(Le Monde @ 19 janvier 2005 a écrit :Devant l'afflux de demandes, plusieurs communes privent de cantine les enfants de chômeurs
A Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), la mairie exige "une attestation de chaque employeur des parents". La justice a déjà sanctionné de telles "atteintes au principe d'égalité".
La cantine et les centres de loisirs de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne) ne sont plus ouverts à tous les enfants, et notamment à ceux dont les parents ne travaillent pas. Depuis la rentrée des vacances de Noël, "l'accès aux services municipaux tels que les restaurants scolaires des écoles maternelles et primaires, les centres d'accueil pré et post-scolaires et les centres de loisirs pour les mercredis et les vacances scolaires (pour les 3-11 ans) est strictement limité aux enfants dont les deux parents travaillent". Tel est le contenu de la lettre que la maire (PS) Danièle Querci a adressée aux parents, le 25 novembre 2004. En lettres majuscules et en gras, elle leur réclamait, dans de brefs délais, "une attestation d'activité professionnelle de chaque employeur des parents du foyer".
La commune, dont les recettes fiscales vont diminuer avec la fermeture d'une centrale EDF en mars 2005, entend ainsi faire des économies. Devant l'impopularité de sa décision, elle se veut aujourd'hui plus conciliante que ne le laissait imaginer le ton de sa lettre. "Le courrier envoyé aux parents était maladroit. Il n'est pas question de refuser des enfants de chômeurs. Mais de ne pas accepter les inscriptions de confort", y indique-t-on.
Le cas de Vaires-sur-Marne n'est pas isolé. En Ile-de-France et, dans une moindre mesure, en province, de nombreuses communes mettent en place des critères d'admission des enfants du premier degré à la cantine ou dans les centres de loisirs. Le plus souvent, elles opèrent leur sélection selon le travail des parents. Mais pas toujours. Ainsi, à Villeurbanne (Rhône), les enfants dont les parents gagnent plus d'un certain revenu sont interdits de cantine.
Toutes ces villes invoquent des contraintes budgétaires et la poussée démographique à laquelle sont confrontées les écoles primaires, après le baby-boom de l'an 2000. "Il y a vingt ans, la moitié des élèves restaient à la cantine. Aujourd'hui, ce taux peut monter à 80 %. Les écoles n'ont pas été conçues pour ça", explique-t-on également à la mairie de Créteil (Val-de-Marne), où les enfants dont les deux parents travaillent sont prioritaires en matière de restauration scolaire. "On ne l'applique que quand on a un vrai problème de place", précise-t-on dans l'entourage de Laurent Catala, le maire PS.
"PRIVÉS D'UN REPAS"
"Une majorité des villes des Hauts-de-Seine" fonctionne sur ce modèle, note, de son côté, la section départementale de la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves). C'est le cas de Colombes, depuis septembre 2003. "En 2003, on a ouvert treize classes en primaire. On ne pouvait plus assurer une restauration scolaire dans de bonnes conditions. Dans certains établissements, il fallait offrir trois services, alors que le temps affecté au repas de midi est de une heure et demie", explique-t-on au cabinet de la maire UMP, Nicole Gouetta. Face aux critiques, la commune a finalement aménagé sa formule : les enfants dont un des deux parents ne travaille pas peuvent demander une dérogation et avoir accès à la cantine deux jours par semaine. A Clichy, le règlement est le même depuis plus de trois ans. "Pour un repas, la collectivité perçoit en moyenne 1,80 euro alors qu'elle dépense entre 6 et 8 euros. Et 75 % des enfants vont à la cantine... Cela revient cher", explique-t-on dans l'entourage de Gilles Catoire, le maire socialiste de Clichy.
"Ces restrictions sont inadmissibles. Elles pénalisent les enfants qui ont le plus besoin de la cantine, et qui se trouvent ainsi privés d'un repas équilibré qu'ils n'auront pas forcément chez eux. Quand les deux parents ne travaillent pas, c'est généralement qu'ils sont en situation très difficile", juge Gilles Moindrot, porte parole du SNUipp, syndicat majoritaire chez les enseignants du premier degré. "C'est contraire au principe d'accès égal et à tous au service public", constate, pour sa part, Georges Dupon-Lahitte, président de la FCPE.
La jurisprudence va clairement dans ce sens. Plusieurs tribunaux administratifs, appelés à se prononcer sur ces limitations, les ont jugées illégales. Parmi eux, le 13 juin 2002, celui de Grenoble (Isère) a annulé les dispositions du règlement du service de restauration scolaire de la commune de La Verpillière, qui limitait l'accès à la cantine aux enfants dont les deux parents travaillent, et condamné la ville à verser 750 euros aux requérants.
Dans une affaire comparable concernant Marignane (Bouches-du-Rhône), le tribunal administratif de Marseille avait pris un jugement similaire, en novembre 1996, arguant qu'il y avait "atteinte au principe d'égalité des usagers devant le service public".
Virginie Malingre