À l’initiative de l’UL CGT Poitiers, un voyage mémoriel a été organisé les 11 & 12 octobre. Une trentaine de militants ont donc pris la route dans un contexte de banalisation de l’extrême droite et de danger à tous les étage du monde. Dans une tradition d’éducation populaire, que la CGT a si bien portée depuis sa création, ces deux jours avaient pour ambition de faire découvrir in situ l’horreur de deux conflits mondiaux sur deux sites majeurs : Verdun et le mémorial du Struthof.
La halte sur le champ de bataille de Verdun a permis de mesurer la phrase de Jacques Prévert « Quelle connerie la guerre . ». C’est un terrain lunaire qui nous accueille et les chiffres démesurés de cette bataille donnent le vertige : 4 obus tombés au m² sur une surface de 38 ha, plus de 300 000 morts et 400 000 blessés … La visite du fort de Douaumont fut impressionnante et là encore nous avons pu comprendre les conditions de vie des soldats, français et allemands (le fort ayant changé de mains une douzaine de fois), chaire à canons des politiciens et des industries capitalistes. Les phrases d’Anatole France « on croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels » et de Paul Valéry « la guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » Nous garderons pour anecdotique la tentative de réhabilitation du Maréchal Pétain par notre guide («grand soldat en 1914, … n’a fait fusiller que 49 mutins…) tant son auditoire, dont elle a vite subodoré la couleur (« vous êtes un peu d’obédience communiste ? ») ne fut pas dupe. Il faut dire que notre joli badge CGT n’était pas de nature à mettre notre drapeau dans notre poche.
Pétain fut d’ailleurs le trait d’union pour la visite du deuxième site, le camp de concentration de Natzweiler – Struthof en Alsace. Seul camp sur le sol français (l’Alsace étant annexée par l’Allemagne). Nous y avons passé une journée entière, ce qui nous a permis d’appréhender la totalité du lieu, dans son histoire et son horreur. Pour nombre d’entre nous, même celles et ceux qui avaient déjà visité un camp, on peut dire que cette journée aura marqué les esprits, fait monter l’adrénaline, fait couler des larmes et causé quelques nuits agitées pendant quelques temps. Comment des hommes ont-ils pu faire subir à leurs semblables autant d’atrocité, de déshumanisation.
Découvrant un filon de granit rose, les nazis, Himmler en personne, décident d’ouvrir un camp en 1941 pour exploiter une carrière. Des déportés arrivent tout d’abord d’autres camps, puis sont envoyés directement au Struthof : entre 1941 et 1945 ils seront 52 000 dont 20 000 périront. Une extermination par le travail.
La visite, brillamment introduite par notre camarade secrétaire de l’UL de Poitiers Fabien Lecomte, du petit crematorium et de la salle ayant servie à des expérimentations médicales (notamment sur le typhus) a donné le ton de la journée. Puis nous avons arpenté le camp avec une guide, habitée par l’histoire et le lieu, qui nous a permis une immersion malheureuse mais d’une terrible réalité. Son ton juste nous a plongé dans cette folie meurtrière : le cynisme des nazis offrant une douche chaude aux nouveaux déportés en leur expliquant qu’il bénéficiaient de ce « luxe » grâce à leurs copains qui brûlaient dans le four crématoire et chauffaient cette eau, les appels de 4 h avec obligation de décliner son matricule en allemand, les brimades, les chiens lâchés pour mordre les trainards, les pendaisons en public, les déportés épuisés au sol tués en leur brisant le crâne avec des pierres, …
Lors de ce voyage, le syndicat CGT des territoriaux de Poitiers a souhaité rendre hommage à deux grandes Résistantes poitevines.
Tout d’abord France Bloch-Sérazin : née à Paris le 21 février 1913, Françoise Bloch dite France, est la fille de l’écrivain journaliste Jean-Richard Bloch, établi à Poitiers en 1909 qui emménage dans la maison de la Mérigote en 1911. C’est dans ce parc arboré perché sur une falaise qui domine la vallée du Clain que France passe une jeunesse heureuse. Lycéenne au lycée de Jeunes Filles de Poitiers, puis étudiante à l’Université de Poitiers où elle étudie la chimie, France est une excellente scientifique qui aime le latin, apprend l’allemand, lit énormément ; elle aime aussi les chats, le sport, dessine, joue du piano ; c’est une jeune femme épanouie, gaie, d’une grande curiosité, souriant à la vie.
En septembre 1935, elle écrit sur un cahier cette citation du poète américain Walt Whitman :
« Resist much ; Obey little »
« Résiste beaucoup ; Obéis peu »
Agir et combattre dans une Europe qui voit monter le nazisme et le fascisme sera le crédo de sa vie. Fichée par les Renseignements généraux comme appartenant à un groupe « d’intellectuels juifs sympathisants communistes », elle adhère au Parti communiste français en 1937 et milite dans une cellule du 14e arrondissement dans un combat antifasciste, de soutien au Front Populaire et pour la défense de l’Espagne Républicaine. C’est là qu’elle rencontre Frédéric, dit Frédo, ouvrier chez Hispano-Suiza, militant de la CGT, ancien animateur des grèves de 1936. Très apprécié de Jean-Richard et Marguerite Bloch, Frédo Sérazin formera avec France un couple en Résistance.
Dès la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, France continue une activité communiste malgré la dissolution du PCF. En janvier 1940 nait Roland, leur fils. Cette même année, elle intègre l’Organisation Spéciale, qui formera plus tard les Francs-Tireurs et Partisans. Alors qu’elle travaille au laboratoire de l’Identité judiciaire de la Préfecture de Paris, elle imprime des tracts dans la cave de son appartement et participe à leur diffusion.
La lutte armée s’intensifie à la demande du PCF. France, sous le pseudo de Claudia, grâce à sa science de chimiste, travaille dans un laboratoire clandestin, où elle fabrique des engins explosifs qui serviront à la vague d’attentats d’août 1941 réalisés par les Bataillons de la Jeunesse du Colonel Fabien.
Elle échappe de justesse à la police le 11 février 1942 lors de l’arrestation d’un résistant, mais elle est repérée, puis prise en filature. Activement recherchée, elle trouve refuge à la Mérigote de Poitiers une dernière fois en mars 1942. De retour à Paris, elle est arrêtée le 16 mai 1942 et internée à la prison de la Santé. Torturée, sans jamais parler, elle est condamnée à la peine de mort par un tribunal militaire allemand le 30 septembre 1942 avec 18 co-inculpés immédiatement exécutés.
La peine de mort pour femmes en France étant interdite, elle est déportée le 10 décembre 1942 en Allemagne, internée dans la prison de Lübeck-Lauerhof. Elle est guillotinée à Hambourg le 12 février 1943 dans la cour de la maison d’arrêt.
Son mari, Fredo Sérazin, responsable aux cadres FTP du département de la Loire est tué par la Gestapo à St-Etienne en juin 1944.
Leur fils Roland survivra à la guerre et sera élevé par sa grand-mère Marguerite.
Dans la dernière lettre qu’elle adresse à Frédo, le jour de sa mort, quelques jours avant son trentième anniversaire, France écrit :
« Je meurs pour ce pour quoi nous avons lutté, j’ai lutté ; tu sais comme moi que je n’aurais pas pu agir autrement que je n’ai agi : on ne se change pas. »
France Bloch-Sérazin est enterrée dans la nécropole nationale de la déportation. Une gerbe de fleurs fût déposée, mais surtout nous avions emporté de la terre de la Mérigote, ramassée par Nadine et Françoise, ses petites filles, lors d’une de leur venue à Poitiers. Nous l’avons dispersée sur sa tombe.
Puis au four crématoire, nous avons là-aussi déposé une gerbe en hommage à Édith Augustin : née à Chauvigny (86) en 1895, Edith Augustin entre en apprentissage en 1907 chez un chapelier de la rue du Marché de Poitiers. En 1923, elle devient propriétaire d’un magasin de mode et exerce son métier avec un professionnalisme qui sera reconnu dans la cité Poitevine. Adoptant une coupe de cheveux courts, ne s’étant jamais mariée, Édith Augustin est une femme de caractère au sein d’une famille unie, composée de son frère René, son cousin Albert Roquet et les beaux-parents de ce dernier Eugène et Marie Tillet.
Le 22 juin 1940, le département de la Vienne est coupé en deux. Poitiers est en zone occupée ; Chauvigny où habite son père est en zone non occupée, ce qui lui permet d’avoir un Ausweis, un laissez-passer. Grâce à ce document, Édith entre en Résistance et fait passer la ligne de démarcation à ses fournisseurs en article de mode, juifs fuyants Paris. Patriote, Édith Augustin refuse l’allégeance au maréchal Pétain. Elle se met au service du réseau Marie-Odile qui cache des prisonniers de guerre français et des aviateurs alliés, et devient agent de liaison. Commerçante le jour, Édith Augustin va devenir de plus en plus active au sein du réseau Alliance, un des rares groupes de résistance dirigée par une femme, Marie-Madeleine Fourcade. Alliance repose sur le noyau familial, Albert Roquet, Eugène et Marie Tillet et Jean Kiffer, agent commercial, qui s’emploient à sécuriser des parachutages, planquer des résistants, mettre en service des radio-émetteurs, … Le réseau Alliance, surnommé « l’Arche de Noé » par les Allemands en raison des pseudonymes attribués à ses agents (girafe, éléphant, tortue, hérisson, …) est traqué par l’armée d’Occupation. C’est un agent double à la botte des nazis qui livrera le réseau Alliance du sud-ouest. Ses membres seront traqués et arrêtés jusqu’au tour d’Édith Augustin le 31 décembre 1943.
Incarcérés à la prison de la Pierre-Levée de Poitiers, Édith, les époux Tillet, son cousin Albert et Jean Kiffer sont ensuite transférés au camp d’internement de Compiègne dans l’Oise. Ils rejoignent les autres membres du réseau Alliance arrêtés sur le territoire français qui sont internés au camp de Schirmeck dans le Bas-Rhin, où arrivera Édith le 1er mai 1944. Ces membres d’Alliance sont étiquetés comme terroristes et reçoivent la dénomination « secret » et « NN » (Nacht und Nebel – Nuit et Brouillard), ce qui les condamne à la mort.
Le 1er septembre 1944, face à l’avancée des Alliés, les 106 prisonniers du réseau Alliance sont conduits au camp du Struthof. Les détenus sont emmenés dans un local, on les oblige à se déshabiller et à se coucher. Ils sont exécutés d’une balle dans la tête et leurs corps sont brûlés dans le four crématoire du camp. Leurs cendres sont ensuite mêlées à celle des ordures dans une fosse.
Ce double hommage confirme l’attachement de la ville de Poitiers à ces grandes Résistantes, puisque qu’un collège porte le nom de France Bloch-Sérazin et une résidence autonomie celui d’Édith Augustin.
La CGT des territoriaux de Poitiers a pu mesurer combien la dénomination d’un lieu peut de nouveau marquer l’histoire, surtout lorsqu’il s’agit de résister face à l’injustice. En effet, suite à la décision de la mairie de Poitiers de fermer cette résidence, une lutte qui s’est traduite par une occupation de 66 jours par les syndiqués et la population du quartier en 2023, s’est terminée de manière victorieuse : un service public portant le nom d’Édith Augustin ne pouvait pas fermer.