aperçoit, à l’heure qu’il est, une lutte formidable, gigantesque qui relève le cœur des uns et fait frémir les autres, mais qui empoigne tout le monde et force les plus indifférents à s’en mêler : la lutte pour l’émancipation du prolétariat.
Qu’on jette ses regards sur l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, ou de l’autre côté de l’Atlantique, on voit partout des signes démonstratifs de cette lutte. Elle n’est comparable qu’à la lutte du dernier siècle, à celle qui, grâce à l’imbécilité et à la dureté des dirigeants d’alors qui s’opposèrent aux réformes nécessaires, finit par soulever la France, ébranla toute l’Europe et fit crouler le vieux monde féodal.
La différence n’est que dans l’objet. Alors il s’agissait de l’émancipation du tiers État ; aujourd’hui, il s’agit de celle du quatrième État, du salarié intellectuel et manuel.
Et comme on vit alors les Voltaire, les Holbach, les Condorcet et tant d’autres encyclopédistes sortis de la noblesse, porter, de concert avec les Rousseau, les Diderot, les d’Alembert, etc., les coups les plus mortels aux privilèges de leur classe, on voit aujourd’hui des hommes de haute valeur, sortis de la bourgeoisie, faire cause commune avec les travailleurs dans leur lutte pour l’affranchissement du joug capitaliste.
Que les privilégiés d’aujourd’hui, les détenteurs de tous les moyens de production et de circulation soient satisfaits de l’ordre régnant, de l’ordre capitaliste, cela se comprend. Étant les maîtres de tout, ils ne conçoivent pas qu’on soit mécontent, et dénoncent tout ce qui tend à amoindrir leurs privilèges comme un crime contre l’ordre naturel des choses. C’est qu’ils ont tout intérêt à ne pas mieux raisonner et à agir de même. Au fond, ils pensent comme les privilégiés de l’ancien ordre, de l’ordre féodal : « Pourquoi changer ? Ne sommes-nous pas bien ? »
Mais ils ne pourront jamais faire croire que la nature ait constitué, d’un côté, une minorité possédant toutes les richesses créées par le travail, et de l’autre côté, la masse des créateurs de ces richesses ne possédant que sa force de travail. Ce n’est pas la nature qui fait que ceux qui labourent la terre n’ont pas toujours même assez de pain pour se nourrir, que ceux qui filent et tissent ne portent souvent que des haillons et que ceux qui bâtissent des palais n’ont pas toujours un gîte. Mais est-ce que ce que les hommes ont fait, d’autres ne peuvent pas le changer ? Que la classe ouvrière, que tous ceux qui souffrent de l’ordre capitaliste soient décidés à le changer, la manifestation internationale du 1er Mai nous l’indique assez clairement. Aussi, tous ceux qui veulent l’humanité libre saluent en elle l’avant-coureur d’un nouvel ordre où il n’y aura ni maîtres ni esclaves, ni exploiteurs ni exploités, mais des hommes libres vivant entre hommes égaux.
Vive donc le 1er Mai !
Léo Frankel. »