Son livre Le réel est-il voilé ? en est une réponse et critique de cette position. Bernard d'Espagnat est l'une des figures contemporaines (décédé en 2015) de la mécanique quantique en France. A travers plusieurs livres, A la recherche du réel, Le réel voilé, il défend une thèse qui se veut dépasser, ni plus ni moins, l'opposition matérialisme / idéalisme.
La chose n'est pas nouvelle, un Eugen Duhring qui voulait refonder la science (et le socialisme avec) en eut sa postérité par le livre d'Engels. Puis vinrent les Mach, Avenarius et autres Bogdanov dont ce fût au tour de Lénine de s'y opposer, avec Matérialisme et empiriocriticisme.
La mécanique quantique est, avec les théories de relativité, confirmée par des expériences d'une précision jamais atteinte auparavant. Et les multiples applications dans la vie de tous les jours le confirment. Que ce soit le transistor, la microscopie à effet tunnel, etc.
Elle montre un comportement déroutant de la matière à l'échelle atomique, défiant entendement et logique classique, que ce soit l'ubiquité des particules, l'indétermination de certaines données, le caractère probabiliste, la superposition d'états (avec le greffier de Schrödinger, ne pas confondre avec la dualité des pouvoirs) ou bien la dualité onde/corpuscule ou encore l'intrication.
Dans une société capitaliste sénescente, l'idéalisme s'immisce partout et y compris dans la science. Et cette révolution quantique fût une occasion pour certain de remettre au goût du jour différentes positions qui vont d'un positivisme sans vague (ou plutôt onde, ici) à l'idéalisme y compris dans sa forme la pure et la plus débile, le solipsisme, s'appuyant sur la soi-disant influence de l'observateur sur la mesure.
Au passage, il y a l'utilisation des termes de la mécanique quantique par des charlatans qui prétendent guérir ou vendre une camelote, comme, signe du temps, une crème de Guerlainpinpin...
Dans A la recherche du réel, on doit à d'Espagnat une très bonne explication des inégalités de Bell, sans même les citer, en l'illustrant avec des échantillons de populations (p.ex. des étudiants).
Ce livre avait été écrit avant les expériences d'Alain Aspect qui vaudront le prix Nobel de physique à ce dernier. Ces expériences permettaient de trancher indubitablement dans le débat Bohr-Einstein sur l'intrication en montrant que les inégalités de Bell étaient belles et bien violées en mécanique quantique. D'Espagnat tenait pour acquis le résultat alors que les expériences précédentes avaient donné des résultats contradictoires et peu fiables.
La thèse du réel voilé est, en gros, que nous ne pouvons avoir une totale appréhension de la réalité, en n'ayant accès qu'à travers nos capacités et nos instruments. Kant et son inconnaissable ne sont pas loin.
D'Espagnat a son vocabulaire et réalisme signifie matérialisme philosophie de l'expérience remplace positivisme et idéalisme radical à la place de solipsisme. Cela lui évite de dire qu'il n'est pas matérialiste.
Lederer est un membre du PCF et de Une autre voix juive. Et l'éditeur est Le temps des cerises, dont com a parlé récemment et qui abrite son lot de stals et autres gauches, mais pas que. On trouve quelques classiques du marxisme dont une réédition de _L'origine de la famille..._ préfacé par Darmangeat.
Lederer se pose en matérialiste en réponse à d'Espagnat et autres positions positivistes ou idéalistes.
Les premières lignes, après avoir cité La lettre aux aveugles de Diderot :
Diderot, contemporain de l'évêque Berkeley, n'aurait sans doute pas imaginé que, plus de deux siècles après sa mort, les humains disposeraient de machines automatiques capables de remplacer les hommes dans la production, [...], pourraient converser à distance avec leurs semblables tout en voyant leur image vivante sur écran, envoyer d'autres humains sur la lune, déchaîner le feu du soleil en effaçant des villes entières [...]. Mais ce qui l'aurait stupéfié c'est la persistance, la vivacité d'un courant philosophique déniant à l'humanité la possibilité de connaître le monde.
Après une introduction sur la philosophie, les bases de la mécanique quantique, sont denses mais nécessaires mettant les pendules à l'heure concernant le principe d'indétermination (et non d'incertitude) de Heisenberg et la trajectoire d'une particule.
Ensuite est exposée la thèse du réel voilé à laquelle Lederer répond dans les chapitres suivants. D'une part, la mécanique quantique ne remet aucunement en cause le matérialisme. Il est même le seul permettant de construire une théorie de la connaissance. D'autre part, les aspects déroutants de la mécanique quantique n'invalident pas la mécanique classique en considération des échelles. Sinon, que dire de l'incompatibilité de la relativité et de la mécanique quantique ?
L'auteur souligne ainsi que la mécanique newtonienne eut son lot d'aspects déroutants. Que ce soit le principe d'équivalence de Galilée, les équations de Maxwell inaugurant l'électromagnétisme ou la statistique des gaz de Boltzmann, ne s'attachant pas à appréhender toutes les molécules d'un gaz mais ces effets macroscopiques.
Alexandre Koyré, historien et philosophe des sciences, disait que la physique moderne, depuis Galilée, explique le réel par l'impossible.
L'auteur fait référence par deux fois à Matérialisme et empiriocriticisme. Mais également à Lucien Sève, philosophe et dirigeant du PC.
Il prolonge avec la dialectique, dont la mécanique quantique est une illustration parfaite qu'elle est la seule à même d'appréhender ses aspects contradictoires. Il pense d'ailleurs que certains débats en science sont artificiellement prolongés par l'absence de raisonnements dialectiques.
Ainsi, D'Espagnat illustre à merveille la superposition d'états, il est à la fois réaliste et idéaliste. Par contre, si l'on le mesure, la réduction de son paquet d'onde retourne invariablement l'idéalisme...
Le livre a pas mal d'équations et il y a des passages ardus, certains m'ont d'ailleurs échappés.
Ce post étant déjà assez long, je compléterai ultérieurement par l'annexe du CLT n°139 sur les sciences et le communisme.