la valeur de l'oeuvre d'art

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par interluttant » 27 Jan 2004, 20:25

Vous tous, qui avez les idées bien claires sur l'économie marxiste, que pensez vous de la valeur de l'oeuvre d'art dans la société capitaliste ?
En général, beaucoup de camarades considèrent que l'oeuvre d'art n'a pas de valeur d'échange, car "il n'y a pas de temps de travail socialement necessaire à la production d'un tableau de Rembrandt". Pour ma part, je pense que la question ne peut pas être tranchée, car l'oeuvre d'art est à la limite de la théorie marxiste de la valeur.

Il est exact que de nos jours, il n'y a pas de temps de travail socialement nécessaire pour produire un tableau de Rembrandt, car Rembrandt est mort et si les artistes actuels travaillent, il ne produisent rien de semblable à un tableau de Rembrandt.
La question de la valeur actuelle d'un tableau de Rembrant est assez simple : le prix d'un tableau de Rembrand est purement spéculatif, de même que celui de n'importe quel objet dont on ne dispose qu'en quantité limitée. Ce tableau n'a donc pas de valeur, je pense que tout le monde tombera d'accord là-dessus.

La question de la valeur d'échange de l'oeuvre d'art n'a donc d'interêt qu'à une époque donnée, au moment ou les artistes travaillent et mettent en même temps leur production sur le marché. Ma question est donc : comment se faisait l'échange de tableaux contre de l'argent du temps de Rembrandt ? Ou bien une autre : comment sont échangées actuellement les oeuvres entre les artistes qui produisent actuellement et leur public.

Pour poser le problème correctement, il faut se débarrasser d'une vision trop individualisée de la production artistique, c'est à dire d'une vision bourgeoise. La bourgeoisie fait en général l'Histoire par les individus, et et elle fait de même avec l'histoire de l'art.
Le travail d'un artiste est aussi un travail social, c'est à dire que les artistes se regardent les uns les autres au moment ou ils produisent. C'est seulement avec le temps que se dégagent des individus (et c'est à ce moment-là que les oeuvres perdent tout rapport avec le travail dont elle sont le produit). A l'époque de Rembrandt, Rembrandt n'était pas le seul à peindre, et de nos jours, personne n'est d'accord pour dire lequel parmis les artistes professionnels est le Rembrand de notre temps.
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Message par Jacquemart » 27 Jan 2004, 22:52

Quitte à ne pas te surprendre, je te confirme qu'une oeuvre d'art ne possède pas de "valeur", du moins au sens précis que l'on peut donner à ces deux mots.
Ce n'est pas tant qu'il y ait ou non du "travail socialement nécessaire qui...", car il ne faut pas prendre l'effet pour la cause, et la substance d'une chose pour sa mesure.
Non, plus simplement, la "valeur" est une catégorie qui n'a de sens que pour les marchandises, c'est-à-dire pour des biens (matériels ou immatériels) qui sont produits et reproduits par la société. Pour qu'il y ait valeur, il faut que certains biens soient considérés par la société comme suffisament semblables pour faire l'objet d'une évaluation unique, indépendamment des conditions dans lesquelles ils ont été produits. Pour parler le jargon des économistes marxistes, il faut qu'existe une homogénéité des biens, afin que la concurrence intra-branche forge une valeur de marché à partir des valeurs individuelles créées par les différents producteurs.
L'art ne peut répondre à ce critère que s'il s'agit d'un art "en série", où l'oeuvre est considérée par la société comme équivalente à d'autres oeuvres du même acabit, indépendamment de leurs créateurs. Ce n'est donc plus vraiment de l'art, même si on peut toujours jouer sur les mots ou chercher des cas limite.
En revanche, si tout dans la société capitaliste n'a pas de "valeur", au sens marxiste du terme, tout a un prix (même l'honneur, disait Marx). Certains biens non reproductibles sont néanmoins suffisament homogènes pour que ce prix soit socialement déterminé, et qu'il obéisse à des lois (la terre, les mines, etc.). Et certains biens sont trop particuliers pour avoir un prix déterminé par des lois.
Quant à ton dernier argument, il est mal posé. La question n'est pas que l'artiste - et son travail - soient le produit de la société. Car tout est, directement ou indirectement, le produit de la société, et tout n'est pas une marchandise pour autant (par exemple, les prestations des domestiques). La bonne question est : même si la société (les acheteurs de tableaux) ne savent pas qaujourd'hui qui est le futur Rembrandt, considèrent-ils pour autant qu'un tableau de X vaut un tableau de Y, et même qu'un tableau de X vaut un autre tableau de X ?
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Message par Stanislas » 28 Jan 2004, 13:31

(interluttant @ mardi 27 janvier 2004 à 20:25 a écrit :En général, beaucoup de camarades considèrent que l'oeuvre d'art n'a pas de valeur d'échange, car "il n'y a pas de temps de travail socialement necessaire à la production d'un tableau de Rembrandt". Pour ma part, je pense que la question ne peut pas être tranchée, car l'oeuvre d'art est à la limite de la théorie marxiste de la valeur.

Si justement, c'est au coeur de la problématique " marxiste ", ne serait-ce que par la valeur d'échange qui lui est arbitrairement attribuée. A ce titre, il existe donc un marché de l'art, tout comme il existe d'autres marchés de biens et services. Le fait de considérer la production artistique selon le modèle (mal compris ?) du Capital : salariat/plue-value/valeur marchande est mécaniste. Reste la question de la valeur d'usage de l'oeuvre d'art. Un tableau de Monet n'a pas de valeur d'usage au sens traditionnel du terme. Reste aussi que le travail de l'artiste n'est pas mesurable, il n'a de sens que dans la valeur subjective qu'on lui attribue, mais cela reste bel et bien une valeur marchande. Van Gogh peignait une toile en quelques heures ou quelques jours, ce qui n'empêche pas que ses peintures valent aujourd'hui des sommes astronomiques. Il y a déconnexion entre " temps de travail " et " valeur marchande ", pour un affectif idéologique marchand de la " rareté ".

Marx avait par ailleurs developpé cela de façon générique (sans s'attacher à l'art en pariculier, mais en défrichant le general intellect et la production immatérielle) dans les Grundrisse, et ce fut repris dans les travaux de L'Ecole de Francfort (Theodor Adorno et Walter Benjamin en particulier).

Enfin :
(Lazzarato et la nébuleuse Négri a écrit :La brillante application du concept marxien du fétichisme de la marchandise [ note perso : Chap. I du Capital ] aux thématiques de la production culturelle, du jeu, de l'urbanisme, de la vie quotidienne ou encore de la communication et des mass-media renouvelle la théorie de Marx en même temps qu'elle rend définitivement risibles les dogmes sclérosés du "marxisme" (de ses penseurs et de ses partis).
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Message par Louis » 28 Jan 2004, 18:21

je confirme : l'art est au centre d'un "marché de l'art" et ce n'est guere nouveau ! Mais l'art tend a etre remplacé par la culture dans le sens ou celle ci est au centre "d'industries culturelles" ou la problematique de la valeur a son sens marxiste tout a fait classique : pas de différence pour bouygue entre produire une maison de maçon ou une télévision de merde !
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Message par Stanislas » 28 Jan 2004, 18:32

Comme quoi, Louis-Christ on est (comme souvent, désolé :( ) d'accord : la culture est une marchandise comme une autre. Ce que confirme d'ailleurs ton copain Husson de façon fort pertinente et sur un champ plus large dans la critique du Capitalisme cognitif. (je sais plus si c'est dans contretemps ou ailleurs).

Alexis-Stan :w00t:
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Message par Jacquemart » 28 Jan 2004, 22:01

Ouais. N'empêche que les mots doivent normalement servir à se repérer, et non à tout embrouiller. Si on dit que les chiens, ce sont des chats qui aboient et qui n'ont pas de griffes rétractiles, on a peut -être fait une jolie acrobatie verbale, mais on na pas aidé pas grand'monde à s'y retrouver.
Oui, il y a un "marché de l'art". Il y a aussi un "marché de l'argent", et même un marché des joueurs de foot (en hiver, il s'appelle le petit marché). Cela ne prouve qu'une seule chose, c'est qu'en régime capitaliste, tout - ou presque - s'achète et se vend. Mais cela s'arrête là.
Ainsi, l'oeuvre d'art - unique par définition - aurait selon Stanislas une "valeur d'échange". Si c'est pour dire qu'elle a un prix, c'est aller chercher un mot compliqué - et inadapté - pour rien. Si c'est pour suggérer qu'il s'agit d'une marchandise, c'est faux. Alors, cela sert à quoi ?
Quant à prétendre qu'un tableau de Monet n'aurait pas de valeur d'usage, c'est une bêtise. S'il n'en avait pas, il serait à la décharge, pas dans un musée ou une collection privée.
Quant à la "critique du capitalisme cognitif" (??? pourquoi ??? il y a un capitalisme a-cognitif ???), ou à "l'affectif idéologique marchand de la rareté", je propose d'ouvrir un fil consacré au constructions verbales vides de sens pour en discuter.
Car cela ne relève en aucun cas de l'économie politique.
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Message par Louis » 28 Jan 2004, 22:46

Donc, il y a bien un "marché de l'art" mais l'oeuvre d'art n'est pas une "marchandise" au sens marxiste étroit du terme : sa valeur d'échange n'est pas égale au "temps de travail socialement nécessaire a sa production"...

Cette qualité est d'abord isssu du fait que "l'oeuvre d'art est unique par définition". Mais cette unicité elle meme est problématique : d'abord parce que elle est mise a mal par le développement de nouvelles techniques (voir quand meme a ce sujet, "l'oeuvre d'art au temps de sa reproduction mécanisée" de Walter benjamin, qui explore les conséquence esthétiques et politiques de cette perte d'unicité ("d'aura" dit il), mais aussi plus fondamentalement par une évolution de l'art lui meme et des artistes, qui nie toute notion "d'oeuvre". Cette évolution est en particulier analysé dans "l'art a l'état gazeux", pertinente analyse de Yves michaud Et de façon plus ancienne mais non moins pertinente, on peut relire avec intéret le "marché de l'art" de karel teige (conférence donnée en 1935 par un marxiste et surréaliste tcheque) Pour une version "moderne" (mais moins critique) le bouquin éponyme de Raymonde Moulin analyse les dernieres tendances, l'industrialisation du "marché de l'art" avec ses multinationales (christie's et sotheby 's) , ses fabrications standardisés, ses experts etc etc etc

L'autre aspect de la chose, c'est que la culture se substitue a l'art ! Or la marchandisation de la culture avance a grand pas ! Les "industries culturelles" existent maintenant depuis plus d'un siécle ! On peut en avoir une premiere approche dans le livre de adorno et horkeimer "la dialectique de la raison" dont le chapitre consacré aux "industries culturelles" continue d'iriguer la réflexion dans ce domaine

en bref, l'oeuvre d'art tend a devenir une marchandise d'une part par suite d'une évolution de l'art lui meme et par suite de la substitution de la "culture" a "l'art"...
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Message par Stanislas » 29 Jan 2004, 09:35

(Jacquemart @ mercredi 28 janvier 2004 à 22:01 a écrit :Ouais. N'empêche que les mots doivent normalement servir à se repérer, et non à tout embrouiller. Si on dit que les chiens, ce sont des chats qui aboient et qui n'ont pas de griffes rétractiles, on a peut -être fait une jolie acrobatie verbale, mais on na pas aidé pas grand'monde à s'y retrouver.

Certes...

(Jacquemart @ mercredi 28 janvier 2004 à 22:01 a écrit :Ainsi, l'oeuvre d'art - unique par définition - aurait selon Stanislas une "valeur d'échange". Si c'est pour dire qu'elle a un prix, c'est aller chercher un mot compliqué - et inadapté - pour rien. Si c'est pour suggérer qu'il s'agit d'une marchandise, c'est faux.

Ben euh désolé, mais si elle a un prix et qu’elle se vend, c’est qu’elle a une valeur d’échange, une valeur marchande, et donc c’est une marchandise. Et je maintiens que dans tout ce qui touche au domaine de la culture, il y a déconnexion entre " temps de travail " et " valeur marchande " (c‘est quand même une évidence, non ?). Qui plus est, " l’unicité " de l’oeuvre d’art et de la production culturelle en général reste à prouver (Walter Benjamin : L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique, dans " L'homme, le langage et la culture ".).

(Jacquemart @ mercredi 28 janvier 2004 à 22:01 a écrit :Quant à prétendre qu'un tableau de Monet n'aurait pas de valeur d'usage, c'est une bêtise. S'il n'en avait pas, il serait à la décharge, pas dans un musée ou une collection privée.
.
Je n’ai jamais dit ça. Quand on répond il faut lire correctement son interlocuteur :

(RAPPEL%Stanislas @ mercredi 28 janvier 2004 à 13:31 a écrit :Reste la question de la valeur d'usage de l'oeuvre d'art. Un tableau de Monet n'a pas de valeur d'usage au sens traditionnel du terme.

Je ne pense pas que l’usage d’un tableau de Monet soit le même que celui d’un briquet, d’une voiture ou d’une salade niçoise, en cela qu’il ne se " consomme " pas. Il n’engendre pas le besoin d’une nouvelle " production ".

(Jacquemart @ mercredi 28 janvier 2004 à 22:01 a écrit :Quant à la "critique du capitalisme cognitif" (??? pourquoi ??? il y a un capitalisme a-cognitif ???), ou à "l'affectif idéologique marchand de la rareté", je propose d'ouvrir un fil consacré au constructions verbales vides de sens pour en discuter.
Car cela ne relève en aucun cas de l'économie politique.

Sur le capitalisme cognitif que je saurai que t’encourager à lire cela en cliquant ici , texte de Michel Husson dont la critique me semble fort juste (les 4 premières pages devraient suffire).
Stanislas
 
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Message par Nadia » 29 Jan 2004, 10:45

L'art, ça ne se consomme peut-être pas (quoique...), mais une maison non plus (quoique aussi).

Là où l'art rentre bien dans les notions marxistes des marchandises dont le prix dépend de la somme de travail nécessaire à leur réalisation, c'est le cas des "commandes". Le prix peut être proportionnel au nombre d'heures ou de jours de travail nécessaires + prix des matières premières.

Les commandes d'oeuvres d'art étaient et sont encore pas mal importantes.


Sinon, les spéculations sur les oeuvres très connues, ou encore le marché des antiquités, c'est autre chose.
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Message par Stanislas » 29 Jan 2004, 11:10

Un peu de détente, jouons : :smile:

a écrit :L'art, ça ne se consomme peut-être pas (quoique...), mais une maison non plus (quoique aussi).
(Coluche a écrit :Maisons Merlin, tu fais un prêt à long terme, c'est à dire un prêt de loin, et au bout de quinze ans les ruines sont à toi


a écrit :Là où l'art rentre bien dans les notions marxistes des marchandises dont le prix dépend de la somme de travail nécessaire à leur réalisation, c'est le cas des "commandes". Le prix peut être proportionnel au nombre d'heures ou de jours de travail nécessaires + prix des matières premières.

Si y'a que ça, RASSURONS-NOUS, c'est pas bien grave. Vu qu'apparemment y'a pas de plue-value dans cette affaire. Si ? :whistling:
Stanislas
 
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