L'une des particularités d'UPSA est de s'être développée selon un modèle très paternaliste. C'était le cas avant 1994 à l'époque de la famille fondatrice Bru, bien introduite auprès des politiciens locaux. Le rachat par BMS en 1994 avait constitué un premier électrochoc, et s'était traduit par la cession de deux usines de chimie qui faisaient alors partie d'UPSA, mais finalement, la croissance des activités avait endormi la méfiance de bien des travailleurs. De fait, les syndicats présents dans l'entreprise ont longtemps été peu combatifs et peu critiques vis-à-vis de la direction, et le côté paternaliste a perduré.
Ces dernières années, les choses ont commencé à changer, avec des suppressions d'emplois chez les commerciaux rattachés au siège de Rueil-Malmaison en région parisienne (la totalité des visiteurs médicaux a disparu et tout a été sous-traité), et diverses réorganisations, le non remplacement de certains départs etc. qui font qu'Agen est retombé à 1.300 personnes. Il y a des tractations avec les pouvoirs publics concernant le statut du paracétamol (qui pourrait être déremboursé en tout ou partie), mais aussi le prix élevé demandé par BMS pour ses nouveaux médicaments et dans lequel le coût du bon vieux paracétamol pour la Sécu peut être une monnaie d'échange. BMS a laissé UPSA tranquille tant que c'était une manne, mais maintenant que cela commence à changer, UPSA l'intéresse moins. Le groupe s'est par ailleurs défait de toutes les activités de médicaments sans ordonnance à travers le monde et UPSA est le dernier gros morceau, à part la Chine.
Il y a eu aussi certains revers commerciaux dûs à des problèmes de qualité, sur le Fervex très vendu en France et en Europe de l'Est, ou encore sur le sirop Efferalgan pédiatrique surtout vendu en Afrique. UPSA s'est fait tailler des croupières par ses concurrents et les volumes des usines d'Agen se sont mis à chuter sans que le groupe ne parvienne à enrayer le phénomène.
Il y a 3 ans, BMS a décidé de redonner à UPSA un statut de filiale à part entière qu'il n'avait plus depuis longtemps, tout en cherchant à rassurer les syndicats. Ceux-ci ont gobé la plupart des bobards de la direction, sauf un tout récent syndicat SUD et une fraction de FO (qui, à cette occasion, a rejoint SUD) pour qui cela signait le début d'un processus de cession d'UPSA, ce que la direction a toujours démenti. Une partie croissante du personnel a commencé à se méfier. Les difficultés dans l'usine liées à la réalisation de toutes sortes de chantiers, les décisions parfois absurdes qui ont contribué à faire chuter les volumes etc., ont aussi installé un climat d'inquiétude, de même que, l'an dernier, le lancement d'une "étude" pour mettre en sous-traitance trois services chez Veolia (UPSA y a renoncé car c'était finalement moins économique que de les garder).
Pour des raisons fiscales, il était préférable pour BMS d'attendre 3 ans après la filialisation pour organiser la mise en vente d'UPSA. Ces trois ans étant tout juste révolus, les choses bougent.
La direction de BMS a prévenu les politiciens locaux qu'UPSA allait être vendue, mais il y a eu une fuite dans la presse locale, au moment précis où BMS devait présenter aux membres du Comité Central d'Entreprise les "orientations stratégiques" de BMS et d'UPSA sans faire mention d'une quelconque cession. Pris de court, et en catastrophe, un RH au beau milieu de la séance a lu un communiqué informant que BMS avait lancé une "revue stratégique" des activités d'UPSA qui pouvait conduire aussi bien à vendre UPSA qu'à la garder. La direction a insisté sur le fait que l'option "garder et développer" était tout aussi possible que l'autre, "céder".
Manque de bol pour les patrons, voilà que l'agence de presse londonienne Reuters fait état d'une autre fuite au niveau de la direction du groupe BMS et affirme que deux banques ont été mandatées pour organiser la vente et la recherche d'un repreneur :
Bristol-Myers Squibb charge deux banques de la vente d'Upsa
par Ben Martin, Pamela Barbaglia et Arno Schütze - 5 juillet 2018
LONDRES (Reuters) - Le groupe pharmaceutique américain Bristol-Myers Squibb (BMS) a engagé deux banques afin de vendre Upsa, sa division française de médicaments sans ordonnance, qui pourrait être valorisée plus d’un milliard d’euros, ont rapporté jeudi à Reuters deux sources au fait des discussions.
Deutsche Bank et Jefferies préparent le processus de vente du fabricant du Dafalgan et de l’Efferalgan, qui devrait être lancé après l’été, ont-elles précisé.
La division Upsa a généré un chiffre d’affaires de 425 millions d’euros en 2017 et un bénéfice brut d’environ 100 millions d’euros. Elle pourrait être valorisée jusqu’à 1,5 milliard d’euros, a ajouté l’une des sources.
Reuters précise même que :
Upsa devrait susciter l’intérêt d’une série de sociétés européennes soutenues par des fonds de capital investissement, qui cherchent à développer leur portefeuille de médicaments, ont indiqué les sources.
Elles ont cité parmi les éventuels candidats le fabricant allemand de médicaments génériques Stada, contrôlé par les fonds Bain Capital et Cinven, et le laboratoire français Zentiva, vendu cette année à la société de capital investissement Advent.
L’italien Recordati, qui a récemment conclu un accord pour céder une participation majoritaire à CVC, pourrait également se lancer, ont ajouté les sources.
Des laboratoires américains, dont Mylan et Procter & Gamble, devraient également faire une offre pour le fabricant du Fervex.
La direction est donc démasquée dans son mensonge : en guise de "revue stratégique", l'option "garder" n'existera que si BMS n'arrivait pas à céder, ce qui est peu probable...
Il est aussi évident qu'une bonne partie des notables locaux sont dans la confidence de BMS et savent parfaitement depuis plusieurs semaines que le risque d'une vente est élevé et que c'est le repreneur qui assumera les dégâts sociaux.
Le problème pour les travailleurs n'est pas tant de changer de patron, il est surtout que le lâchage par BMS intervient à un moment d'incertitude sur une grande partie de l'activité, de chute des volumes, de manque de travail sur un nombre croissant de lignes. Et puis, il y a tous les risques qu'un repreneur préfère adopter une structure "maigre" c'est-à-dire avec davantage de sous-traitance qu'aujourd'hui, des effectifs bien plus faibles etc., peut-être même la revente des usines pour ne garder que les marques. Enfin, le siège social en région parisienne est particulièrement exposé si le repreneur en a déjà un en France.
Pour l'instant, cela discute beaucoup dans la boîte, et tous les syndicats expriment aussi publiquement leur inquiétude. Ce qu'il faut espérer, c'est que de plus en plus de travailleurs ouvrent les yeux et envisagent de se battre, car les mois qui viennent risquent d'être agités. Une victoire dans une usine voisine (l'ancienne chimie d'UPSA, qui s'appelle AMRI / Euticals) où la simple menace de faire grève a permis aux travailleurs d'obtenir une prime de 1.500 euros, commence aussi un peu à faire parler.