Opposition de gauche en URSS - Documents

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par com_71 » 24 Fév 2023, 18:01

Sur Verkheouralsk, on dispose maintenant d'un autre livre - que je n'ai pas encore lu - en plus de celui paru aux Bons Caractères
https://www.lesbonscaracteres.com/livre ... hneouralsk
Il s'agit d'une étude d'A. Bellaiche, éditée par La Brèche, et présentée par J.J. Marie
https://la-breche.com/catalog/web/?view ... egory_id=9

Jean-Jacques Marie a écrit :Verkhne-Ouralsk l’isolateur politique 1925-1938, combats, débats et extermination d’une génération, d’AVSHALOM BELLAÏCHE

A propos des trotskystes de Verkhne-Ouralsk

En janvier 2018 des ouvriers du bâtiment travaillant dans une vieille prison de la petite ville de Verkhneouralsk, près de la ville de Tcheliabinsk, ont découvert sous le parquet d’une cellule des publications artisanales rédigées par des trotskystes déportés en 1929-1930. Ces déportés se désignent du nom de bolcheviks-léninistes pour souligner leur continuité avec l’héritage d’octobre 1917 dont Lénine a été le véritable inspirateur. La bureaucratie stalinienne ne pourra évidemment reproduire cette désignation et lui substitue le nom de « trotskystes », qui vise à suggérer une filiation extérieure , puis étrangère à Lénine, et, au fil des années, en fait le synonyme de menchéviks, contre-révolutionnaires, agents des services secrets divers et variés, puis fascistes et hitlériens mal déguisés. Mais le qualificatif de « trotskyste », malgré ses origines pour le moins malveillantes, est entré dans les moeurs.

A quelques mois de distance sont parus deux ouvrages portant sur ces documents qui avaient échappé à la surveillance de la police politique de Staline, l’un écrit par Avshalom Bellaïche sous le titre Verkhne-Ouralsk l’isolateur politique 1925-1938, combats, débats et extermination d’une génération. L’autre intitulé Les cahiers de Verkhneouralsk, traduit, présenté et annoté par Pierre Laffitte, Pierre Matttei et Lena Razina, publié par Les bons caractères.

Ce petit article porte sur le livre de Bellaïche un second sur celui des bons caractères suivra.

Avshalom Bellaïche précise d’emblée que les textes dénichés par les ouvriers du bâtiment sont « des écrits politiques, des analyses théoriques et des textes polémiques »,qu’il qualifie à bon droit de « sources exceptionnelles, originales et précieuses » sur les trotskystes en URSS, sur leurs réflexions et leurs débats politiques, parfois très vifs mais qui témoignent toujours d’une indépendance de pensée remarquable au moment même où en URSS les slogans les plus primitifs et les mensonges les plus grossiers commencent à remplacer toute forme de pensée politique. Avshalom Bellaïche retrace minutieusement l’histoire de l’isolateur de Verkhne-Ouralsk, connue jusqu’alors surtout par le récit qu’en donne dans son Au pays du mensonge déconcertant l’opposant yougoslave Anton Ciliga qui y fut déporté.

Bellaïche souligne que son travail vise à « décrire au maximum les conditions de vie des prisonniers (…) et à montrer comment les prisonniers par leur organisation et leur cohésion politique parviennent alors que l’Union soviétique s’enfonce dans le régime totalitaire (…) à maintenir un rapport de force favorable qui leur permet de défendre leurs libertés politiques. » Il évoque à la fois leurs longues discussions et leurs actions comme la grève de la faim d’avril 1931 qui contraint la direction de l’isolateur à faire quelques concessions aux détenus consignées dans un texte que Bellaïche reproduit .

La cohésion morale des détenus trotskystes n’empêche pas l’apparition rapide de divisions politiques, parfois vives, face à ce que l’on a appelé « le tournant à gauche » de Staline et de l’appareil du PC avec le lancement en 1929 du plan quinquennal et le déclenchement de la collectivisation agricole avec des méthodes d’une extrême brutalité, qui vont dresser contre elle une grande partie de la paysannerie soviétique, méthodes dont les militants internés n’avaient au début qu’une connaissance réduite.

Une minorité approuve cette collectivisation, l’un de ses membres s’affirmant même partisan d’une « collectivisation à outrance », que la majorité des B-L critiquent vu l’absence de base matérielle technique et de véritable campagne politique préparatoire.

Ce qu’on connaissait des débats vifs qui agitent la colonie des bolcheviks-léninistes, la plus importante et de loin des groupements politiques déportés à Verkhne-Ouralsk, se limitait jusqu’alors essentiellement à une correspondance avec Trotsky publiée dans le numéro 7/8 (1981) des Cahiers Leon Trotsky dont les derniers textes datent de l’automne 1930 et ce qu’en dit Ciliga dans ses souvenirs. Sur ce dernier Avshalom Bellaïche affirme : « Anton Ciliga escamote complètement l’état réel des discussions qui ont traversé les bolchevils-léninistes. » Et il ajoute, à bon droit, « Grâce à la découverte des manuscrits qui datent de 1932 nous connaissons enfin les enjeux et les débats qui ont réellement opposé les différentes tendances au sein du collectif bolchevik-léniniste ». Certes son étude minutieuse et précise des documents disponibles corrige certaines affirmations de Ciliga ou comble certains de ses silences. Mais Ciliga est partie prenante de ces débats dans lesquels il est très engagé et dont il n’est pas surprenant qu’il en donne une vision partiale et orientée, d’autant qu’à leur terme il rompra avec le bolchevisme… et – après la publication de ses souvenirs – évoluera très à droite.

Les longues pages qu’Avshalom Bellaïche consacre aux débats internes des bolcheviks–léninistes aux divergences puis aux divisions – parfois provisoires – que ces débats font apparaitre sont sans doute les plus riches et les plus passionnantes de son travail. Elles témoignent de la volonté acharnée de ces militants isolés de réfléchir avec leur tête. Certes ils accordent une grande attention aux lettres et textes de Trotsky qu’ils peuvent recevoir – de façon très épisodique après l’automne 1930 – mais ils ne se contentent nullement de les répéter ou de les paraphraser et peuvent les critiquer. Au début ces débats portent sur l’appréciation du prétendu « tournant à gauche » que représenterait la collectivisation forcée et donc sur l’attitude à adopter à son égard. Elles se concluront par un débat sur la nature de l’URSS.

Les résumer aboutirait à les caricaturer. Ainsi évoquer un « collectif majoritaire », qui publie son bulletin, puis un « collectif minoritaire » qui publie aussi le sien, bientôt flanqués d’une aile gauche critique qui compose son Bolchevik militant, avant l’apparition dans le collectif majoritaire d’une aile droite désignée par les initiales de ses trois représentants (MBM) en résumant en trois lignes la position de chaque courant rappellerait assez stupidement la vieille plaisanterie sur les trotskystes qui scissionnent dès qu’ils atteignent ou dépassent le nombre de trois.

Or pour quiconque a une autre vision de l’histoire complexe de l’Union soviétique que la vision linéaire des historiens bourgeois qui dessinent une ligne droite imaginaire du prétendu coup de force( ou d’état) d’octobre 1917 au totalitarisme stalinien, les problèmes posés par la première révolution ouvrière victorieuse au sein d’une défaite de la révolution mondiale, surtout européenne, étaient d’une extrême complexité. Et les discussions et les débats qu’évoque Avshalom Bellaïche avec une grande clarté, une grande minutie et – je me répète – avec une tout aussi grande précision frappent par la volonté acharnée de comprendre qui anime leurs participants. Volonté d’autant plus étonnante que les possibilités d’agir ne peuvent que leur apparaitre lointaines. L’appareil policier du stalinisme, lui en revanche n’en est pas persuadé, les juge bien dangereux et les massacrera tous en 1937 et 1938 à Vorkouta et à Magadan . Ce massacre, raconté par plusieurs témoins qui ont survécu, conclut ou presque le récit d’Avshalom Bellaïche.

Ces militants pensent avec leur tête. Ainsi Bellaïche signale les désaccords de certains d’entre eux avec plusieurs points du texte de Trotsky intitulé Les problèmes du développement de l’URSS (projet de plateforme de l’Opposition de gauche internationale sur la question russe paru dans le n° 20 du Bulletin de l’Opposition d’avril 1931) dans lequel il affirme : « La réalisation du plan quinquennal représente un pas en avant gigantesque en comparaison de l’héritage misérable que le prolétariat avait arraché des mains des exploiteurs » (Bulletin de l’Opposition n° 20, page 3).

En 1932 Trotsky et les bolcheviks-léninistes de Verkhne-Ouralsk – et d’ailleurs – ont toujours la perspective de réformer le parti dirigeant et l’Internationale communiste même si les premières interrogations apparaissent ici et là. Ainsi Axel Bellaïche cite-t-il un article de décembre 1932 du Collectif majoritaire dont les auteurs affirment : «Il n’y a pas de doute qu’en comparaison avec le volume colossal des tâches à réaliser par l’Opposition léniniste ses forces sont pour le moment insignifiantes. » Avshalom Bellaïche ajoute : « Les tâches et les perspectives qu’ils [les bolcheviks-léni,nistes] donnent sont proportionnées aux nécessités de la politique générale et non à leur capacité réelle d’influencer ou de modifier cette même situation. »

Le moment décisif dans ces discussions passionnées est celui qu’Axel Bellaïche appelle « le rubicon » c’est-à-dire le passage d’une vision du clan de Staline comme direction bureaucratique « centriste » du parti communiste à la conception d’une bureaucratie parasitaire qui doit être renversée par la mobilisation des masses, seul moyen de défendre durablement la propriété d’Etat, passage transitoire obligé vers la « propriété sociale » qui pour se réaliser, en suppose … en même temps la négation ! C’est la « révolution politique », que les détenus bolcheviks-léninistes esquissent dès décembre 1932 lorsqu’ils évoquent la grève générale et l’armement du prolétariat comme des slogans pour l’action de masse. « Certes, commente Avshalom Bellaïche, l’emploi de la violence reste conditionné, mais on est très loin du mécontentement limité au cadre soviétique de 1930. »

Quelques mois plus tard chacun de son côté, Trotsky et les bolcheviks-léninistes de Verkhne-Ouralsk, tirent sans pouvoir se consulter, les mêmes conclusions de la politique stalinienne en Allemagne qui a ouvert la voie du pouvoir aux nazis et que Trotsky qualifie de « 4 août du stalinisme », bref une trahison de la révolution similaire à celle de la social-démocratie en 1914. C’est le développement commun d’une analyse marxiste de fond commune. « Que ce soit à Prinkipo ou à Verkhne-Ouralsk, souligne Avshalom Bellaïche, les conclusions politiques de cette analyse sont formulées quelques mois plus tard à l’automne 1933 : le Parti communiste est mort, l’Internationale communiste est morte, la fondation d’une nouvelle Internationale révolutionnaire et la révolution politique qui renverserait le parti stalinien soviétique par l’insurrection armée des masses ouvrières sont désormais nécessaires. Sur la base de cette perspective nouvelle (…) les bolcheviks-léninistes de Verkhnéouralsk se réunifient à la veille de la seconde grève de décembre 1933 qui arrachera dans la douleur la libération de la majorité des militants révolutionnaires de l’isolateur politique de Verkheouralsk. »

Les détenus de Verkhne-Ouralsk ne pourront jamais lire une ligne de la Révolution trahie achevée par Trosky en juin 1936. Mais si l’on juge par leurs écrits abondamment cités dans l’ouvrage d’Avshalom Bellaïche, ils en auraient sans aucun doute repris à leur compte les conclusions fondamentales.

Avshalom Bellaïche signale aussi les positions des autres groupes d’opposants internés à Verkhne Ouralsk (les décistes – ou centralistes-démocratiques – de Vladimir Smirnov, eux aussi divisés entre ceux qui voient en URSS le triomphe du capitalisme dEtat et ceux qui y perçoivent la victoire politique de la petite-bourgeoisie, les miasnikoviens, les menchéviks).

Il évoque en détail de nombreux militants bolcheviks-léninistes dont les plus importants, Iakovine, Solntsev, Dilgenstedt, Nevelson, Boris Eltsine et ses deux frères, Poznansky, ancien secrétaire de Trotsky, Guevorkian, tous liquidés plus tard, et Starosselsky, le spécialiste de la Révolution française, mort en 1934. Ils sont tous massacrés parce que, pour Staline, si isolés soient-ils apparemment, ils ne sont pas des rêveurs utopiques mais un danger mortel .

La preuve en est donnée par des manifestations de révolte contre la clique stalinienne collectées par le NKVD au moment même où ces militants sont massacrés. Ainsi le fils du premier secrétaire du PC d’Ouzbeskitan Ikramov, condamné à mort lors du 3 ème procès de Moscou de mars 1938, envoyé lui à la Loubianka, y rencontre brièvement un garçon de 14 ans interné pour avoir participé à la constitution à Oulianovsk d’un Parti panrusse contre Staline, sans aucun doute minuscule mais significatif d’un état d’esprit reflété à la veille de la manifestation du 1er mai 1938 à Moscou par des fondateurs d’un Parti ouvrier antifasciste qui avaient rédigé un tract antistalinien virulent qu’ils se préparaient à y distribuer, mais qui furent arrêtés la veille.[1]

Pour interdire toute liaison entre cette protestation aux formes diffuses et les bolcheviks-léninistes, Staline a d’abord isolé ces derniers, les a calomniés, puis les a envoyés au Goulag pour les soumettre à la terreur exercée par les criminels de droit commun véritable lie sociale décomposée, image inversée de la bureaucratie parasitaire et les a finalement assassinés. On voit à quel point l’historien pro-stalinien Isaac Deutscher [2] se fourvoyait lorsque dans le troisième volume de son Trotsky il affirmait que ce dernier après son exil en 1929 aurait dû se contenter d’écrire des livres plutôt que d’animer une opposition de gauche que Deutscher traite avec mépris, et que l’ouvrage d’Avshalom Bellaïche, en lui rendant un bel hommage intelligent et argumenté, rappelle à la vie.

Quelle conclusion ou quelle leçon peut-on tirer de la lecture du travail très riche d’Avshalom Bellaïche ? La première tentation peut être de souligner l’extraordinaire trempe morale de ces milliers d’hommes et de femmes qui se battent sans faiblir – sauf quelques inéluctables exceptions – dans des conditions où leur chances d’un quelconque succès sont microscopiques. Cette trempe morale est incontestable, mais on peut en trouver des exemples similaires chez les fanatiques religieux les plus bornés, dont ces bolcheviks-léninistes se différencient radicalement par leur volonté farouche, amplement soulignée par Avshalom Bellaïche, d’analyser, de comprendre pour avoir éventuellement le moyen, si la possibilité – même infime – se présente, de transformer économiquement, socialement et politiquement, un monde dont le maintien en l’état est une menace pour l’humanité. A lire donc ! !

[1] On voudra bien m’excuser (et puis tant pis si on ne m’en excuse pas !) de renvoyer à ce propos à mon livre Des gamins contre Staline où figurent nombre de données et de documents sur ces manifestations

[2] Pro-stalinien … Deutscher, qualifié souvent d’historien trotskyste par la presse bourgeoise ? La preuve : Deutscher concluait sa biographie de Staline publiée en anglais en 1949 puis en français en 1951 par ces lignes : « Tel Cromwell il incarne la continuité de la révolution, à travers toutes ses phases et métamorphoses (…) comme Napoléon il avait construit son empire , mi-conservateur et mi-révolutionnaire et porté la révolution au-delà des frontières de son pays. La meilleure part de l’oeuvre de Staline durera certainement plus longtemps que lui (…) Afin de sauvegarder cette œuvre pour l’avenir et lui donner toute sa valeur, l’Histoire devra peut-être encore purifier et remodeler l’œuvre de Staline. » Il maintient cette conclusion dans sa nouvelle édition de 1960, quatre ans donc après le rapport de Khrouchtchev sur les « crimes de Staline » au XX e congrès du PCUS.

https://cahiersdumouvementouvrier.org/a ... e-ouralsk/
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 5984
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par com_71 » 24 Fév 2023, 18:24

Sans grand rapport direct avec son sujet, J.J. Marie liquide un peu péremptoirement la biographie de Trotsky par I. Deutscher dans sa seconde note. On peut lui reconnaître une certaine fidélité à son style. La biographie de Trotsky par Deutscher est en tout cas à lire.
Pour nuancer :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Deutscher
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trotsky_(Isaac_Deutscher)
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 5984
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par Cyrano » 28 Fév 2023, 09:32

Trotsky par Isaac deutscher, à lire, à lire, faut avoir un gros appétit: les 3 volumes des éditions Julliard nous proposent une lecture de 2.000 pages. Depuis la biographie de Deutscher, on a eu celle de Pierre Broué – 1.100 pages – et celle de Jean-Jacques Marie, plus nerveuse, un peu plus de 600 pages.
Ces bios ne rendent-elles pas obsolètes celle de Deutscher ? Ma lecture de Deutscher est si loin…

Autre question : que savait Léon Trotsky de l'élimination programmée, systématique, de tout ce qui ressemblait à des trotskistes en 1938? Je ne me souviens pas avoir lu là-dessus?
Cyrano
 
Message(s) : 1500
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par Ottokar » 28 Fév 2023, 16:56

Les ouvrages de Deutscher et de Broué sont très différents.

Broué essaie de retracer les raisonnements de Trotsky principalement à partir de ses oeuvres. C'est quasi une déformation professionnelle, tellement il a travaillé dessus, lu, relu, publié la moindre ligne de Trotsky. Et il veut lui rester fidèle. Même si on peut se dire parfois qu'il ne comprend pas tout, il essaie de raisonner avec les mots de Trotsky.

Deuscher est de parti pris. Il juge l'action de Trotsky, qu'il approuve au début puis dont il s'éloigne peu à peu. Reste que son récit est très vivant, plein d'anecdotes, de faits dont Trotsky ne parle pas (et du coup, Broué non plus). A lire avec précaution, certes, mais avec intérêt.
Ottokar
 
Message(s) : 680
Inscription : 16 Jan 2005, 10:03

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par com_71 » 28 Fév 2023, 17:25

que savait Léon Trotsky de l'élimination programmée, systématique, de tout ce qui ressemblait à des trotskistes en 1938? Je ne me souviens pas avoir lu là-dessus?

Par exemple le n50 du Bulletin de l'Opposition a publié un article signé Trotsky :
https://www.marxists.org/francais/trots ... 360325.htm
Cf. également dans le n78 (juillet 39), l'article , signé MN mais écrit par Trotsky : "Résultats des purges".
traduction automatique a écrit :Vers les résultats des purges

Le correspondant du New York Times, Walter Duranty, à qui le Kremlin a toujours confié les missions journalistiques les plus sales, estime nécessaire de signaler que les purges ont pris des proportions qui dépassent de loin tout ce que l'on savait à leur sujet à l'étranger. La moitié des communistes exclus ont été réintégrés dans les rangs du Parti. Combien d'innocents ont souffert parmi les sans-partis ! Cette fois l'indignation de Walter Duranty lui est commandée par le Kremlin. Staline a maintenant besoin que ses propres laquais fassent entendre le plus fort possible leur indignation face aux outrages et aux crimes commis. Ainsi, ils instillent dans l'opinion publique que Staline lui-même est rempli d'indignation et que, par conséquent, la falsification, la provocation, les exils arbitraires et les fusillades ont été effectués à son insu et contre sa volonté. Croire cela, bien sûr, ne peut être le fait que d'imbéciles avérés. Mais même ceux qui ne sont pas stupides sont aussi enclins à suivre Staline sur cette question, au moins à moitié. Oui, disent-ils, Staline est certainement coupable de la dernière gigantesque vague de terreur ; mais il voulait la limiter à l'opportunité politique, c'est-à-dire exterminer seulement ceux qu'il était nécessaire pour son régime d'exterminer ; et pendant ce temps, les exécutants irrationnels et démoralisés, mus par des intérêts d'un ordre inférieur, ont donné à l'épuration une portée tout à fait monstrueuse et ont provoqué un ressentiment général ; ainsi de ces exagérations, de cette extermination insensée, même du point de vue des intérêts du Kremlin, de centaines de milliers de personnes "neutres", Staline n'est certainement pas coupable.

Autant ce raisonnement va à l'encontre de la logique banale, autant il est faux de bout en bout. Il présuppose, tout d'abord, que Staline lui-même soit plus limité qu'il ne l'est réellement. Il avait pourtant, surtout dans ce domaine, une expérience suffisante pour prévoir à l'avance l'ampleur de la purge avec l'appareil pour la création et pour l'éducation duquel il avait eu la première place. Les préparatifs étaient faits, comme on le sait, bien à l'avance. Cela commença par l'expulsion du parti, en 1935, de dizaines de milliers d'opposants depuis longtemps repentis. Personne ne comprit cette mesure. Encore moins, bien sûr, les exclus eux-mêmes. La tâche de Staline était la suivante : éliminer la Quatrième Internationale et exterminer au passage la vieille génération de bolcheviks et, parmi les générations suivantes, tous ceux qui étaient moralement liés à la tradition du parti bolchevik. Pour réaliser un plan aussi monstrueux, dont on ne trouve pas d'équivalent dans les pages de l'histoire humaine, il fallait prendre en tenaille l'appareil lui-même. Il fallait faire sentir à chaque agent du GPU, à chaque fonctionnaire soviétique, à chaque membre du Parti, que la moindre dérobade à telle ou telle mission scélérate signifiait la mort du récalcitrant, la mort de sa famille et de ses amis. Il fallait tuer d'avance l'idée même de résistance dans le Parti et dans les masses ouvrières. Il ne s'agissait donc pas d'"exagérations" accidentelles, ni de zèle de la part des exécutants, mais d'une condition nécessaire au succès du plan principal. Une canaille hystérique comme Iejov était nécessaire comme exécutant, et Staline prévoyait à l'avance la nature et l'étendue de son travail et se préparait à l'avance à le désavouer lorsque l'objectif principal serait atteint. Dans ce domaine, le travail s'est déroulé selon le plan.

Même pendant la lutte avec l'Opposition de gauche, Staline initia la clique de ses plus proches associés à sa grande découverte sociologique et historique : tous les régimes du passé sont tombés à cause de l'indécision et de l'hésitation de la classe dirigeante. Si le pouvoir d'État est suffisamment impitoyable à l'égard de ses ennemis, ne s'arrêtant pas devant l'extermination massive, il fera toujours face à tous les dangers. Déjà à l'automne 1927, cette sagesse était répétée à tout bout de champ par les agents de Staline afin de préparer l'opinion publique du parti aux purges et aux procès futurs. Aujourd'hui, il peut sembler aux maîtres du Kremlin - du moins il leur semblait hier - que le grand théorème de Staline est confirmé par les faits. Mais l'histoire brisera cette fois encore l'illusion policière. Lorsqu'un régime social ou politique entre en contradiction irréconciliable avec les besoins du développement du pays, la répression peut, sans doute, prolonger son existence pendant un certain temps, mais à la fin, l'appareil même de la répression commencera à se briser, à s'émousser, à s'effriter. C'est précisément à ce stade que l'appareil policier de Staline en est arrivé. Les destins de Iagoda et de Iejov préfigurent le sort futur non seulement de Beria, mais aussi du maître commun à tous les trois.
M.N.

http://iskra-research.org/FI/BO/BO-77.shtml
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 5984
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par Cyrano » 01 Mars 2023, 08:04

Bien joué com_71! Il suffisait de demander. Si y'en a qu'on d'autres textes sous le coude...
Cyrano
 
Message(s) : 1500
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par Gayraud de Mazars » 01 Mars 2023, 10:14

Salut camarade Com,

Trotsky a écrit :Les destins de Iagoda et de Iejov préfigurent le sort futur non seulement de Beria, mais aussi du maître commun à tous les trois.
M.N.


Iagoda et Iejov furent rapidement éliminés, par contre Béria a survécu de peu à Staline liquidé par les successeurs ! Pour cette période je conseille le film - La mort de Staline (2017), de Armando Iannucci qui raconte comme dit le titre la mort de Staline et les suites dans les couloirs du pouvoir, où l'on voit bien sous l'angle de l'humour, les circonvolutions et les bassesses des bureaucrates pour arriver au pouvoir suprême après la mort du "chef"...

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2481
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par pouchtaxi » 01 Mars 2023, 19:32

par com_71 » 24 Fév 2023 17:01

Sur Verkheouralsk, on dispose maintenant d'un autre livre - que je n'ai pas encore lu - en plus de celui paru aux Bons Caractères.


Verkhne-Ouralsk l’isolateur politique 1925-1938, combats, débats et extermination d’une génération, d’AVSHALOM BELLAÏCHE


édité par La Brèche, et présentée par J.J. Marie
https://la-breche.com/catalog/web/?view ... egory_id=9




Livre à lire avec en gros, une description des conditions matérielles d'existence dans l'isolateur de Verkhnéouralsk, quelques biographies d'oppositionnels y ayant "séjourné" et une analyse des débats entre eux, décistes, membres de l'Opposition Ouvrière, du Goupe Ouvrier et bien sûr trotskystes largement majoritaires d'après les statistiques présentées.

Après les parties introductives, le livre s'ouvre sur l'isolateur des îles Solovski à partir du livre d'Olitskaïa : "Le sablier". Elle y fut internée avec des SR, des menchéviks et des anarchistes. Ils furent transférés en 1925 vers l'isolateur de Verkhnéouralsk. Solovski serait un proto-Verkhnéouralsk.

La source principale pour Verkhnéouralsk est le livre de Ciliga "Dix ans au pays du mensonge déconcertant".

p. 40 on lit une phrase étonnante :

L'ouvrage de Pierre Broué,Communistes contre Staline, qui est le seul livre à ce jour qui traite spécifiquement de l'histoire de l'Opposition de gauche en Union Soviétique etre 1923 et 1940.


Or la bibliographie cite les deux tomes de Pierre Merlet chez un éditeur bien connu ici.

Par ailleurs l'auteur, rendant compte des débats entre oppositionnels au sujet de Thermidor, c'est à dire la nature de l'Etat soviétique, emploie ce terme de manière confuse alors que Trotsky distingue clairement les aspects politiques et sociaux dans des textes connus, par exemple :

https://www.marxists.org/francais/trots ... 01100h.htm


https://www.marxists.org/francais/trots ... 350201.htm

Cela obscurcit considérablement la teneur des débats.

C'est néanmoins un complément utile à la nécessaire lecture approfondie des textes découverts en 2018.
pouchtaxi
 
Message(s) : 268
Inscription : 08 Mai 2006, 18:19

Re: Opposition de gauche en URSS - Documents

Message par Cyrano » 03 Mars 2023, 10:00

Le texte de Léon Trotsky que transmet com_71 est plus qu'intéressant. Maos il ne permet pas de savoir si la solution finale appliquée dans l'extrême-est de la Sibérie fut connue par Trotsky: la Kolyma, Magadan, Vorkouta.
D'après ce que crois comprendre, ce n'est qu'avec les témoignages publiés par la suite et l'ouverture des archives qu'on a pu dresser un tableau du destin des femmes et des hommes de là-bas.
En tout cas, Léon Trotsky comprenait très bien que ce qui s'était mis en place c'était l'extermination complète de tout ce que l'URSS comptait de trotskistes.

On a le bouquin de Pierre Broué, les deux petits livres de Pierre Merlet. Mais on peut lire aussi divers textes dans les Cahiers du mouvement ouvrier. Par exemple, un texte de Vadim Rogovine, "Les trotskistes dans les camps" dans le CMO 27; "Les trotskistes à Magadan" par Jean-Jacques marie.
Peut-être dans d'autres revues trotskistes au fur et à mesure de l'ouverture des archives?
Cyrano
 
Message(s) : 1500
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Précédent

Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Duffy et 8 invité(s)