En plus des médias (qui ont évoqué toutes les possibilités y compris celles mettant en cause Total), des milliers de salariés de Total, en particulier des cadres, ont probablement relayé à travers tout le pays les hypothèses dédouanant Total, en particulier celle de l'attentat (on est quelques jours après le 11 septembre) et plus rarement celle de l'arc électrique et de la SNPE voisine, ça c'était plutôt face aux autorités. La force d'un groupe comme Total, c'est aussi cela.
J'ai toujours été étonné que l'enquête et en particulier celle de la police
reste cantonnée aux dernières heures avant l'explosion et à la seule zone de l'explosion.
L'on sait que c'est un stockage de
nitrate d'ammonium (utilisable pour la fabrication d'engrais et d'explosifs) qui a explosé. Le principe d'une contamination par un résidu chloré peut-être issu de l'autre bout de l'usine, le
DCCNa (utilisé pour la désinfection des piscines et déclenchant une explosion au contact du nitrate d'ammonium), a été considéré, certainement à juste titre, comme le plus probable, mais sans démonstration d'un scénario plausible sur la façon dont il aurait atterri à cet endroit, hormis le fait qu'au dernier moment le salarié unique de l'entreprise sous-traitante gérant le fameux stockage qui a explosé, l'ait apporté par mégarde avec son Fenwick et déposé au milieu du nitrate d'ammonium.
Mais comment cela a-t-il pu se produire ? Total de son côté a eu beau jeu de démonter cette hypothèse (néanmoins retenue par le tribunal) et de montrer qu'il n'est concrètement pas possible de déposer sans s'en rendre compte un tel produit, fortement lacrymogène : ceux qui ont tenté de reproduire l'expérience pour les besoins de l'enquête l'ont réalisé à leurs dépens... Cette faiblesse dans le jugement permet à Total de continuer à nier la possibilité d'un tel scénario malgré la condamnation de sa filiale.
La réponse est peut-être... dans le dernier bulletin LO de l'usine, publié avant l'accident. Le bulletin relate un incident (non daté) qui s'est produit plusieurs jours avant (peut-être jusqu'à 10 ou 15 jours, étant donnée la fréquence de parution) à l'atelier des dérivés chlorés, où une émanation accidentelle de poussières chlorées a eu lieu et a même envahi l'intérieur de la salle de contrôle (qui pilote les installations chimiques). Les travailleurs de la salle de contrôle en ont subi les conséquences avec, comme le décrit le bulletin dans mon souvenir, "des yeux de myxomatosés". Or, il s'agissait de poussière, donc d'un solide. Cette poussière a forcément dû être balayée ou ramassée, éventuellement neutralisée avec un autre produit ou simplement stockée telle quelle dans des sacs ou des conteneurs à déchets à partir du moment où elle était en grande partie éventée. Il aurait simplement suffi que, dans les 1 à 2 semaines qui suivent, à un moment un sac sale ayant contenu cela ou le contenant encore, ou ayant été en contact avec ces résidus majoritairement éventés dans une benne, soit utilisé dans l'autre partie de l'usine et se retrouve dans le stockage de nitrates, pour que l'explosion ait lieu. Le gros des poussières étant éventé, l'ouvrier cariste n'aurait pu se rendre compte de la nature du produit transporté. Mais il suffit d'un peu de matière encore active pour qu'une explosion se déclenche.
Ce serait donc avant tout une question de gestion des flux de déchets au sein de l'usine qui serait en cause, une "contamination croisée" entre deux secteurs dont les déchets ne sont normalement pas censés se rencontrer.
Mais pour valider un tel scénario, il aurait fallu que l'enquête s'intéresse à ce qui s'était passé dans l'usine peut-être 7, 10 ou 15 jours plus tôt, loin de la "scène du crime". Au lieu de cela, et bien qu'elle ait validé le principe d'une contamination par le DCCNa, elle est complètement passée à côté de cet "incident" et s'est donc privée d'un argument étayant sérieusement son hypothèse.
Extrait d'un article du "Point" du 24 janvier 2017 :
Le DCCNA et le nitrate d'ammonium sont considérés comme incompatibles sur le plan chimique : le contact entre les deux substances produit du trichlorure d'azote, un explosif très instable.