par Catharos » 29 Jan 2004, 21:10
Moi je suis pour l'art scatologique : le génie était MANZONI
je prefère celui qui mettait sa merde en boite... C'était qui déjà ? C'est c'est du pur... L'art de la matière...
Je cite
Piero Manzoni est mort jeune (trente ans). Ceux qui meurent jeunes prennent facilement des allures de mythes ; Marylin ne deviendra jamais vieille et moche. Pour un artiste, la mort sous-entend une oeuvre inachevée, ce qui confère à l'oeuvre en question encore plus d'intérêt pour différentes raisons : D'abord, l'aspect tragique sert souvent de caution de qualité (la Tragédie est un genre classique) et l'humain rattrapé par la mort fait tout de suite plus sérieux...
(on a jamais autant reconnu Coluche que depuis qu'il est mort). Le petit "fouteur de merde" atteint donc en mourant une dimension tragique et une garantie de sérieux ; le côté Till l'espiègle s'estompe, comme si la mort donnait plus de crédibilité aux pieds-de-nez !
Mort le 6 février 63, son travail est réalisé sur six ans, à un moment où la notion d'avant garde devient consciente et militante. Son travail et celui des nouveaux réalistes sont presque simultanés, et on peut penser à plusieurs d'entre eux.
La production de Piero Manzoni comprend plusieurs types d'oeuvres. Les plus "plastiques" sont les Achromes, "tableaux blancs" d'assez petits formats. La rencontre de Manzoni et de Klein a bien eu lieu, et certainement ils ont confronté leurs recherches monochromatiques. Manzoni veut aller plus loin que le bleu de Klein. Son travail sur les Achromes ( a privatif, tableaux sans couleur) est aussi une recherche sur l'infini, mais sur l'infini de la toile, du tableau.
"L'infini est rigoureusement monochrome, ou mieux encore, sans couleur" dit-il.
Ses Achromes sont donc des tableaux entièrement blancs, constitués de matériaux déjà blancs par eux mêmes, sans adjonction de signes picturaux, sans recherches formelles (encore que leur format carré soit déjà un peu connoté, comment ne pas penser au Carré blanc sur fond blanc de Malévitch...), sans signes plastiques autres que ceux des matériaux utilisés. Bien sûr, il y a du ready made là dedans.
La somme des Achromes fait un peu penser à Arman, dans la répétition, l'accumulation de blancs différents. Ce n'est pas du tout la démarche d'Arman qui rend saisissant par juxtaposition, mais l'idée de l'inventaire est en l'air.
Son travail sur la ligne (qui est au dessin ce que ses Achromes sont à la peinture) est aussi rigoureux, et aussi radical. Une ligne ne doit rien représenter, elle doit être ligne, point c'est tout. D'où sa "ligne de 7200 mètres, tracée en continu sur un rouleau dévideur, et enfermée dans un container portant l'énoncé du contenu : une ligne de 7200 mètres de long !
Il réalise aussi des performances, pendant lesquelles il signe des femmes nues.
Les femmes sont-elles à voir comme des oeuvres préexistantes, des ready mades qu'il découvrirait et s'approprierait par la signature ? On pense encore à Klein et à ses performances dans lesquelles les femmes jouaient le rôle de pinceaux vivants, mais aussi de toiles, de sujets, d'objets, d'oeuvres vivantes... Mais sur "ses" femmes, Manzoni ne met pas de couleurs (a-chrome, toujours). Dans l'acte de signature, on pense aussi à Ben, autre grand espiègle de l'art du vingtième siècle, mais de manière plus volontairement comique que Manzoni. En effet, un temps Ben se propose de signer tout ce qui se présente, même les oeuvres d'autres peintres. (là encore, ready-made)
Manzoni travaille aussi sur les socles, donc sur la sculpture. Le plus fameux est un socle de la terre, un cube sur lequel figure à l'envers l'inscription : "SOCLE DU MONDE". C'est un socle de statue, sur lequel il n'y a pas de statue, il n'y a rien d'autre que l'inscription qui lui donne son sens (ou ses sens puisqu'il y a inversion haut/bas, et que c'est de cette inversion qu'apparaît le sens d'adéquation entre la forme et le fond, le sens signifié par la sculpture de Manzoni). Il réalise alors un joli paradoxe : Sa sculpture minimaliste (un "bête" cube qu'on peut rapprocher des abstractions géométriques) représente non pas une sculpture, mais ce qui sert à montrer une sculpture, à la mettre en valeur. Par la pirouette de l'inscription, il renverse le spectateur et la terre devient elle même un ready made, l'oeuvre d'art totale qui s'intègre à son socle. Ce n'est pas seulement une plaisanterie, mais c'en est une aussi. Il est assez marrant de se laisser piéger à renverser sa vision, à essayer de visualiser le "monde à l'envers" et la terre reposant toute entière sur ce socle comme une statue dans l'espace. On peut alors penser qu'avec ce "SOCLE DU MONDE", il atteint effectivement un peu cet infini que Yves Klein cherchait et trouvait dans le bleu. Le côté comique et le côté vertigineux cohabitent dans la même oeuvre. On peut aussi penser que cette forme d'intervention artistique est un parasitage du réel. Plusieurs regards sont possibles sur le travail de Manzoni. Sa production de sculpteur prend aussi la forme d'oeufs, forme originelle, parfaite, la forme du "déjà né" et du "préexistant" en même temps... Un peu prise de tête, peut-être, mais pas tellement si on y réfléchit. Sur l'oeuf, l'empreinte digitale d'un pouce, comme la signature, la trace de l'appropriation, le geste du sculpteur. On pense alors au pouce de César (encore un apparenté au nouveau réalisme!) qui fait du pouce du sculpteur (l'outil à repousser l'argile du modelage) le sujet de sa sculpture. Il est manifeste que le travail de Manzoni a une dimension conceptuelle non négligeable, même si, à l'époque, l'idée d'un Art Conceptuel n'est pas encore énoncée, et si il n'existe pas encore une production répertoriée sous cette appellation. L'oeuvre la plus connue de Manzoni est bien entendu celle qui choque le plus :
"Merde d'artiste en boite".
Ce sont des boites de conserve avec étiquette en plusieurs langues : Merde d'artiste. Poids net : 30gr, conservé au naturel, etc.
Manzoni prouve si besoin qu'on peut toujours aller plus loin, et avec cette oeuvre, il rejoint immédiatement les plus grands au panthéon des iconoclastes. Ca peut évidemment faire bondir les "amateurs de belles choses" qui pensent être "amateurs d'art".
De qui se moque-t-on ? Alors là c'est pousser la provocation un peu loin! C'est un escroc qui veut nous faire croire que sa merde c'est de l'art! Ils ne savent plus quoi inventer!
On peut imaginer une tonne d'exclamations scandalisées devant cette "oeuvre". La colère étant la réaction la plus souvent exprimée. Et c'est assez normal, mais de quoi s'agit-il ? Piero Manzoni "met en image" une réflexion sur l'art qui est multiforme et qui va assez loin. Il y a tout d'abord dénonciation de l'art produit de consommation, de l'art "manufacturé", marchandise, dénonciation du système de vente et du marché, certainement. L'idée de conserve (conservation, conservateur...) est aussi à creuser. Ca rappelle un peu les phrases ravageuses de Marinetti sur les musées et dans le même temps, c'est contemporain des déclarations du Pop' Art (plus exactement de Warhol) sur les grands magasins qui sont les musées de notre époque. Ce n'est donc pas quelque chose de tout à fait gratuit. On ne peut pas évacuer totalement l'aspect provocateur de l'oeuvre, c'est vrai que sa lecture premier degré en fait quelque chose de choquant, mais le choc lui même est un fait artistique fréquent. Et le sens implicite de la merde d'artiste en boite n'est pas très difficile à mettre à jour :
Manzoni affirme que tout ce que nous sommes capables de produire, c'est de la merde.
Que tout ce que nous savons faire c'est de prendre dans le réel, de digérer et de transformer en merde! C'est une parabole assez peu joyeuse de l'Art et de l'impuissance de l'homme (On a vu par ailleurs comment la création artistique pouvait être une compensation de l'incapacité masculine à donner la vie : Voici la fille née sans mère, de Francis Picabia). Manzoni met donc en forme, en image, une pensée, une réflexion sur l'humain et ses limites, et en cela, sa proposition s'inscrit véritablement dans l'Art. En d'autres temps, sous une autre forme, quelqu'un avait dit à peu près la même chose : Tout est vanité. Vanitas, vanitatum, et omnia vanitas... (J'ai vérifié dans "les pages roses", c'est dans l'écclésiaste.)
Et tout le monde y avait vu une grande profondeur de réflexion. Il y a dans la provocation de Manzoni ce même type de grandeur, d'universalité pessimiste. Ce n'est donc pas un simple petit amuseur qui joue à choquer les bourgeois. Et qu'il y ait ou non de la merde dans la boite ne présente aucun intérêt, ne fait aucune différence!