Hommage à Robert Cruau

Salut camarades,
Hommage à Robert Cruau, abattu par les nazis le 6 octobre 1943 à Brest.
Article publié sur le site Aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/10/06/hommage ... 3-a-brest/
Il y a aujourd’hui 82 ans que le résistant internationaliste nantais Robert Cruau était abattu à Brest par la Gestapo. Huit décennies après sa mort, Robert Cruau reste pour beaucoup un inconnu. Il fut pourtant un militant ouvrier internationaliste exceptionnel. Son histoire exemplaire reste à écrire.
Quelques éléments bibliographiques
Robert Cruau est né le 12 mars 1921 dans la petite commune de Fégréac, au nord de la Loire-Inférieure. Son père, Louis Cruau, était facteur des postes, et sa mère Louise Cruau, née Cruaud, couturière (1). Quatre années plus tard, le 10 février 1925, naquit, également à Fégréac, son unique frère Serge Cruau. Très jeune Serge Cruau fut frappé par une méningite qui entraîna une paralysie totale. Il décéda à Nantes le 7 janvier 1945.
Louis Cruau est décédé à Fégréac le 11 juillet 1933, à l’âge de 51 ans. Son épouse Louise se retrouva alors seule avec ses deux fils, Robert a 12 ans, et Serge, paraplégique, 8 ans. Elle quitta le bourg de Fégréac pour Nantes, où elle loua un petit appartement en rez-de-chaussée au 38, rue de la Distillerie, un quartier très populaire sur les bords de l’Erdre, à deux pas de la Préfecture.
En 1936, Robert Cruau, 15 ans, se trouva de facto au contact des manifestations du Front Populaire qui se rassemblaient ou se terminaient à proximité de la Préfecture. Est-ce là le point de départ de son engouement pour la lutte révolutionnaire ? Nous n’en savons rien, mais c’est une hypothèse plausible d’autant plus que c’est en 1936 qu’il fit la connaissance d’un militant trotskyste, fils de postier muté à Nantes, Serge Tuauden.
A 16 ans, Robert Cruau est embauché comme facteur aux Chèques postaux de Nantes. C’est aussi cette année-là qu’il rejoignit les Auberges de jeunesse où il rencontra Yvan Craipeau qui l’initia au marxisme.
Militant de la IVème internationale à 17 ans, Robert Cruau se retrouva le seul militant en Loire-Inférieure après la mobilisation de son camarade Serge Tuauden. Il militait alors activement contre la guerre avec ses amis des Jeunesses Socialistes Ouvrières et Paysannes.
Dès l’invasion des troupes du Reich et l’occupation de Nantes en juin 1940, il devint de fait le pivot des Comités pour la IVème internationale réussissant en quelques mois à mettre sur pied trois cellules clandestines regroupant douze militant·e·s : la cellule de Nantes dont il était l’animateur, la cellule de la Durantière Chantenay avec le docker Sylvain Audrain, la cellule de Couëron avec son ami Roger Tual.
Outre la diffusion de La Vérité, journal national clandestin, les jeunes révolutionnaires diffusèrent aussi localement le bulletin Bretagne Rouge réalisé par le militant breton Alain Le Dem. Au retour à Nantes de Serge Tuauden, au second semestre 1942, les comités pour la IVème internationale se sont développés significativement avec notamment l’adhésion à la IVème internationale des deux frères Berthome, Georges et Henri.
Dans les premières semaines de 1943, les militantes et militants du nouveau Parti Ouvrier Internationaliste – constitué lors du congrès des 26 et 27 décembre 1942 – décidèrent de mettre en place une intervention en direction des soldats allemands. De par sa détermination et sa bonne maîtrise de l’allemand – qu’il travailla avec Jean-René Chauvin réfugié à Nantes au second semestre 1942, Robert Cruau fut désigné responsable du « travail allemand ».
Début avril 1943, cinq des responsables locaux de la IVème internationale quittèrent Nantes pour Brest, prétextant la nécessité d’échapper au STO. Robert Cruau – devenu Roger-Albert Cosquer – y fut confirmé comme responsable du travail en direction des soldats allemands, en lien avec Martin Monath, militant juif allemand dirigeant de la IVème internationale.
Connu comme Max par les allemands, et secondé par son camarade Georges Berthome, Robert Cruau multiplia les contacts avec des « travailleurs sous l’uniforme » au point qu’un groupe d’une dizaine de soldats allemands était constitué lors de la diffusion du premier numéro d’Arbeiter und Soldat en juillet 1943.
Robert Cruau fut, dans le même temps, en première ligne, pour rédiger et diffuser le bulletin LE FRONT OUVRIER, organe clandestin des ouvriers brestois. On retrouve sa signature, Pleton, sur plusieurs articles et sur le texte de l’exposé expliquant le pourquoi de ce nouveau périodique – dont huit numéros seront édités et diffusés auprès des travailleurs de l’Arsenal entre juin et octobre 1943.
Particularité remarquable de ce bulletin ouvrier, tous les numéros contenaient des articles, parfois écrits en allemand que Robert Cruau était le seul militant du groupe local à maîtriser – soulignant l’importance de la fraternisation entre ouvriers et travailleurs sous l’uniforme.
Robert Cruau fut à l’initiative de la publication par les militants allemands de Brest de leur propre bulletin clandestin « Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen » dont quatre numéros furent édités et diffusés à Brest entre août et septembre 1943.
Suite à une trahison, la Gestapo et la Police militaire allemande mirent fin à cette expérience unique de fraternisation contre le nazisme. A leur retour de Quimper, où s’était tenue une réunion clandestine avec Marcel Baufrère, Robert Cruau et Georges Berthome furent arrêtés à la gare de Brest le mercredi 6 octobre 1943 et transférés au siège brestois de la Gestapo à Bonne Nouvelle.
Profitant d’un moment de moindre attention de ses gardiens, Robert Cruau tenta de s’échapper. Il fut abattu de plusieurs balles. Transféré par ses bourreaux à l’hôpital de Brest, il y mourut peu de temps après son arrivée (2) .
Plusieurs dizaines de militantes et militants de la IVème internationale furent arrêtés dans les rafles qui suivirent les arrestations de Robert Cruau et Georges Berthome. Sans le moindre procès, une quinzaine de ces militants furent déportés, les femmes à Ravensbrück, les hommes à Buchenwald. Les soldats allemands furent tous fusillés ou envoyés sur le front de l’Est.
A la libération, la dépouille de Robert Cruau fut transférée au cimetière de la Chauvinière à Nantes, carré des fusillés, où elle repose désormais.
François Preneau, le 05 octobre 2025.
Notes
1- Louis Cruau est né à Oudon, Loire-Inférieure, dans une famille de paysans, le 7 octobre 1882. Louise Cruaud est né à Belligné, Loire-Inférieure, le 31 octobre 1890. Son père était charron. Elle est décédée à Nantes 16 mars 1966. Louise Cruaud et Louis Cruau se sont mariés à Belligné, Loire-Inférieure, le 21 octobre 1911.
2- Dans son témoignage recueilli le 25 janvier 1945, la religieuse infirmière qui accueillit Robert Cruau à l’hôpital de Brest, salle St-Côme, atteste » qu’il nous fut amené le 6 octobre 1943 par les allemands. Blessé par balles poumon et cœur. Il n’avait à son arrivée aucun papier d’identité sur lui. Les Allemands nous dirent seulement ce nom : Cosquer Roger… Le défunt a été inhumé avec les vêtements qu’il avait sur lui à son arrivée à l’hôpital « . (document SHD Caen)
Hommage à Robert Cruau, abattu par les nazis le 6 octobre 1943 à Brest.
Article publié sur le site Aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/10/06/hommage ... 3-a-brest/
Il y a aujourd’hui 82 ans que le résistant internationaliste nantais Robert Cruau était abattu à Brest par la Gestapo. Huit décennies après sa mort, Robert Cruau reste pour beaucoup un inconnu. Il fut pourtant un militant ouvrier internationaliste exceptionnel. Son histoire exemplaire reste à écrire.
Quelques éléments bibliographiques
Robert Cruau est né le 12 mars 1921 dans la petite commune de Fégréac, au nord de la Loire-Inférieure. Son père, Louis Cruau, était facteur des postes, et sa mère Louise Cruau, née Cruaud, couturière (1). Quatre années plus tard, le 10 février 1925, naquit, également à Fégréac, son unique frère Serge Cruau. Très jeune Serge Cruau fut frappé par une méningite qui entraîna une paralysie totale. Il décéda à Nantes le 7 janvier 1945.
Louis Cruau est décédé à Fégréac le 11 juillet 1933, à l’âge de 51 ans. Son épouse Louise se retrouva alors seule avec ses deux fils, Robert a 12 ans, et Serge, paraplégique, 8 ans. Elle quitta le bourg de Fégréac pour Nantes, où elle loua un petit appartement en rez-de-chaussée au 38, rue de la Distillerie, un quartier très populaire sur les bords de l’Erdre, à deux pas de la Préfecture.
En 1936, Robert Cruau, 15 ans, se trouva de facto au contact des manifestations du Front Populaire qui se rassemblaient ou se terminaient à proximité de la Préfecture. Est-ce là le point de départ de son engouement pour la lutte révolutionnaire ? Nous n’en savons rien, mais c’est une hypothèse plausible d’autant plus que c’est en 1936 qu’il fit la connaissance d’un militant trotskyste, fils de postier muté à Nantes, Serge Tuauden.
A 16 ans, Robert Cruau est embauché comme facteur aux Chèques postaux de Nantes. C’est aussi cette année-là qu’il rejoignit les Auberges de jeunesse où il rencontra Yvan Craipeau qui l’initia au marxisme.
Militant de la IVème internationale à 17 ans, Robert Cruau se retrouva le seul militant en Loire-Inférieure après la mobilisation de son camarade Serge Tuauden. Il militait alors activement contre la guerre avec ses amis des Jeunesses Socialistes Ouvrières et Paysannes.
Dès l’invasion des troupes du Reich et l’occupation de Nantes en juin 1940, il devint de fait le pivot des Comités pour la IVème internationale réussissant en quelques mois à mettre sur pied trois cellules clandestines regroupant douze militant·e·s : la cellule de Nantes dont il était l’animateur, la cellule de la Durantière Chantenay avec le docker Sylvain Audrain, la cellule de Couëron avec son ami Roger Tual.
Outre la diffusion de La Vérité, journal national clandestin, les jeunes révolutionnaires diffusèrent aussi localement le bulletin Bretagne Rouge réalisé par le militant breton Alain Le Dem. Au retour à Nantes de Serge Tuauden, au second semestre 1942, les comités pour la IVème internationale se sont développés significativement avec notamment l’adhésion à la IVème internationale des deux frères Berthome, Georges et Henri.
Dans les premières semaines de 1943, les militantes et militants du nouveau Parti Ouvrier Internationaliste – constitué lors du congrès des 26 et 27 décembre 1942 – décidèrent de mettre en place une intervention en direction des soldats allemands. De par sa détermination et sa bonne maîtrise de l’allemand – qu’il travailla avec Jean-René Chauvin réfugié à Nantes au second semestre 1942, Robert Cruau fut désigné responsable du « travail allemand ».
Début avril 1943, cinq des responsables locaux de la IVème internationale quittèrent Nantes pour Brest, prétextant la nécessité d’échapper au STO. Robert Cruau – devenu Roger-Albert Cosquer – y fut confirmé comme responsable du travail en direction des soldats allemands, en lien avec Martin Monath, militant juif allemand dirigeant de la IVème internationale.
Connu comme Max par les allemands, et secondé par son camarade Georges Berthome, Robert Cruau multiplia les contacts avec des « travailleurs sous l’uniforme » au point qu’un groupe d’une dizaine de soldats allemands était constitué lors de la diffusion du premier numéro d’Arbeiter und Soldat en juillet 1943.
Robert Cruau fut, dans le même temps, en première ligne, pour rédiger et diffuser le bulletin LE FRONT OUVRIER, organe clandestin des ouvriers brestois. On retrouve sa signature, Pleton, sur plusieurs articles et sur le texte de l’exposé expliquant le pourquoi de ce nouveau périodique – dont huit numéros seront édités et diffusés auprès des travailleurs de l’Arsenal entre juin et octobre 1943.
Particularité remarquable de ce bulletin ouvrier, tous les numéros contenaient des articles, parfois écrits en allemand que Robert Cruau était le seul militant du groupe local à maîtriser – soulignant l’importance de la fraternisation entre ouvriers et travailleurs sous l’uniforme.
Robert Cruau fut à l’initiative de la publication par les militants allemands de Brest de leur propre bulletin clandestin « Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen » dont quatre numéros furent édités et diffusés à Brest entre août et septembre 1943.
Suite à une trahison, la Gestapo et la Police militaire allemande mirent fin à cette expérience unique de fraternisation contre le nazisme. A leur retour de Quimper, où s’était tenue une réunion clandestine avec Marcel Baufrère, Robert Cruau et Georges Berthome furent arrêtés à la gare de Brest le mercredi 6 octobre 1943 et transférés au siège brestois de la Gestapo à Bonne Nouvelle.
Profitant d’un moment de moindre attention de ses gardiens, Robert Cruau tenta de s’échapper. Il fut abattu de plusieurs balles. Transféré par ses bourreaux à l’hôpital de Brest, il y mourut peu de temps après son arrivée (2) .
Plusieurs dizaines de militantes et militants de la IVème internationale furent arrêtés dans les rafles qui suivirent les arrestations de Robert Cruau et Georges Berthome. Sans le moindre procès, une quinzaine de ces militants furent déportés, les femmes à Ravensbrück, les hommes à Buchenwald. Les soldats allemands furent tous fusillés ou envoyés sur le front de l’Est.
A la libération, la dépouille de Robert Cruau fut transférée au cimetière de la Chauvinière à Nantes, carré des fusillés, où elle repose désormais.
François Preneau, le 05 octobre 2025.
Notes
1- Louis Cruau est né à Oudon, Loire-Inférieure, dans une famille de paysans, le 7 octobre 1882. Louise Cruaud est né à Belligné, Loire-Inférieure, le 31 octobre 1890. Son père était charron. Elle est décédée à Nantes 16 mars 1966. Louise Cruaud et Louis Cruau se sont mariés à Belligné, Loire-Inférieure, le 21 octobre 1911.
2- Dans son témoignage recueilli le 25 janvier 1945, la religieuse infirmière qui accueillit Robert Cruau à l’hôpital de Brest, salle St-Côme, atteste » qu’il nous fut amené le 6 octobre 1943 par les allemands. Blessé par balles poumon et cœur. Il n’avait à son arrivée aucun papier d’identité sur lui. Les Allemands nous dirent seulement ce nom : Cosquer Roger… Le défunt a été inhumé avec les vêtements qu’il avait sur lui à son arrivée à l’hôpital « . (document SHD Caen)