(Arlette Laguiller meeting 13.1.2007 à Annecy a écrit :...La raison de ma candidature à l’élection présidentielle de 2007 est de dire pourquoi et comment la mainmise de la grande bourgeoisie sur l’économie et la société est la cause des maux principaux dont souffre la société.
Et cela, personne d’autre ne le dira dans cette campagne, et surtout aucun des deux candidats dont toute la presse répète qu’ils s’affronteront au deuxième tour et que c’est l’un d’eux qui inévitablement sera le président de la République.
Que Sarkozy ne le dise pas, c’est dans la nature de la droite. Mais son adversaire désignée, Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste, ne le dira pas plus. Ces deux candidats ont été littéralement fabriqués au cours des mois précédents, avec la participation des grandes chaînes de télévision et des grands journaux. Ces chaînes de télévision ou ces médias qui, lorsqu’ils ne sont pas propriété d’État et sous la coupe du gouvernement, appartiennent à Bouygues, Lagardère, Dassault, l’un bétonneur, les autres fabricants d’armes, mais en tout cas représentants les sommets de la classes bourgeoise de ce pays.
Ce sont ceux-là qui ont le pouvoir de fabriquer l’opinion publique et de lancer des candidats comme ils peuvent lancer des marques de lessive ou des voitures. Sarkozy ne peut pas faire un pas dans un commissariat de quartier ou Ségolène Royal parcourir la muraille de Chine sans qu’une armada de cameramen, de photographes et de journalistes les accompagne !
Même le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pourtant très modéré dans ses jugements, s’est senti obligé de faire des remontrances aux chaînes de télévision en raison du décalage considérable sur les temps de passage à l’antenne entre, d’une part, les deux vedettes fabriquées et, d’autre part, les autres candidats. Le rapport va de 1 à 5 pour les moins mal lotis des candidats dits petits, voire de 1 à 10 ou de 1 à 20 pour les autres !
A ce niveau-là, ce n’est plus une injustice télévisuelle, mais un fait social. Le signe que ceux qui possèdent les chaînes de télévision et les grands médias ont sélectionné leurs candidats et les ont choisis bien avant que les électeurs aient exprimé leur choix.
Pendant les deux semaines de la campagne officielle, les chaînes de télévision seront censées respecter l’égalité formelle. Il y aura en particulier les émissions officielles où les candidats se succèderont à la queue leu leu pour trois minutes chacun voire moins, et qu’il faut, c’est vrai, avoir du courage pour regarder.
Alors, bien sûr, Sarkozy, et la droite qu’il représente, est plus près du cœur et du porte-monnaie de la grande bourgeoisie parce qu’il se présente drapeau déployé comme son représentant. Mais Ségolène Royal est parfaitement acceptée par elle comme une alternative valable.
Ségolène Royal, après ses premières semaines de campagne où elle se contentait, disait-elle, d’être « à l’écoute des Français », a présenté son programme lors des ses vœux. Elle a parlé de la « construction de 120 000 logements sociaux », avec à la clé, dans le cas de désobéissance par certaines communes, l’État qui se substituera « à la carence de ceux qui s’enferment dans l’égoïsme territorial en y lançant lui-même les programmes de logements nécessaires ». Mais il faudra donc dix ans pour offrir un logement à ceux qui sont sur des listes d’attente, sans parler de ceux qui s’y ajouteront pendant ce temps !
Elle a dénoncé le niveau des salaires. Oh, sous la forme tiède d’un « le travail ne paie pas », en s’en prenant aux « insécurités », liées selon elle « à l’idéologie d’un certain patronat » qui « fait de la précarité, du blocage salarial, du chantage aux délocalisations … la recette de la compétitivité qui tient en réalité à bien d’autres facteurs ». « Un certain patronat », comme si ce n’était pas l’attitude de l’ensemble du grand patronat ! Et tout ce constat pour aboutir à la proposition d’une « sécurisation des parcours professionnels pour les salariés ».
Ségolène Royal se garde bien de prendre des engagements précis et concrets. Mais, même le peu qu’elle promet et qui pourrait aller dans le sens des classes populaires, encore faut-il qu’elle ait les moyens de ses promesses ! Mais ces moyens, c’est le grand patronat qui en dispose. Et Ségolène Royal, si elle accompagne ses promesses d’une autre musique que celle de Sarkozy, n’est pas plus disposée que son concurrent à s’en prendre au grand patronat et à ses intérêts.
Or, on ne pourra rien faire pour améliorer la situation des classes populaires sans s’en prendre à la dictature du grand patronat sur l’économie et sur la société.
Marie-George Buffet, candidate du Parti communiste mais qui se présente aussi comme celle d’une « gauche populaire et anti-libérale », avance, certes, un certain nombre d’exigences qui correspondent aux aspirations du monde du travail.
Elle promet l’abrogation du CNE, des contrats précaires et des temps partiels imposés. Elle propose que, dès la mise en place du gouvernement, le Smic soit porté à 1500 euros. Comme elle propose que les loyers soient plafonnés à 20 % des revenus des ménages. Mais elle ne dit pas qui obligera les propriétaires à louer à ce prix-là.
Mais, en réalité, ses promesses n’engagent qu’elle car elle a beau se présenter dans sa campagne comme la représentante d’une « gauche radicale de gouvernement », le seul gouvernement dont elle pourrait faire partie, le cas échéant, sera un gouvernement socialiste. Un tel gouvernement sera sous l’autorité de Ségolène Royal. Et Marie-George Buffet ne pourra que se taire ou démissionner, et elle ne voudra pas faire plus que ce qu’elle a fait pendant les cinq ans où elle a été ministre du gouvernement Jospin.
Voter pour Marie-George Buffet, c’est donc, en réalité, voter pour Ségolène Royal et la politique de cette dernière.
Rien que pour revenir en arrière sur la régression sociale des dernières années, il faudra que les travailleurs imposent un certain nombre de revendications. Interdire les licenciements dans toutes les entreprises, à commencer par celles qui font du profit pour stopper la progression du chômage réel et de la précarité. Augmenter tous les salaires d’au moins 300 euros. Imposer un salaire minimum de 1500 euros net et qu’aucun salaire ne puisse y être inférieur. Transformer tous les contrats précaires en CDI.
Comme il faut imposer la suppression de toutes les mesures contre la retraite et les retraités prises par Balladur, maintenues par Jospin et aggravées par Raffarin, avec une pension qui soit au minimum égale au Smic.
Il faut aussi annuler toutes les privatisations dans les secteurs qui ont été des services publics ou qui devraient le devenir. La construction de logements sociaux en particulier devrait devenir un service public.
Et pour financer tout cela, il faudrait rétablir l’impôt sur les bénéfices des sociétés au taux de 50 % où il était dans le passé et supprimer toutes les faveurs fiscales qui ont été accordées aux plus riches au fil des ans.
Ce ne sont nullement des revendications révolutionnaires, loin de là. Ce ne sont que les mesures indispensables pour que les travailleurs retrouvent simplement leurs conditions d’existence d’il y a trente ansans, où pourtant, déjà, la vie n’était pas rose pour le monde du travail.
Ces mesures, je les défends depuis trente ans. La presse me reproche assez de me répéter depuis 1974. Dans le passé, je parlais de « mesures d’urgence », d’un « plan d’urgence ». L’urgence est plus grande encore aujourd’hui parce que la situation du monde du travail s’est encore aggravée. Eh oui, je me répète depuis trente ans parce que, si les choses ont changé depuis trente ans, c’est en pire !
Le patronat comme les dirigeants de l’État, quelle que soit leur étiquette, nous diront que tout cela, ce n’est pas possible. Les dirigeants de l’État nous répètent qu’il n’est pas possible de partir en retraite au même âge qu’il y a quarante ans, sous peine de faillite du système de retraite, alors pourtant que, depuis quarante ans, la productivité a fait des progrès considérables. Les patrons, de leur côté, expliquent à chaque licenciement collectif, du moins quand ils daignent s’expliquer, que, s’ils suppriment des emplois, c’est pour en sauver d’autres, qu’ils n’ont pas le choix, que c’est la concurrence ou que c’est la mondialisation.
Voilà pourquoi, même pour leur imposer les modestes objectifs que je viens d’énumérer, il faut que les travailleurs, que les consommateurs, que la population concernée, puissent contrôler le fonctionnement des entreprises, leurs stratégies et surtout leurs finances.
Si on contrôle les profits des entreprises, si on contrôle d’où vient l’argent, par où il passe, quels sont les coûts réels de production, quels sont les profits et où ils vont, on pourrait empêcher qu’ils servent à racheter des entreprises déjà existantes. On pourrait vérifier qu’il est possible de créer des emplois correctement payés et en diminuant les efforts ou le temps de travail de chacun.
Il faut imposer que la population ait un accès direct à tout ce que les conseils d’administration envisagent pour l’avenir de leurs entreprises. Ce n’est pas une affaire privée car l’activité d’une entreprise et même les dividendes de ses actionnaires résultent de l’activité de l’ensemble de ses travailleurs. Et ce qu’une entreprise devient concerne toute la région où elle est implantée et toute la population.
On ne peut pas empêcher les licenciements, on ne peut pas empêcher les délocalisations, on ne peut pas diminuer, voire supprimer, le chômage, sans s’en prendre à ceux qui possèdent et dirigent à leur profit toute l’économie. Sans cela, on ne peut pas résoudre les problèmes de la jeunesse, c’est-à-dire disposer de crèches puis de maternelles et d’écoles primaires en nombre suffisant et, surtout, d’enseignants en nombre voulu pour donner un enseignement adapté à chacun.
Je sais que les classes populaires veulent avant tout empêcher que Sarkozy soit élu. Je sais que ce qui leur apparaît le plus urgent, c’est de se débarrasser du pouvoir de la droite.
Et moi-même, je peux affirmer que si, après le deuxième tour, Sarkozy était obligé de remballer sa morgue et sa hargne contre les classes populaires, cela me ferait bien plaisir.
Mais ce plaisir ne suffit pas. Ce n’est pas avec cela qu’on pourra payer son loyer, assurer l’éducation des enfants, se soigner ou trouver un travail ou un logement quand on n’en a pas.
Il ne suffit pas de chasser les hommes de droite de la présidence de la République ou du gouvernement pour que la politique de droite en soit chassée pour autant. Cette politique de droite pourra être reprise à son compte aussi bien par un gouvernement de gauche, pour la bonne raison que c’est la politique exigée par le grand patronat. Depuis trente ans que la gauche et la droite se relaient à la tête de l’État, seules changent les équipes qui dirigent, pas la politique qu’elles mènent. Une politique au service du grand patronat, destinée à réduire, toujours plus, la part des salariés pour accroître celle des possesseurs de capitaux.
Je me présente dans cette campagne pour que les travailleurs, c’est-à-dire les ouvriers, les employés, les enseignants, les techniciens, les chômeurs, les retraités, puissent dire qu’ils ne se laisseront pas tromper par la droite, bien sûr, mais pas plus par ceux qui se disent de gauche. Il faut que les travailleurs puissent dire qu’ils ne se font aucune illusion sur les dirigeants politiques, qu’ils n’en attendent pas de solution à leurs véritables problèmes. Car, derrière les gouvernements, c’est le grand patronat qui décide et qui tire les ficelles.
Je sais, bien sûr, que je ne peux pas être élue. Ne peuvent être élus dans les circonstances habituelles que ceux qui sont appuyés par le grand capital, son argent, ses appareils politiques, son influence sur les chaînes de télévision.
Une candidate qui combat leur système n’a qu’une seule chance d’être élue : être portée par un très puissant mouvement social.
Mais, même élue dans ce genre de circonstances exceptionnelles, je ne pourrais rien faire sans que le mouvement social se prolonge bien au-delà des élections et puisse imposer au patronat les décisions qui pourraient, qui devraient être prises contre leurs intérêts privés afin de sauver les intérêts de la collectivité.
Il faudrait que ce soit le mouvement social, la puissance de la classe ouvrière, qui impose aux juges de respecter les lois prises en faveur des travailleurs et des pauvres.
Il faudrait que ce soit le mouvement social qui interdise à la police d’intervenir contre les travailleurs lorsqu’ils imposeront le contrôle de la population sur les finances des entreprises, sur leurs projets et sur leurs choix.
Il faudrait surtout que le mouvement social soit assez puissant pour briser la résistance du patronat lui-même.
Nous ne sommes pas dans cette situation aujourd’hui. Mais nous y serons un jour, j’en suis convaincue, car cette société est destinée à être remplacée.
Mais il faut que le vote de l’électorat populaire soit ressenti comme l’annonce ou du moins la possibilité d’une menace. Plus il y aura de votes contestataires d’extrême gauche, plus cela redonnera confiance à tous ceux qui en ont assez de recevoir des coups et qui ont envie de les rendre.
Contre le mur d’argent, comme on disait dans le temps, contre la dictature du capital, il n’y a pas d’autre moyen que la puissance des masses exploitées, que leur colère, qui fasse vraiment peur au grand patronat et à la bourgeoisie.
Voilà les idées que je défendrai dans cette campagne. Ce n’est pas le programme d’une personne ou d’une organisation, c’est un programme que seule l’action collective des travailleurs pourra imposer.
Aidez-nous à faire en sorte que nombreux soient ceux qui, dans les classes populaires, en votant pour ma candidature, montrent qu’ils partagent les idées que je viens de défendre. C’est la seule façon d’assurer que cette élection fasse plus que de chasser Sarkozy et d’amener Ségolène Royal.
Il faut que le score de l’extrême gauche contestataire montre, à la nouvelle équipe qui viendra au pouvoir comme au patronat, qu’à force de continuer la politique qui est menée depuis tant de temps, ils mettront le feu à la plaine !