Rosa Luxembourg a écrit :Carte postale
Wroncke, le 24 août 1916
Chère Sonitschka, qu’il m’est pénible de ne pas être auprès de vous en ce moment. Mais je vous en prie, gardez la tête haute. Il y a bien des choses qui vont évoluer. Maintenant il vous faut partir, n’importe où, à la campagne, au milieu de la nature, de la beauté, il vous faut trouver un endroit où vous soigner. Cela n’a pas de sens de rester où vous êtes et de continuer à vous déprimer. Il peut se passer encore des semaines avant la dernière instance. Je vous en prie, partez dès que possible… Karl, lui aussi, sera certainement soulagé de savoir que vous prenez du repos. Merci mille fois pour votre chère lettre du 10 et pour les toutes les bonnes choses. Vous verrez, le printemps prochain, nous irons nous promener ensemble, à la campagne et au Jardin botanique ; je m’en réjouis déjà. Mais partez tout de suite, Sonitschka ! Ne pourriez-vous allez sur les bords du lac de Constance, pour vous imprégner un peu de l’atmosphère du Midi ? Avant que vous ne partiez, je voudrais tant vous voir. Adressez une requête à la Kommandantur. Ne tardez pas à m’écrire un petit mot. Gardez courage, malgré tout. Je vous embrasse.
Votre Rosa
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Wroncke, le 21 novembre 1916
Ma chère petite Sonitschka, j’ai appris par Mathilde que votre frère est mort à la guerre, et cette nouvelle épreuve qui vous est infligée me bouleverse. Rien ne vous aura été épargné depuis quelque temps. Et dire que je ne puis même pas être auprès de vous pour vous réconforter un peu et vous redonner du courage !… Je suis aussi très inquiète pour votre mère. Comment supportera-t-elle ce nouveau choc ? Nous vivons une bien triste époque, et nous devons sans cesse ajouter un nom à la longue liste des morts. A vrai dire, chaque mois peut, comme à Sébastopol, compter pour une année. J’espère vous voir très bientôt et je vous attends avec impatience. Comment avez-vous appris la mort de votre frère, par votre mère ou directement ? Avez-vous des nouvelles de votre autre frère ? Je voulais tant vous envoyer quelque chose par l’intermédiaire de Mathilde, mais je n’ai rien d’autre ici que ce petit fichu bariolé ; il vous fera peut-être sourire, mais il vous dira simplement que je vous aime beaucoup. Ne tardez pas à m’envoyer un petit mot pour que je sache qu’el est votre état d’esprit. Toutes mes amitiés à Karl. Je vous embrasse.
Votre Rosa
Mon souvenir affectueux aux enfants
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Wroncke, le 15 janvier 1917
Ah ! J’ai passé aujourd’hui un moment très pénible. A 3h19, le sifflet de la locomotive m’avertit du départ de Mathilde, et j’ai couru comme une bête en cage tout le long du mur, faisant et refaisant la « promenade » habituelle. J’avais le cœur crispé à l’idée que je ne pouvais partir moi aussi. Oh ! Partir ! Mais cela ne fait rien. Mon cœur a reçu une tape, ensuite il s’est tenu tranquille ; il est habitué à obéir comme un chien bien dressé. Ne parlons plus de moi.
Sonitschka, vous rappelez-vous ce que nous avons projeté de faire quand la guerre sera finie ? Aller ensemble dans le Midi. Et nous irons ! Je sais que vous rêvez d’aller avec moi en Italie, que c’est votre rêve le plus cher. Mais moi, j’ai l’intention de vous entraîner jusqu’en Corse. C’est encore mieux que l’Italie. Là-bas, on oublie l’Europe, du moins l’Europe moderne. Imaginez un vaste et grandiose paysage où le contour des montages et des vallées se découpe avec une extrême précision. En haut, rien que des blocs de rochers dénudés, d’un gris plein de noblesse ; en bas, des oliviers, des lauriers-cerises luxuriants et des châtaigniers centenaires. Et partout le silence qui régnait avant la création du monde, pas de voix humaine, pas de cri d’oiseau, rien qu’un ruisseau qui se glisse, quelque part, entre les pierres, ou le vent qui chuchote, tout là-haut, dans les failles des rochers, le vent qui gonflait la voile d’Ulysse. Et quand vous rencontrez des êtres humains, ils sont en accord avec le paysage. Au détour du sentier surgit une caravane. Les Corses vont toujours l’un derrière l’autre, en caravane, et non pays en groupe comme nos paysans. D’ordinaire, on voit tout d’abord un chien qui gambade, puis vient à pas lents une chèvre ou un petit âne qui porte des sacs pleins de châtaignes, suit un grand mulet sur lequel une femme est assise de côté, la femme laisse pendre les jambes toutes droites et porte un enfant dans les bras. Elle se tient toute raide, svelte comme un cyprès immobile. A côté d’elle, un homme barbu marche d’un pas tranquille et ferme. Tous deux gardent le silence. On croirait voir la Sainte Famille. A chaque pas, vous découvrez des scènes semblables. J’éprouvais chaque fois une émotion telle que j’étais sur le point de m’agenouiller malgré moi. C’est l’impression que je ressens toujours devant un spectacle d’une beauté parfaite. Là-bas, la Bible et l’Antiquité restent vivantes. Il faut que nous y allions, et nous ferons comme j’ai déjà fait : nous traverserons toute l’île à pied, nous dormirons chaque nuit dans un lieu différent, nous partirons assez tôt chaque matin pour être sur la route au lever du soleil. Ce projet ne vous déduit-il pas ? Je serais heureuse de vous servir de guide…
Lisez beaucoup. Il faut aussi aller de l’avant par l’esprit. Vous le pouvez, car vous êtes encore jeune et malléable. Maintenant, il faut que je termine. Passez une journée tranquille et gardez confiance.
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Wroncke, le 18 février 1917
Depuis longtemps rie ne m’avait bouleversée comme le bref compte rendu que m’a fait Martha de votre visite à Karl et de l’impression que vous avez ressentie quand vous l’avez retrouvé derrière un grillage. Pourquoi ne m’en avez-vous rien dit ? J’ai le droit de partager toutes vos souffrance, et c’est un droit auquel je ne renoncerai pas. Du reste, cela m’a tout à fait rappelé le jour où j’ai revu mes frères et sœurs à la citadelle de Varsovie, il y a dix ans. Là-bas, on vous conduit dans une sorte de double cage en treillis de fil de fer, c’est-à-dire dans une petite cage placée à l’intérieur d’une plus grande, et on doit parler à travers les deux treillis qui scintillent. En outre, comme cela se passait aussitôt après une grève de la faim de six jours, j’étais si affaiblie que le capitaine (qui commandait la forteresse) a pratiquement été obligé de me porter jusqu’au parloir. Je me soutenais des deux mains au grillage, ce qui donnait encore plus l’impression d’un fauve au zoo. La cage se dressait dans un angle assez obscur de la salle, et mon frère approchait son visage du treillis. « Où es-tu ? » demandait-il sans cesse, et il essuyait sur son lorgnon, les larmes qui l’empêchaient de voir. Que je serais heureuse d’être en ce moment dans la cage de Luckau pour éviter à Karl cette épreuve !
Transmettez tous mes remerciements à Pfemfert pour le Galsworthy. J’ai fini le livre hier, et je suis contente de l’avoir lu. Mais, à vrai dire, ce roman ne m’a pas plu autant que Le propriétaire, bien qu’il mette davantage l’accent sur les thèmes sociaux – et peut-être pour cette raison même. Dans un roman je cherche moins les thèmes sociaux que la qualité artistique. Ce qui me gêne précisément dans Fraternité, c’est l’esprit dont fait preuve Galworthy. Cela ne vous surprendra pas. Mais c’est le même genre d’écrivain que Bernard Shaw et Oscar Wilde, un genre très répandu actuellement parmi l’intelligentsia anglaise : l’homme très intelligent, raffiné, mais blasé, qui observe tout ce qui se passe dans le monde avec un scepticisme souriant. Souvent je ris tout haut des remarques d’une ironie subtile que Galworthy fait à propos de ses personnages, sur un ton imperturbable. Cependant, tout comme les gens bien élevés et distingués ne se moquent jamais – ou rarement – de leur entourage, même quand ils en voient tout le ridicule, un véritable artiste n’ironise pas sur ses propres créations. Bien entendu, Sonitschka, cela n’exclut nullement la satire de grand style. Emmanuel Quint de Gerhard Hauptmann, par exemple, est la satire la plus cinglante que l’on ait écrite sur la société moderne depuis cent ans. Mais Hauptmann, lui, ne sourit pas. A la fin, il est là, les lèvres tremblantes, et dans ses yeux grands ouverts brillent des larmes. Galsworthy, par contre, avec ses remarques spirituelles, me fait l’effet d’un voisin de table qui, au cours d’une soirée, me glisserait à l’oreille quelque observation malicieuse chaque fois qu’un nouvel invité entre dans le salon.
Aujourd’hui, c’est à nouveau dimanche, le jour le plus sinistre pour les prisonniers et pour tous ceux qui souffrent de la solitude. Je suis triste, mais je souhaite de tout cœur que ni Karl ni vous n’éprouviez le même sentiment. Ecrivez-moi vite pour me dire quand vous partez enfin et à quel endroit.
Je vous embrasse. Mon souvenir affectueux aux enfants.
Votre Rosa
Pfemfert pourrait-il m’envoyer encore un bon livre ? Peut-être une œuvre de Th. Mann. Pour le moment, je n’ai rien lu de lui. J’ai encore une faveur à vous demander. Le soleil commence à m’aveugler dans je sors. Pourriez-vous m’envoyer par la poste un mètre de tulle fin, noir, parsemé de pois noirs. A l’avance, je vous dis mille fois merci.
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Wroncke, le 19 avril 1917
Hier c’est avec joie que j’ai reçu votre carte, bien que le ton en soit triste. Comme je souhaiterais être auprès de vous maintenant, pour vous faire rire, comme naguère, après l’arrestation de Karl. Vous vous souvenez ? Au café Fürstenhof, nous avons attiré l’attention par nos éclats de rire intempestifs. Que de bon moments nous avons passés, malgré tout ! Tous les jours, nous partions de bonne heure à la recherche d’une automobile, Potsdamer Platz, puis nous nous faisions conduire à la prison, à travers le Tiergarten en fleurs, par la rue Lehrter, bien tranquille, avec ses grands ormes, puis, au retour, nous faisions régulièrement halte au Fürstenhof, et régulièrement vous veniez chez moi, à Südende, où le mois de mai éclatait dans toute sa splendeur ; nous passions des heures agréables dans la cuisine où Mimi et vous-même attendiez patiemment, devant la petite table à la nappe blanche, les résultats de mon art culinaire (vous rappelez-vous les bons haricots verts à la parisienne ?) Et j’ai gardé le souvenir très vif d’un beau temps immuable, ensoleillé et chaud ; c’est seulement par des journées semblables que l’on éprouve toute la joie du printemps. Puis je ne manquais jamais de vous rendre visite, le soir, dans votre petite chambre. J’aime tant vous voir dans ce rôle de ménagère qui vous va si bien, lorsque, avec votre silhouette de jeune fille, vous vous tenez près de la table et servez le thé. Enfin, à minuit, nous nous reconduisions, à tour de rôle, par les rues obscures qui embaumaient. Souvenez-vous de cette nuit merveilleuse, à Südende, quand je vous ai raccompagnée chez vous ; les pignons qui détachaient leurs contours nets et noirs sur le ciel bleu et délicat donnaient aux maisons des allures de châteaux-forts.
Sonjuscha, je voudrais être toujours auprès de vous, pour vous distraire, bavarder ou me taire avec vous, pour vous éviter de retomber dans vos tristes pensées, votre désespoir. Dan votre carte vous posez cette question : « Pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ? » Enfant que vous êtes, la vie est « ainsi » depuis toujours, elle est tout à la fois souffrance, séparation, nostalgie. Il faut la prendre telle quelle et se dire que tout est bien ainsi. C’est du moins ce que je fais, non par une sagesse qui serait le fruit de la méditation, mais simplement par nature. Je sens, comme par instinct, que c’est la seule façon de prendre la vie, et je suis réellement heureuse, quelles que soient les circonstances. De ma vie présente et passée je ne retrancherais rien, je ne changerais rien. Si seulement je pouvais vous amener à voir la vie de la même manière.
Je ne vous ai pas encore remerciée pour le portrait de Karl. Vous m’avez donné une grande joie. C’était vraiment le plus beau cadeau d’anniversaire que vous puissiez m’envoyer. Il est devant moi, sur la table, bien encadré, et ne me quitte pas du regard. (Vous l’avez remarqué, il y a des portraits qui vous suivent des yeux où que vous soyez). Le portrait est très ressemblant. Comme Karl doit se réjouir des nouvelles qui nous viennent de Russie ! Et vous avez une raison personnelle d’être heureuse. Maintenant, rien ne devrait plus s’opposer à ce que votre mère vienne vous voir. Avez-vous pensé à cela ? Je vous souhaite beaucoup de soleil et de chaleur. Ici, il n’y a encore que des bourgeons, et hier il est tombé du grésil. Je me demande où en est mon « Midi » de Südende. L’année dernière, nous sommes restées un moment devant la grille, vous admiriez l’exubérance de la végétation.
Ne vous donnez pas le souci d’écrire des lettres. Moi, je vous écrirai longuement, mais il me suffit que vous m’envoyiez un petit mot sur une carte postale. Sortez le plus possible, faites beaucoup de botanique. Avez-vous emporté ma petite flore ? Gardez confiance, chère amie, tout ira bien, vous verrez.
Je vous embrasse affectueusement
Votre amie fidèle
Rosa
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Wroncke, le 2 mai 1917
En avril dernier, si vous vous souvenez, je vous ai appelés tous les deux au téléphone et vous ai demandé de venir avec moi à dix heures, au Jardin botanique entendre le rossignol qui donnait un véritable concert. Cachés par d’épais taillis, nous nous sommes assis sur les pierres, près d’un filet d’eau. Après le chant du rossignol, nous avons entendu tout à coup un appel plaintif, sur une note, quelque chose comme « gligligligligliglic ». J’ai pensé alors au cri d’un oiseau des marais, d’un oiseau aquatique, et Karl était du même avis, mais nous n’avons pu savoir exactement. Eh bien ! Imaginez-vous qu’un beau matin – il y a quelques jours de cela – j’ai entendu ici le même cri plaintif qui venait du voisinage. Le cœur battant d’impatience, j’ai voulu savoir quel était cet oiseau. Je n’ai eu de cesse jusqu’à ce que j’ai trouvé, et j’apprends aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’un oiseau des marais, mais du torcol qui est une sorte de pic. Il n’est guère plus gros qu’un moineau, et son nom lui vient de ce qu’il essaie d’effrayer l’ennemi par des attitudes comiques et par des contorsions de la tête lorsqu’il est en danger. Il ne se nourrit que de fourmis qu’il attrape avec sa langue collante, à la manière du fourmilier. C’est pourquoi les Espagnols l’appellent « hormiguero », l’oiseau-fourmilier. D’ailleurs, Möricke a consacré à cet oiseau un charmant poème humoristique qui a été mis en musique par Hugo Wolf. Je suis aussi heureuse que si j’avais reçu un cadeau depuis que je connais le nom de l’oiseau à la voix plaintive. Vous pourriez l’écire à Karl, cela lui ferait plaisir.
Ce que je lis ? Surtout des ouvrages de sciences naturelles : botanique et zoologie. Hier, par exemple, j’ai appris pourquoi les oiseaux chanteurs disparaissent d’Allemagne. Cela est dû à l’extension de la culture rationnelle – sylviculture, horticulture, agriculture – qui détruit peu à peu les endroits où ils nichent et se nourrissent : arbres creux, terres en friche, broussailles, feuilles fanées qui jonchent le sol. J’ai lu cela avec beaucoup de tristesse. Je n’ai pas tellement pensé au chant des oiseaux et à ce qu’il représente pour les hommes, mais je n’ai pu retenir mes larmes à l’idée d’une disparition silencieuse, irrémédiable de ces petites créatures sans défense. Je me suis souvenue d’un livre russe, du professeur Sieber sur la disparation des Peaux-Rouges en Amérique du Nord que j’ai lu à Zurich : eux aussi sont peu à peu chassés de leur territoire par l’homme civilisé et sont condamnés à une mort silencieuse et cruelle.
Mais il faut que je sois malade pour que tout me bouleverse à ce point. Savez-vous que j’ai souvent l’impression de ne pas être vraiment un être humain, mais un oiseau ou un autre animal qui a pris forme humaine. Au fond, je me sens beaucoup plus chez moi das un bout de jardin, comme ici, ou à la campagne, couchée dans l’herbe au milieu des bourdons, que dans un congrès du parti. A vous je peux bien le dire, vous n’allez pas me soupçonner aussitôt de trahir le socialisme. Vous le savez, j’espère mourir malgré tout à mon poste, dans un combat de rue ou un pénitencier. Mais, en mon for intérieur, je suis plus près de mes mésanges charbonnières que des « camarades ». Ce n’est pas que je trouve dans la nature un repos, un refuge, comme tant d’hommes politiques qui ont intérieurement fait faillite. Au contraire, la nature m’offre, elle aussi, à chaque pas, des spectacles si cruels qu’ils me causent de vives souffrances. Je vous raconterai, par exemple, une petite aventure dont le souvenir me poursuit. Au printemps dernier je revenais d’une promenade à la campagne et je suivais la rue tranquille et déserte quand mon attention fut attirée par une petite tache sombre sur le sol. Je me penchai et fus témoin d’un drame silencieux. Un gros scarabée gisait sur le dos et essayait vainement de se défendre contre une horde de minuscules fourmis qui se pressaient autour de lui et le dévoraient vivant ! Frémissant d’horreur, je pris mon mouchoir et commençai à chasser ces monstres. Mais les fourmis étaient si acharnées et si tenaces que je dus leur livrer un long combat. Quand j’eus enfin libéré la pauvre victime et l’eus posée sur l’herbe, je m’aperçus que deux de ses pattes étaient déjà mangées. Je m’enfuis, avec le sentiment pénible que je lui avais rendu un service fort contestable.
Nous avons déjà de longs crépuscules. D’ordinaire, j’aime beaucoup ces heures de la journée. A Südende, j’avais une quantité de merles ; ici, ils ne se montrent pas et se taisent pour le moment. Pendant tout l’hiver, j’ai nourri un couple, mais il est parti. Habituellement, à Südende, je passais mes soirées à flâner dans la rue. C’est un si beau spectacle lorsque les flammes roses du gaz, qui semblent intimidées par les dernières lueurs violettes du jour, tremblent soudain derrière la vitre des réverbères. Dans la rue glisse la silhouette d’une concierge qui se hâte de rentrer chez elle ou d’une bonne qui court acheter quelque chose chez le boulanger ou l’épicier. Les enfants du cordonnier, qui sont mes amis, continuaient à jouer dehors, malgré l’obscurité, jusqu’au moment où une voix énergique les appelait à l’angle de la rue. A cette heure, il y avait toujours un merle qui ne pouvait trouver le repose et qui, soudain, jetait des cris perçants ou bavardait comme un enfant mal élevé et volait bruyamment d’arbre en arbre. Et je restais au milieu de la rue, à compter les premières étoiles. Je n’avais pas envie de rentrer, de quitter cette douce atmosphère de crépuscule dans laquelle le jour et la nuit se fondaient lentement. Sonjuscha, je ne tarderai pas à vous écrire de nouveau. Gardez confiance, tout ira bien – pour Karl aussi. Au revoir, jusqu’à la prochaine lettre.
Je vous embrasse
Votre Rosa