par alex » 30 Nov 2004, 13:28
A quoi pensent les «casseurs de pédés»?
Le profil homophobe demeure assez obscur, entre refoulement tu et crapulerie affichée.
Par Didier ARNAUD
mardi 30 novembre 2004
D'abord une photo. Insoutenable. Celle d'un visage tuméfié, difficile à regarder de face. David, 26 ans, a été agressé à Marseille en août, par sept adolescents dont six mineurs qui lui ont dit : «On va te casser la gueule, sale pédé.» Ils ont frappé sans retenue. Pourquoi ? Devant les policiers, les mots sont rares. «On voulait leur faire peur», a dit l'un. Un autre : «J'ai déjà vu des homos faire l'amour devant chez moi. On a décidé d'en attraper un.» Celui-ci en a assez d'en voir «en bas» de l'immeuble où il habite. Alors, «on a décidé d'y aller pour plus qu'ils reviennent». La version «Barrez-vous !» est déclinée sur tous les tons. Celui-ci : «C'était pour leur dire de partir car il y a des capotes qui traînent partout.» Celui-là : «J'avais déjà jeté des pierres sur les voitures des homos qui passent.» P., 20 ans, le seul majeur du groupe, explique : «Je ne sais pas lequel a décidé de faire la chasse aux pédés. Ça se pratique dans le quartier mais jamais de façon aussi grave.» Un seul a exprimé des regrets : «Je suis désolé d'avoir fait cela à un mec et de lui avoir fait aussi mal.» Ils n'ont pas encore été jugés. En 2004, plusieurs agressions violentes ont remis l'homophobie sur le devant de la scène. En janvier, Sébastien Nouchet, brûlé vif, est devenu un symbole, en particulier après le courrier adressé par Jacques Chirac au compagnon de la victime dans lequel le chef de l'Etat exprimait son «indignation». On a beaucoup dit et écrit sur les victimes. En revanche le profil des auteurs est mal connu.
Lieu de drague. François a été battu à mort par des skinheads à Reims en 2002, puis jeté à l'eau. En octobre, le procès à huis clos (un des agresseurs était mineur au moment des faits), n'a pas permis de les entendre. Ils ont été condamnés à des peines de quinze à vingt ans de réclusion criminelle. Les avocats expliquent aujourd'hui : «Ils n'avaient pas plus de haine contre des homosexuels que contre des personnes différentes d'eux.» Pas plus ? Un des skinheads explique quand même que «l'homosexualité [est] contre nature, dégoûtant, [et qu'en faisant cela] ils voulaient [lui] apprendre ce que c'était que la vie.»
Reste à décrypter ces propos. Car, comme le relève Me Philippe Reullet, avocat à Marmande, «le fond des motivations est rarement exprimé devant un juge d'instruction». Me Reullet a défendu en mai dernier un couple d'agresseurs «hétéros». Lui s'en était pris (coups de poing, crachats, insultes) à un homosexuel sur un lieu de drague de la ville. Pendant «l'équipée», sa copine attendait «cachée dans les buissons». Elle sortait comme un diable de sa boîte alors que les tentatives d'approche de son copain avaient été bien entamées. Après coup, l'auteur des faits avait reconnu que pour lui, les «homos sont des gens normaux». Parce qu'il avait intégré l'idée qu'il n'était pas «politiquement correct» de penser autrement. Aujourd'hui, il suit une thérapie et sera jugé prochainement
Réputation. Souvent, les défenseurs glissent du motif homophobe vers une autre motivation plus «crapuleuse». En 1999, deux jeunes hommes donnent rendez-vous à leur victime via une messagerie vocale. Ils se rendent chez lui, le bâillonnent, l'étranglent. Il mourra étouffé. «Ils choisissaient des hommes seuls, homosexuels, qu'ils savaient peu enclins à déposer plainte», dira l'avocat de la défense de l'un d'eux. Toujours la même antienne. Les homos sont une «proie» facile. Ils éprouvent des difficultés à aller déposer plainte. Ils ont peur des railleries. Craignent de dévoiler leur vie privée. Ils sont parfois pères de famille, notables aussi. Ils ne veulent pas que cela se sache par crainte de subir un préjudice dans leur milieu professionnel. Plus encore, lorsque l'agression a lieu sur un lieu de rencontre, ils éprouvent ce sentiment de «culpabilité» d'avoir provoqué à tort l'attaque.
Le hic dans la motivation «crapuleuse», c'est que «l'attaque» dérape souvent. C'est là que les victimes ne semblent pas vraiment choisies au hasard. «Les agresseurs draguent, ligotent et volent», avance le psychiatre Michel Dubec, expert auprès des tribunaux. C'est, selon lui, la forme la plus courante. Souvent l'agression se commet à plusieurs ce qui souligne l'idée de «compétition» entre les auteurs. Parfois, ils prennent prétexte d'un combat idéologique pour «laisser aller leur haine. Ils trouvent un prétexte pour en faire plus». Selon lui, ce qui est à l'oeuvre, c'est qu'ils considèrent qu'il n'est «pas grave» de voler un homosexuel. «En prélude à tout acte, on dégrade la [future] victime, ce qui permet ensuite de s'en prendre à elle.» Résultat : «On constate que les auteurs sont plus violents que nécessaire. Nombre d'affaires se terminent par la mort de la victime.» Le psychiatre l'a constaté : les victimes sont choisies de manière préférentielle parmi «des homosexuels plus âgés parce que plus fortunés. L'image de l'homosexuel supporte mal le vieillissement. Elle entraîne encore une répulsion plus grande [pour les agresseurs]».
Tueur en série. Pour terminer, un cas qui ne ressemble à aucun autre. Celui d'un des premiers tueurs en série d'homos. En juin 1996, Rémi Roye était jugé à Créteil pour le meurtre de trois homosexuels rencontrés et piégés via une messagerie. Il les a tués avec un marteau, une pierre de quinze kilos. Il a été condamné à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de dix-huit ans. Pendant sa détention, Roye a déclaré aux psychiatres une «aversion profonde et terrible à l'égard des homosexuels». Il n'a pas supporté le «déguisement» d'une de ses victimes vêtue d'une cagoule en cuir, et nue. «J'ai vu rouge. C'est monté d'un seul coup. J'ai pris le marteau, tapé, tapé. Je ne voulais plus qu'il me touche.» A l'époque, le psychiatre avait diagnostiqué des «tendances homosexuelles sadomasochistes enfouies, profondes, de l'ordre de la perversion et, à côté de ces attirances une défense éperdue farouche, quasi-panique contre l'homosexualité».
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