par Gayraud de Mazars » 15 Juil 2025, 09:58
Salut camarades,
Le 14 Juillet symbole de la Révolution !
Entretien réalisé par Laureen Piddiu
Article du journal La Marseillaise
Guillaume Roubaud-Quashie est historien et chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS). Il est également le coauteur de l’ouvrage « Haro sur les Jacobins ! » (19 €, aux éditions PUF).
La Marseillaise : Quelle est l’histoire du 14 juillet ?
Guillaume Roubaud-Quashie : C’est d’abord une date qui reste un symbole de liberté et de libération à la suite d’une puissante initiative populaire. Le 14 juillet, on peut le prendre comme on veut, mais si on le fête, c’est d’abord parce qu’il symbolise à lui seul la révolution avec tout ce que ça veut dire d’initiative populaire, de puissance et de détermination, de mobilisation de masse avec un soutien puissant, ainsi qu’un changement d’époque. Alors, évidemment, dès qu’on commence à gratter, c’est plus compliqué que ça en réalité, dans la mesure où tout ne se passe pas le 14 juillet. Tout le monde a en tête, et à raison, la prise de la Bastille : le mouvement populaire qui s’empare d’une prison qui symbolisait à elle seule l’arbitraire royal. Mais, le 14 juillet, c’est aussi la fête de la Fédération de 1790.
Quelle a été l’utilisation politique de cette date au fil des siècles ?
G.R-Q. : Cette dimension, incandescente, révolutionnaire, on a parfois essayé de la domestiquer un peu, en mettant en avant en particulier ce 14 juillet 1790, la fête de la Fédération. Quand on fête cette date-là, on célèbre une révolution qui est encore un peu timide, du point de vue des résultats populaires. Une révolution qui a encore un roi, avec lequel on fait la concorde, qui n’a donc pas fait la république, ni le suffrage universel. Justement, ce sont les Jacobins et les figures comme Robespierre qui vont pousser cela. Car en 1790, ce n’est toujours pas l’abolition de l’esclavage et la série de grandes mesures sociales qui seront prises par la Révolution en 1793 et 1794. Le 14 juillet qu’on fête, notamment à partir de 1880, quand les Républicains sont majoritaires dans la Troisième République créée dix ans plus tôt, a une tonalité un peu désarmée, de concorde. Il y a beaucoup de tentatives pour essayer d’adoucir ce 14 juillet, mais à la fin, il reste toujours la référence à l’insurrection.
Les défilés militaires qui se déroulent, chaque année, ne sont-ils pas contradictoires avec l’esprit même de la Révolution ?
G.R-Q. : Le mouvement ouvrier a un rapport à la Révolution française qui est parfois un peu paradoxal. Pourquoi ? Parce qu’à partir du moment où cette Troisième république-là fête la Révolution française, dont elle s’estime l’héritière, mais qu’elle envoie l’armée dans les mouvements sociaux, ça finirait presque par rendre suspecte cette révolution aux yeux d’une partie du mouvement ouvrier. Celle-ci va considérer que c’est une révolution bourgeoise finalement, vis-à-vis de laquelle il n’y a pas de filiation. Une figure comme Jules Guesde pousse un peu dans cette direction-là en disant : « C’est la révolution bourgeoise et nous avons une autre révolution à faire qui n’a rien à voir avec celle-ci. » Jean Jaurès n’est pas dans cette ligne-là, lui va plutôt pousser dans l’idée que le socialisme, le communisme, sont des enfants de la Révolution française et qu’il s’agit de s’inscrire dans la continuité en poursuivant, en poussant jusqu’au bout et en prolongeant tout cela.
Le 14 juillet en tant que tel a une date de résurrection, du point de vue de ses noces avec le mouvement ouvrier, c’est 1935. On est en plein dans la mobilisation qu’on appelle le Front populaire, en réaction à la crainte du fascisme. À la suite des grandes conquêtes municipales des communistes la même année, il y a une très grande journée de mobilisation, politique, progressiste et ce n’est pas du tout par hasard que cette journée a été choisie. À partir de là, on peut considérer que le mouvement ouvrier, les socialistes, les communistes, plus encore, renouent les liens avec la Révolution et en particulier le 14 juillet.
En 1953, le 14 juillet est un grand moment de mobilisation, dans lequel les communistes sont très investis, la CGT également. Il se déroule en pleine Guerre froide, dans un contexte de tensions coloniales. Il va y avoir une répression assez forte, qui va être à l’origine d’un certain nombre de morts. C’est à Paris qu’un certain nombre d’Algériens en l’occurrence, qui étaient mobilisés, vont être tués. Donc, le 14 juillet, on ne peut pas l’enfermer dans le côté défilé militaire.
Comment les forces progressistes font vivre cet héritage ?
G.R-Q. : On a l’impression que, depuis le bicentenaire, la gauche a l’air de s’emparer du 14 juillet avec un peu moins de force. Peut-être parce que l’horizon révolutionnaire a tout simplement moins d’importance dans la gauche d’aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Les socialistes, par exemple, se revendiquent moins volontiers de la révolution que ce qu’ils pouvaient dire dans les années 1930, 1940, 1950. Pour autant, dans la situation actuelle, on sent quand même que, dans le peuple de gauche, la Révolution garde une place tout à fait particulière dans les références de notre pays. À certains égards, elle est un peu notre identité nationale. L’identité de la France, c’est la Révolution.
Le président de la République prononce une allocution télévisée. Quel est le symbole derrière cela ?
G.R-Q. : Il est très paradoxal de constater que pour un Français moyen depuis au moins 40 ans, le 14 juillet, c’est l’allocution du Président et un défilé militaire. La Révolution française, elle s’est d’abord faite contre la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme. L’armée, ce n’est pas complètement illogique, dans la mesure où la Révolution, c’est la fin des mercenaires et de toutes ces armées qui étaient constituées au profit du roi. Et il y a l’idée, évidemment importante, que c’est le peuple en armes lui-même qui assure sa propre défense, un peu dans la logique des cités antiques. Donc, ce n’est pas complètement absurde. Mais, à partir du moment où l’armée n’est pas toujours la continuation du pouvoir populaire au sens strict, ça peut donner une tonalité très conservatrice.
Pourquoi avoir décidé de consacrer votre livre aux Jacobins ?
G.R-Q. : Notre république et une partie de ses horizons de progrès, aujourd’hui, ont leur part de nouveautés, mais elles ont quand même une part d’héritage important qui les rattache à ces moments fondateurs de la vie politique française que sont ces dernières années du XVIIIe siècle. L’histoire des Jacobins vaut mieux que les caricatures qui en sont faites. Les révolutionnaires d’aujourd’hui ont toujours intérêt à connaître les révolutionnaires d’hier. Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, le 14 juillet se retrouve un peu vidé ? La Révolution, ce n’est pas que la liberté par rapport à l’arbitraire royal, auquel cas on ne fait que célébrer des choses qui sont finies, en espérant qu’elles ne reviennent pas. Il y a aussi, dans la Révolution, toute une dimension sociale et démocratique qui est fondamentale et qui, parfois, se retrouve un petit peu écrasée par ce symbole de la Bastille. Ces questions, elles sont posées dès 1789 et vont l’être avec de plus en plus de force, notamment avec l’appui et le relais des Jacobins. De ce point de vue-là, les difficultés auxquelles ils se sont heurtés et les revendications qu’ils ont portées sont intéressantes.
« Il y a beaucoup de tentatives pour essayer d’adoucir ce 14 juillet, mais à la fin, il reste toujours la référence à l’insurrection. »
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."