• LE MONDE | 04.02.03 | 13h28
Robert Barcia, alias Hardy, membre du comité central de Lutte ouvrière
"On ne peut pas, à l'heure actuelle, participer à un gouvernement sans servir les intérêts de la bourgeoisie"
Le dirigeant historique de LO, longtemps clandestin, publie un livre sur ses 60 ans de militantisme.
Pourquoi ce livre, au bout de soixante ans de militantisme ?
Au bout de soixante ans de militantisme, cela ne veut rien dire. Fut une époque, avant 1995, où les journalistes n'étaient absolument pas intéressés par moi. Et Denoël ne m'aurait jamais publié. Même si j'avais dit – je suis "le" dirigeant de Lutte ouvrière –, ce qui n'est pas vrai d'ailleurs... Cela n'aurait pas été vendable.
Vendable, c'était le critère ?
Non, c'était une nécessité face aux attaques, diffamations, mensonges que nous avons dû essuyer. Durant la campagne présidentielle, je n'ai pas eu envie d'y répondre. C'était à Arlette [Laguiller] de le faire, car c'est elle notre porte-parole politique. Ce qui me décide aujourd'hui, c'est que nous sommes sortis de ces campagnes électorales, de l'aspect intéressé de certaines polémiques – à un moment, il s'est agi de démolir Arlette car elle montait trop dans les sondages. Et puis il y a un autre aspect, tout simple : j'ai 75 ans et c'est maintenant ou jamais...
C'est un testament politique ?
J'espère bien que non. C'est tout simplement que maintenant je suis le seul, après la mort de Pierre Bois [autre dirigeant historique de LO], à pouvoir raconter cette histoire depuis le début.
Un exercice de justification ?
Je n'ai pas à justifier LO ou quoi que ce soit. Christophe Bourseiller, qui a réalisé nos entretiens, a tenu à ce que je réponde sur tout. Moi, si j'avais écrit seul, je n'aurais peut-être pas abordé certains problèmes.
Lesquels ?
Les problèmes de couple, par exemple. On nous a accusés de ne pas vouloir de couples. C'était tellement idiot ! On a tous une vie sexuelle normale à LO, y compris des homosexuels des deux sexes. Ils ne sont pas très nombreux, car ils ne le sont pas dans la population.
Parmi ces qualificatifs, lesquels s'appliquent à LO : trotskiste, bolchevique, ouvriériste, autocentrée ?
Trotskiste, oui. Bolchevique, ça ne veut rien dire. Nous pourrions nous dire léninistes et nous ne renions rien de la révolution russe. Il n'y a pas de remise en cause chez nous du centralisme démocratique qui est, soit dit en passant, la façon dont fonctionne la République française. Ouvriéristes, nous ne le sommes pas. Nous nous efforçons de recruter au sein de la classe ouvrière et nous faisons cet effort car c'est bien plus difficile d'y recruter que dans les autres classes sociales. Quant à autocentré, pas du tout. L'organisation est entièrement baignée dans le tissu social.
S'agissant de LO, vous ne citez qu'une seule erreur : celle d'être passée à côté de Mai 1968.
Passée à côté de 68, non ! Mais au début, nous en avons sous-estimé l'importance. Depuis, on a sans doute fait des erreurs, mais certainement moindres car il n'y a pas eu d'événement comme 68.
Et la façon dont vous avez refusé d'appeler à voter Chirac, l'argument selon lequel Le Pen ne pouvait pas gagner les élections ?
Dans le milieu que nous fréquentons, nous capitalisons. Les gens ont compris que voter Chirac c'était une connerie.
Etait-il indifférent que M. Le Pen recueille 20 % ou 49 % des voix ?
Vous parlez en pourcentage, mais en nombre de suffrages, Le Pen a eu plus de voix au second tour qu'au premier. Toute cette coalition qui s'est mise en place a servi à le renforcer. Le discours sur le danger fasciste a surtout permis aux dirigeants de la gauche plurielle d'éviter d'avoir à s'expliquer sur le fait qu'ils avaient, eux, perdu 4 millions de voix.
Avez-vous lu la tribune de Lionel Jospin dans Le Monde (du 1er février) ?
Il ne s'en prend qu'à Chevènement. Or les Verts et le PCF lui ont aussi fait perdre des voix. Pourtant, ils étaient solidaires dans le gouvernement. Ils ont fait perdre la gauche en se moquant du peuple qu'ils prétendaient défendre !
Cela signifie-t-il que, dans votre esprit, il aurait mieux valu que la gauche gagne ? LO a pourtant renvoyé gauche et droite dos à dos pendant la campagne...
La campagne, c'est la campagne. On est un peu tranché. Entre la gauche et la droite, nous faisons une différence. Ce que nous disons, c'est qu'on ne peut pas, à l'heure actuelle, participer à un gouvernement sans servir les intérêts généraux de la bourgeoisie. Ensuite, il y a la façon. Quand on voit Raffarin, Sarkozy, ça fait mal au ventre.
Il valait donc mieux, pour vous, un gouvernement de gauche ?
J'aurais préféré que l'électorat ne bascule pas à droite.
Olivier Besancenot, de la LCR, se place sous le double patronage de Che Guevara et de la tradition libertaire. C'est votre truc ?
Pas du tout. Che Guevara a amené Castro, et Castro, ce n'est pas forcément la démocratie. Les ancêtres politiques de la LCR ont été successivement pro-Mao, pro-Tito. Il s'agit pour eux d'accrocher leur wagon à un truc qui marche momentanément. C'est cela, l'opportunisme.
Que ferez-vous de vos droits d'auteur ?
La part qui me revient (50 %), je la verserai à mon organisation.
Propos recueillis par Caroline Monnot