Elle n’a pas d’habits pour venir...

Elle n’a pas d’habits pour venir...

Message par com_71 » 21 Juil 2022, 17:51

Le Monde, 21/07 a écrit :« A 7 h 50, une de mes élèves m’appelle. Elle n’a pas d’habits pour venir au collège »

Un professeur d’histoire-géographie de Toulouse a livré le récit, à la fin de juin sur Twitter, de la misère qu’il observe au quotidien dans son établissement et des cas de décrochage, qu’il estime plus nombreux depuis la pandémie de Covid-19.

On dit de la pauvreté à l’école qu’elle est « silencieuse », « discrète ». Qu’il n’est pas toujours simple, pour les enseignants, de la repérer. Si Antoine Combes, professeur d’histoire-géographie en collège, a le sentiment qu’il n’a pas été « formé pour », il a aussi la certitude, après quatorze années de métier – sept en région parisienne, sept à Toulouse, toutes en éducation prioritaire – qu’il ne peut pas l’éviter.

Aux derniers jours de l’année scolaire, il a aussi eu l’impression qu’il ne pouvait plus la taire : c’est sur le réseau social Twitter que ce professeur de 39 ans, pas syndiqué, « pas très politisé » comme il le dit lui-même, a livré son témoignage. En dix tweets, certains « likés » ou commentés des milliers de fois.
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Ce « fil » devenu viral débute le 30 juin, premier des deux jours d’épreuves du diplôme national du brevet (DNB). « Aujourd’hui c’est le DNB. A 7 h 50 ce matin, une de mes élèves m’appelle. Elle me dit qu’elle ne sait pas quoi faire car elle n’a pas d’habits (sic) pour venir au collège. Je lui réponds, un rien sidéré, qu’elle est grande et qu’elle peut se débrouiller. »

Deuxième salve : « Je la rappelle par acquit de conscience à 8 h 30, heure à laquelle sont convoqués les élèves pour leur première épreuve [il s’agit du français, qui commence à 9 heures]. Elle me répète qu’elle ne trouve pas de vêtements et que sa mère dort. Je lui demande de réveiller sa mère pour qu’elle l’aide. »

De tweet en tweet, on comprend que la mère travaille de nuit. Qu’au réveil, elle panique elle aussi ; que le ton et l’émotion montent. Que toutes deux vivent dans le quartier Reynerie – et pas à Bagatelle, celui du collège –, un « autre monde de l’autre côté du périph ».

« Pas de convocation. Pas de carte d’identité »

Cinquième post de l’enseignant : « Je lui propose de venir la chercher. C’est à dix minutes [en voiture]. J’ai l’accord de ma cheffe. » Message suivant : « La petite descend, habillée comme elle a pu, elle monte et je démarre. La première chose qu’elle me demande, c’est si elle peut fumer. Elle a un stylo, son téléphone et ses clopes. Pas de convocation. Pas de carte d’identité. »

Les derniers messages racontent le trajet en voiture, « sans un mot, avec une odeur de tabac froid et de fringue mal séchée ». L’arrivée au collège et l’acceptation de l’adolescente dans la salle d’examen malgré son retard – il est 11 h 25 – « sous le regard mi-interloqué mi-attristé des adultes du bahut, qui, sans avoir le détail, ont compris l’essentiel ».

Dans l’épilogue – son dixième post –, Antoine Combes parle de lui et de sa « peur de la rentrée ». Une première, pour cet enseignant chevronné. Une façon, aussi, nous explique-t-il, de ne pas se voir reprocher de « faire du buzz sur le dos d’une élève et de sa famille ». « Je me suis posé la question de partager cette histoire ; j’ai hésité… Et puis je me suis dit que c’était suffisamment important, suffisamment symbolique, pour être partagé. » « C’est mon histoire de DNB, écrit-il donc, en guise de conclusion. C’est une histoire d’éducation prioritaire, aussi. De REP+ [réseau d’éducation prioritaire renforcé] de province. La misère n’est pas plus belle au soleil. »

Une misère croissante ? Il ne se sent pas à même de l’affirmer : « Je ne mène pas d’enquête, ce n’est pas mon rôle. » Il n’empêche : à son échelle, il perçoit une « bascule avec la crise sanitaire ». « De confinement en mise à l’isolement, explique-t-il, on a vu des élèves en perdition au collège, et je pèse mes mots. Officiellement, il n’y a pas eu plus de décrochages avec le Covid. Mais mon impression, c’est qu’on a amené jusqu’en 3e des élèves de moins en moins autonomes, qui ont perdu leurs habitudes de travail ou ne les ont jamais acquises. Certains, aujourd’hui, ne sont pas loin du point de rupture. »

C’est ce qu’il a voulu éviter : le 30 juin, sa jeune élève a noirci deux copies doubles, en une heure. « C’est ce que m’ont rapporté des collègues », dit-il. Elle n’a pas décroché son brevet pour autant. Mais l’histoire a quand même son happy end : après l’intervention de la direction du collège, la jeune fille a obtenu une place, en septembre, dans un lycée professionnel pour faire un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) coiffure, alors qu’elle avait essuyé plusieurs refus en fin d’année. Mère et fille, en l’apprenant, étaient en larmes, souffle Antoine Combes. Et, cette fois, de bonheur.

Mattea Battaglia
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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