Le Monde, 21 novembre 1951 a écrit :LA CRUE DU PO prend les proportions d'une catastrophe nationale
Rome, 20 novembre. - La catastrophe qui s'est abattue sur toutes les régions du bassin du Pô, des hauteurs aux plaines, appartient à la catégorie des drames lents. Cela a commencé par des pluies torrentielles qui ont enflé les fleuves, les rivières et les torrents. L'eau a débordé. Elle a envahi les terres et les maisons, coupant les routes et les voies ferrées. Puis elle s'est précipitée sur les bourgs, sur les villages, sur les villes, noyant les récoltes, les meubles, le bétail. Elle charrie maintenant d s dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants.
L'émoi populaire a grossi dans la même proportion que les eaux. Aujourd'hui la nation entière est en deuil. On ne parle pas d'autre chose. On ne s'occupe pas d'autre chose. La radio et les journaux se sont détournés des affaires du monde.
Le nombre des victimes n'est pas connu : il dépasse certainement la centaine. Deux cent mille réfugiés sont dispersés dans la Vénétie, dans l'Emilie, dans la Lombardie et jusqu'à Rome. Les enfants d'un côté, les parents de l'autre. Et le montant des dégâts matériels ? 15, 20, 30 milliards de lires ? Qu'importe la somme ! Il s'agit pour l'heure de vies et de douleurs humaines. Pour l'heure, oui. Demain...
Solidarité nationale et entraide mondiale
Le désastre s'illumine d'admirables exemples de solidarité, de courage et de détails tragiques. Un camion transportant quarante et un passagers évacués avait été balayé par une vaque soudaine devant Rovigo. On n'a pu repêcher que sept survivants. Un huitième a reparu, comme un fantôme, deux jours plus tard aux yeux de sa femme. Il avait été sauvé après avoir passé trente-six heures accroché à une branche d'arbre. Des isolés, rassemblés sur des tertres ou sur des toits réclament des secours en étalant des draps, en allumant des feux d'alarme, en tirant des coups de fusil.
Trois hélicoptères sont en service. Des avions et des hydravions Jettent des paquets de vivres et de vêtements sur les agglomérations sinistrées : Adria, Cavarzere, Loreo, Donada, Contarna, pour ne citer que les principales. Des hommes sont parachutés pour les soins médicaux...
Les observations éclairées et éclairantes du révolutionnaire marxiste Bordiga :
https://www.marxists.org/francais/bordi ... 511208.htm
dont sa conclusion d'un solide optimisme de communiste :
...Le fleuve immense de l’histoire humaine a lui aussi ses crues irrésistibles et menaçantes. Lorsque le flot s’élève, il mugit entre les deux digues qui l’enserrent. À droite, c’est la digue conformiste, pour la conservation des formes existantes et traditionnelles - un passage continu de prêtres psalmodiant en procession, de flics et de gendarmes en patrouille, de maîtres d’école et de charlatans débitant les mensonges officiels et la scolastique de classe.
À gauche, la digue réformiste : s’y entassent les hommes dévoués au peuple, les professionnels de l’opportunisme, les parlementaires et les chefs des organisations progressistes. Échangeant des injures de part et d’autre du courant, les deux cortèges prétendent posséder la recette pour faire en sorte que le fleuve puissant continue son cours réprimé et forcé.
Mais au grand tournant de l’histoire, le courant brise toutes les entraves, sort de son lit et « saute », comme le Pô à Guastalla et au Volano, dans une direction inattendue, emportant les deux bandes sordides dans la vague irrésistible de la révolution, renversant les digues anciennes de toute sorte, et donnant à la société comme à la terre une face nouvelle.