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Message Publié : 17 Mai 2009, 10:34
par pelon
(Le Progrès de Lyon a écrit :
Plans sociaux : les victimes racontent

le 17.05.2009
Depuis un an, des milliers de salariés en France et en Europe ont perdu leur travail, laissés au bord des routes par des plans sociaux. Certains attendent la retraite, d'autres cherchent du travail, beaucoup dépriment, envahis par un sentiment d'abandon. Nous les avons rencontrés dans la région

Elles touillent leur café, assises sur le muret qui fait face à l'entrée de l'atelier. Bref moment de détente, mercredi, avant d'enquiller sept heures intensives à la chaîne. «On n'a plus envie, on a tellement été ballottés…» soupire, Violette, la cinquantaine, qui porte la blouse bleue d'Anoflex depuis plus de dix ans, après avoir vécu la fermeture de l'usine de chaussures Bally à Villeurbanne. Les ouvrières savent que le couperet va tomber, mais pas encore sur qui. «Tout le monde ne sera pas licencié et si on est dedans, ma foi, on sera dedans et ce sera dur car c'est la crise dehors», se résigne-t-elle.

Propriété du groupe allemand Continental, l'usine de Caluire et ses autres unités près de Lyon, délocalisera la moitié de sa production vers la Roumanie à partir de l'été. Un maximum de 157 licenciements, sur 507 salariés. Il sera, selon le délégué CGT Gérard Gressot, « sept à huit fois moins coûteux » de faire fabriquer des flexibles automobiles pour directions assistées hydrauliques à Timisoara que dans le Rhône. «Cette activité perd énormément d'argent», rappelle Alain Leprêtre, délégué syndical Unsa. «Pourtant, on n'a jamais eu autant de boulot, constate Michèle, la cinquantaine. Ils délocalisent pour gagner de l'argent. Inévitablement, on sera touchés mais on ne sait pas exactement comment ça va se passer, si on sera reclassés… A mon âge, si je me retrouve au chômage, c'est pas évident. Je retournerai travailler comme caissière mais avec un salaire plus bas.» Après dix-sept ans à l'usine, elle gagne 1 400 euros net sur 13 mois, dont environ 170 euros de primes «très irrégulières». La retraite est encore loin et la situation de son mari est fragile : ouvrier dans une usine qui ne fabrique plus qu'au ralenti des briques pour les hauts-fourneaux, il est «dans l'expectative».

Ni Violette, ni Michèle ne se sont mises à chercher du travail : elles veulent encore y croire. Peut-être est-ce lié aussi aux primes de licenciement arrachées lundi, après cinq jours de lutte historique et un blocage du site qui l'était tout autant. 19 000 euros plus 1 000 par année d'ancienneté, pour ceux qui perdront leur emploi. Une certaine consolation. «On aurait peut-être pu obtenir plus si les syndicats ne s'étaient pas entre-tués», disent-elles.

Allusion aux relations fratricides entre l'Unsa, majoritaire et réformiste, et la CGT, minoritaire et jusqu'au-boutiste.

Le personnel s'était mobilisé spontanément pour réclamer 50 000 euros de primes de départ, soit bien plus que les demandes syndicales initiales. Il a finalement voté pour la reprise du travail. Ici, selon un bon connaisseur du dossier, «pas de présence de Lutte ouvrière», comme chez Continental Clairvoix, pour structurer un rapport de forces à long terme. «Les syndicats se sont bouffés le nez, les employés ne savaient plus où ils en étaient : certains étaient contents de partir avec l'argent proposé, d'autres voulaient se battre pour l'emploi, c'était désordonné. Et la peur que l'usine mette la clé sous la porte a joué» résume cette autre salariée. «Moi, je pense que le plus important était de se battre pour l'emploi : les primes de départ ne remplaceront rien.» Des primes qui, selon sa collègue, risqueraient d'être rapidement englouties par les bénéficiaires. «Ah ça, oui, ça part vite, l'argent versé comme ça», opine-t-elle. Avec vingt ans de boîte derrière elle, elle pense n'avoir que peu de chances de retrouver du travail en cas de licenciement. «A mon âge, à part faire des ménages…» «Certains sont volontaires pour partir et ont des projets : la prime de licenciement pourra par exemple leur permettre d'ouvrir un commerce», espère néanmoins Alain Leprêtre, de l'Unsa. Ce sera le cas d'une minorité. La cinquantaine, peu ou pas d'autres expériences professionnelles : le profil le plus répandu dans cette usine où un certain fatalisme s'est installé à la longue, en dépit du sursaut d'orgueil observé lors du blocage du site. Parce que le travail peut devenir un broyeur d'une redoutable efficacité, selon ces employées qui livrent une des clés possibles de ce drame social : «Les patrons sont les premiers responsables mais on a réagi trop tard. Les délocalisations ont commencé peu à peu, il y a cinq ans et c'est là qu'il aurait fallu bouger. On ne l'a pas fait car les cadences étaient infernales et ces productions qui partaient nous débarrassaient d'une charge de travail très pénible ». D'abord, les flexibles de Mercedes, puis ceux de Volvo… Il ne reste plus aujourd'hui, en gros, que ceux fabriqués pour Renault, PSA et Citroën. Sans oublier la production destinée aux poids lourds, que la direction veut renforcer à Lyon. « Mais avec les industries bazardées partout, on se demande si ça va durer » dit cette ouvrière.

Nicolas Ballet