Nouvelle édition du "Staline" de Trotsky

Marxisme et mouvement ouvrier.

Nouvelle édition du "Staline" de Trotsky

Message par com_71 » 04 Juin 2022, 16:46

A cette fête 2022 un camarade a présenté un forum sur la nouvelle édition en français du Staline de Trotsky, traduction d'une édition militante, "novatrice" de 2016, en anglais. Le camarade a été très convaincant dans ses conseils réitérés pour lire cette nouvelle édition. (https://www.syllepse.net/staline-_r_22_i_826.html)

Ce qu'en disaient les éditeurs anglais en 2016 :
La TMI publie la version la plus complète du Staline de Trotsky

Le 20 août 1940, un agent de Staline assassinait lâchement le révolutionnaire russe Léon Trotsky, à Mexico. Celui-ci travaillait justement, à l’époque, sur la deuxième partie d’une longue biographie de Staline. Depuis, toutes les éditions parues de ce chef d’œuvre inachevé furent très insatisfaisantes, comme nous l’expliquons plus loin. Aussi la Tendance Marxiste Internationale (TMI) est-elle fière d’annoncer qu’elle vient de publier la version de Staline la plus complète et la plus fidèle aux intentions politiques de son auteur.

Chef de la bureaucratie soviétique

Le rôle de l’individu dans l’histoire est un sujet d’étude inépuisable. Comment Staline, qui fut à ses débuts un révolutionnaire, un bolchévique, est-il devenu un tyran sanguinaire ? Etait-ce dû à son enfance ? De fait, certains éléments de son vécu peuvent expliquer des tendances à la cruauté ou au sadisme, par exemple. Mais il n’y a là rien qui puisse répondre définitivement à la question. Tous les enfants battus ne deviennent pas des dictateurs.

Pour qu’une telle transformation se produise, il faut un contexte historique exceptionnel – en l’occurrence, le reflux du mouvement révolutionnaire, après la révolution russe. L’épuisement des masses – éreintées par la guerre, puis la révolution et la guerre civile – et l’isolement de cette révolution, dans un contexte de pauvreté et d’arriération extrêmes, menèrent à l’essor d’une bureaucratie privilégiée. Cette bureaucratie avait besoin d’un dirigeant, issu du bolchevisme, qui légitimerait sa domination et défendrait ses intérêts. Elle trouva cet homme en Joseph Djougachvili, alias Staline.

A priori, Staline ne représentait pas le meilleur choix pour assumer l’héritage de Lénine, mort en 1924. Suspicieux et violent, relativement ignorant, ses principaux talents consistaient dans la recherche et la captation du pouvoir. Il était l’« apparatchik » typique, à l’image de ceux dont il défendra les intérêts. Les autres dirigeants bolchéviques avaient voyagé, connaissaient bien le mouvement ouvrier international et parlaient plusieurs langues. Mais comme l’explique Trotsky dans Staline, une phase contre-révolutionnaire ne requiert pas ce type d’hommes ; elle requiert des conformistes et des opportunistes, des esprits étroits, à leur aise dans un contexte de reflux et de démoralisation.

Dans ces circonstances, Staline était le candidat idéal de la bureaucratie soviétique. Ses aptitudes, bien réelles au demeurant (volonté de fer, détermination, grand talent pour manipuler, manœuvrer et intriguer) lui permirent de surclasser tous ses concurrents.

La personnalité de Staline

L’explication de grands évènements historiques par l’action de quelques individus n’est pas scientifique. Le matérialisme historique s’attache à comprendre l’histoire à travers le développement des forces productives et la lutte des classes. Mais il ne nie pas pour autant le rôle des individus dans l’histoire ; c’est même seulement à travers leurs actions qu’on peut décrire les processus historiques.

Est-ce la personnalité de Staline qui a déterminé le destin de l’URSS ? Evidemment pas. La défaite des révolutions européennes, dans la foulée d’octobre 1917, a condamné à la dégénérescence la démocratie ouvrière instaurée par la Révolution russe. Dans ce contexte, l’essor de la bureaucratie était inévitable. C’est seulement dans la nature particulièrement violente et cruelle du régime que l’on pourra trouver l’apport de la personnalité de Staline, de son caractère et de ses traits psychologiques propres.

L’« objectivité » de l’historien

Staline est une fascinante étude sur la manière dont les traits particuliers d’un individu interagissent avec les grands évènements historiques. Mais dès lors, certains critiquent cette œuvre en expliquant qu’elle fut motivée par la volonté de Trotsky de discréditer son « ennemi intime ». Au minimum, ils affirment qu’elle ne pouvait pas être « objective », du fait de facteurs personnels ou psychologiques. Trotsky avait anticipé ces critiques et y avait répondu d’avance :

« La position que j’occupe maintenant est unique. Je pense donc pouvoir légitimement affirmer que je n’ai jamais nourri un sentiment de haine à l’égard de Staline. Dans certains cercles, beaucoup est dit et écrit sur ma soi-disant haine envers Staline, qui m’emplirait apparemment de sentiments sombres et troublerait mon jugement. Je ne peux que hausser les épaules en réponse à tout cela. Nos chemins se sont séparés si loin dans le passé que, quelles que soient les relations personnelles qu’il y ait eu entre nous, cela fait bien longtemps qu’elles sont totalement éteintes. Pour ma part, et dans la mesure où je ne suis que l’instrument de forces historiques qui me sont étrangères et hostiles, mon sentiment personnel à l’égard de Staline est semblable en tout point à celui que j’ai envers Hitler ou le Mikado japonais. » (Staline, nouvelle édition, Chapitre 14 : La réaction thermidorienne ; section La revanche de l’Histoire.)

Les historiens académiques on beau se draper dans leur soi-disant impartialité, il n’empêche que tout historien adopte forcément un point de vue de classe particulier. C’est évident dans le cas de la révolution russe, comme le démontre le flot ininterrompu de livres « savants » qui, chaque année, viennent nous expliquer, « preuves » à l’appui, que Lénine et Trotsky n’étaient que des monstres assoiffés de sang et que les seuls accomplissements de l’URSS sont le KGB et les goulags. Il n’est pas difficile de dévoiler, derrière cette « impartialité », un anticommunisme primaire. La démarche de Trostky, par contre, est celle d’un marxiste et d’un révolutionnaire :

« Aux yeux d’un philistin, un point de vue révolutionnaire équivaut virtuellement à une absence d’objectivité scientifique. Nous pensons exactement le contraire : seul un révolutionnaire – muni évidemment de la méthode scientifique – peut mettre à nu la dynamique objective de la révolution. De façon générale, l’appréhension de la réalité n’est pas d’ordre contemplatif, mais actif. L’élément volontaire est indispensable pour pénétrer les secrets de la nature et de la société. Exactement comme un chirurgien, du scalpel de qui dépend la vie humaine, distingue avec un soin extrême les différents tissus d’un organisme, de même un révolutionnaire, s’il aborde ses tâches avec une attitude sérieuse, est obligé d’analyser consciencieusement et strictement la structure de la société, ses fonctions et ses réflexes. » (Préface à La tragédie de la révolution chinoise d’Harold Issacs, Trotsky, 1938)

Notre édition

Du fait de l’assassinat de Trotsky, personne ne pourra jamais prétendre publier la version définitive de Staline. Mais nous pouvons affirmer que nous proposons aujourd’hui la version la plus complète jamais publiée. Les précédentes éditions – toutes langues confondues – comportaient deux types de défauts : 1) elles avaient exclu, sans raison valable, une grande quantité du matériel rédigé par Trotsky, que nous avons intégré à notre édition ; 2) la version anglaise (entre autres) comportait de longues « insertions » rédigées par le traducteur et, souvent, en complète contradiction avec les idées de Trotsky [1]. Nous avons écarté la plupart de ces passages.

Pour aboutir au meilleur résultat possible, nous avons comparé les traductions des différentes éditions existantes et travaillé à partir de toutes les archives de Trotsky disponibles en anglais et en russe. Notre édition compte 86 000 mots de plus que l’édition anglaise précédente, soit 30 % de texte en plus. Mais c’est surtout dans la deuxième partie qu’il y a le plus de différences : notre édition augmente la quantité de texte de 90 %, dans cette partie.

Nous ne prétendons pas avoir fait un aussi bon travail que Trotsky l’aurait fait lui-même, s’il l’avait pu. Mais nous ressentions comme notre devoir historique de mettre à disposition des lecteurs des matériaux politiques inédits et d’un très grand intérêt. Comme pour les derniers écrits de Marx, Engels et Lénine, les derniers écrits de Trotsky sont d’une qualité exceptionnelle ; ils sont le produit d’un esprit mature et riche de l’expérience de toute une vie.

Il s’agit maintenant de mettre cet ouvrage à la disposition du plus grand nombre. Vous pouvez dès à présent commander notre édition anglaise sur wellredbooks.net. Une édition en espagnol sera disponible très prochainement. Nous avons engagé les démarches pour aboutir, dès que possible, à une version française. Ce sera une étape importante dans la défense des idées authentiques du marxisme.

[ 1] Scandalisée par ces « insertions », Natalia Sedova, la veuve de Trotsky, a tenté d’empêcher – par voie judiciaire – la publication de l’édition anglaise de Staline. En vain.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par artza » 05 Juin 2022, 07:27

J'ai sous le coude une édition française (éd. Grasset 1948) du "Staline" de Trotsky, traduite du russe par van Heijenoort qui fut secrétaire de Trotsky pendant sept ans !

Les traducteurs de cette nouvelle traduction-édition chez Syllepse précisent dans l'avertissement être "redevables à J. van Heijenoort dont la traduction est parue pour la première fois en 1948 aux éditions Grasset" (réédition 10/18 bien plus tard).

Une édition moins complète mais valable et encore recommandable.
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par Zorglub » 05 Juin 2022, 10:03

Merci com71 & artza.
J'apprécie la citation tirée de la préface à La tragédie de la révolution chinoise d’Harold Issacs sur l' "objectivité" des plumitifs de l'idéologie dominante.
Pour d'aucuns, Van Heijnoort en a tiré un livre... Sept ans auprès de Léon Trotsky (éd. Maurice Nadeau, pas encore lu).
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par Kéox2 » 06 Juin 2022, 13:27

J'avais bien apprécié le livre de Jean Van Heijenoort. Dans le même genre de livre témoignage, il y a aussi celui de Pierre Naville "Trotsky vivant"...
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par com_71 » 06 Juin 2022, 16:06

Et pour tous les retrouver, le révolutionnaire russe, le garde du corps matheux (mais pas que), la mondaine en recherche d'émotions, son mari muraliste stalinien qui s'égare quelques temps, le tueur peintre au pistolet - muraliste lui aussi..., il y a le bon roman de Barbara Kingsolver : (Un autre monde).
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par com_71 » 06 Juin 2022, 21:14

artza a écrit :J'ai sous le coude une édition française (éd. Grasset 1948) du "Staline" de Trotsky, traduite du russe par van Heijenoort qui fut secrétaire de Trotsky pendant sept ans !

Les traducteurs de cette nouvelle traduction-édition chez Syllepse précisent dans l'avertissement être "redevables à J. van Heijenoort dont la traduction est parue pour la première fois en 1948 aux éditions Grasset" (réédition 10/18 bien plus tard).

Une édition moins complète mais valable et encore recommandable.


Cela ne semble pas être l'avis de l'éditeur (en anglais) de ce nouveau Staline :
Alan Woods a écrit :...Il y a eu d’autres éditions du livre ; elles n’ont jamais été satisfaisantes et certaines ont même été confuses. En préparant ce projet, nous avons comparé les traductions d’autres versions, qui étaient toutes inadéquates pour différentes raisons. L’exemple le plus frappant est la version française publiée en 1948 sous la direction de Jean van Heijenoort, l’un des secrétaires de Trotsky dans les années 1930, en collaboration avec Alfred Rosmer, ami de toujours et collaborateur de Trotsky.

Van Heijenoort a affirmé être retourné aux originaux russes et c’est pour cette raison que beaucoup de gens ont été amenés à croire que l’édition française était plus authentique que la version anglaise de Charles Malamuth. Cependant, un examen attentif page par page du texte français a rapidement révélé que ce n’était pas le cas. Nous n’avons trouvé que quelques pages, dont la plupart étaient accessoires et peu intéressantes. Le reste a été traduit mot à mot à partir de la version anglaise de Malamuth. Van Heijenoort avait omis encore plus de mots de Trotsky que Malamuth. Des pages et des pages manquaient dans l’édition française.

Pour aggraver les choses, dans de nombreux endroits, les parenthèses que Malamuth avait placées autour de ses interpolations, pour les distinguer du texte de Trotsky, avaient été supprimées. Cela visait probablement à donner l’impression que les commentaires de Malamuth avaient été éliminés. La réalité est celle-ci : non seulement les commentaires de Malamuth sont conservés, mais il est impossible de voir où le texte de Trotsky se termine et où commence celui de Malamuth. Cela va bien au-delà de ce que peut se permettre un éditeur sur les travaux d’une autre personne. Ces mutilations et omissions arbitraires sont encore pires que le travail de Malamuth, s’il est possible de faire pire...


Par ailleurs A. Woods, comme beaucoup, n'a pas su résister à l'envie de "compléter-rajouter-actualiser" le livre de Trotsky qu'il éditait. On a ainsi droit à une postface "Un chef d'oeuvre marxiste" de quatre chapitres :
Le rôle de l'individu
Le "grand chef de guerre"
Paranoïa et régime totalitaire
Stalinisme sans Staline.

Il y a des maladies incurables dans le mouvement trotskyste.
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par artza » 07 Juin 2022, 08:48

"Un chef d'oeuvre marxiste..."!

Pour le lecteur qui en douterait Woods vient au secours de Trotsky !

Maintenant cette histoire est bien embrouillée.

JvH n'aurait pas traduit d'après le russe mais d'après la traduc anglaise, mentant à l'éditeur et trompant Rosmer et les lecteurs ?

De quoi et comment peuvent-être redevables envers JvH les "traducteurs"qui ont traduit quoi au fait le texte russe ou sa traduc anglaise?
artza
 
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Re: Alors cette cinquantième fête ?

Message par com_71 » 07 Juin 2022, 10:17

artza a écrit :JvH n'aurait pas traduit d'après le russe mais d'après la traduc anglaise, mentant à l'éditeur et trompant Rosmer et les lecteurs
C'est bien ce qu'affirme Woods.

artza a écrit :De quoi et comment peuvent-être redevables envers JvH les "traducteurs"qui ont traduit quoi au fait le texte russe ou sa traduc anglaise?
sa traduction anglaise, ils ne prétendent pas autre chose :
Commentaire de Syllepse a écrit :Co-édition M Éditeur (Montréal), Page 2 (Lausanne), Syllepse (Paris).
Cette édition a été réalisée et mise au point par un collectif composé de Philippe Antzenberger, Jonathan Baur, Marc Boulkeroua, Emmanuel Delgado Hoch, Colin Falconer, Michel Fénard, Patrick Le Tréhondat, Robi Morder, Irène Paillard, Mariana Sanchez, Christine Schmitt et Patrick Silberstein, à partir de celle parue à Londres aux éditions Wellred en 2016.

Leur avertissement d'être "redevables à J. van Heijenoort dont la traduction est parue pour la première fois en 1948 aux éditions Grasset" serait donc l'aveu que, tout nombreux qu'ils soient, ils se sont contentés pour de larges parties du livre de reproduire le texte français de J. van Heijenoort.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Nouvelle édition du "Staline" de Trotsky

Message par com_71 » 07 Juin 2022, 12:51

Introduction vidéo d'un collaborateur - Rob Sewell - de l'éditeur anglais (en anglais)
https://www.youtube.com/watch?v=0YVk-AVIrqo

Une interview de l'éditeur (en anglais)
https://www.youtube.com/watch?v=F-nsVjM7FmU
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Re: Nouvelle édition du "Staline" de Trotsky

Message par Gayraud de Mazars » 07 Juin 2022, 13:28

Salut camarades,

com_71 a écrit :Une interview de l'éditeur


Alan Woods que j'ai connu à la Tendance Marxiste Internationale...

Fraternellement,
GdM
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