Enseigner la préhistoire.

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Jacquemart » 23 Jan 2004, 10:23

Ma caractérisation des idées de Gould n'étaient peut-être pas nuancée, mais c'est parce que les idées de Gould ne le sont pas non plus. Malheureusement, je n'ai pas le bouquin sous la main et ne peux donc le citer directement. J'en suis donc réduit à piocher sur le Net des citations de seconde main. Mais en voici une :

"[i]Je crois que les spécialistes les mieux avertis de la vie ont toujours eu le sentiment que les archives fossiles décevaient l'espoir d'y trouver le réconfort désiré pour la pensée occidentale : un signal clair de l'existence d'un progrès se traduisant par une complexité sans cesse croissante, au cours du temps, de la vie dans son ensemble. Les données immédiates confirment ce sentiment, car, comme dans le passé, la plupart des environnement sont encore aujourd'hui [b]dominés[/b] par des formes organiques élémentaires [bactéries]. Face à une telle évidence, les défenseurs du progrès (...) se sont alors désespéremment raccrochés à un autre argument (...). Ils se sont étroitement focalisés sur l'histoire de l'organisme le plus complexe (l'homme, note de Jacquemart[/i]) et ont invoqué la complexité sans cesse croissante de cet organisme au fil du temps comme comme un substitut fallacieux au progrès de la vie dans son ensemble"

Et une autre, faisant suite à l'hypothèse d'un remake du développement de la vie sur terre :

"la probabilité pour que ce scénario fasse apparaître une créature ressemblant, même de loin, à un être humain est effectivement nulle, et celle de voir émerger un être doté d'une conscience, extrêmement faible"

Ces deux citations sont tirées du dernier ouvrage de Gould, significativement intitulé "L'éventail du vivant - Le [b]mythe[/b] du progrès" (c'est moi qui surligne).

Cela s'appelle jeter l'enfant avec l'eau du bain, le progrès avec le finalisme, et le déterminisme avec le mécanisme.

Pour répondre à Rojo : le problème de ces raisonnements sur les formes biologiques - ou sur les formes sociales, car c'est la même discussion - est que la question de l'échelle joue un rôle fondamental.

Pour faire court, je dirais que le hasard joue un rôle d'autant plus grand que l'échelle (de temps, de lieu, de variations) est petite. Et son rôle est d'autant plus réduit que l'échelle considérée est grande. L'erreur de Gould est d'étendre des raisonnements valables uniquement à petite échelle.

Bien sûr que certains mammifères peuvent localement évoluer vers des caractères différents, dont certains seront retenus en fonction de variations contingentes. Et à cette échelle, cela n'a pas de sens de parler de progrès. Mais posons nous la question autrement : quels sont les organismes qui seront produits (sélectionnés) par de [b]multiples [/b]variations contingentes, par de multiples catastrophes ou crises affectant leur environnement ? Ce sont nécessairement [b]les plus indépendants par rapport à ces variations du milieu[/b].

Les organismes multicelulaires possèdent un avantage décisif par rapport aux unicellulaires. Les vertébrés possèdent un plan général d'organisation qui leur confèrent un avantage décisif par rapport aux invertébrés, en particulier la faculté de développer un gros cerveau (c'est-à-dire une large cgamme de réponses au milieu) sans que cela entre en conflit avec leur tube digestif. Les reptiles possèdent un avantage décisif sur les batraciens, celui d'avoir un oeuf à coquille dure, donc de pouvoir procréer même en milieu sec. Etc, etc.

C'est cela qui a fait que tôt ou tard, ces organismes devaient nécessairement apparaître et connaître un développement, quellles que soient les circonstances - contingentes - de ce développement. Pour le dire autrement, la séquence précise des événements qui a conduit telle ou telle lignée à émerger, puis à connaître un succès évolutif, est une suite de hasards. Mais ce n'est pas un hasard si au bout du compte c'est cette lignée qui s'est imposée.

De la même manière, l'émergence puis le triomphe historique de la bourgeoisie est constitué d'une suite de hasards (ah, si Louis XVI avait été moins bête, etc.). Mais est-ce un hasard si au bout du compte le capitalisme et la société bourgeoise se sont imposés sur le féodalisme ?

Et pour reprendre les termes de Gould, si on redéroulait le film de l'histoire, la probabilité de parvenir à un certain stade de développement, à une société marchande, basée sur la propriété privée et ayant soumis l'ensemble de la planète serait-elle infime, ou au contraire très forte ?
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Message par volodia » 23 Jan 2004, 11:57

En effet je suis assez séduit par le raisonnement consistant à dire que l'évolution va dans le sens d'une indépendance croissante du milieu (donc, grossièrement, vers les mammifères) et aussi d'une centralisation croissante du système nerveux, donc, pour faire court vers l'apparition de la conscience. Et par conséquent, de l'homme (même s'il pourrait toujours avoir un doigt de plus et 50 cm de moins sur une autre planète où la vie serait apparue.)

En l'absence d'expérience témoin, ceci reste néanmoins difficile à prouver. Et le risque est de raisonner en disant "ce qui est ne pouvait pas ne pas être", autrement dit puisque ça c'est passé comme ça... ça doit toujours se passer comme ça. Ce qui n'est pas très révolutionnaire, vous en conviendrez...

Par ailleurs l'extrapolation de ceci aux sciences sociales (ce que dit Rojo) ne me paraît pas évidente. L'inéluctabilité du socialisme, telle que la brandissaient les penseurs du mouvement ouvrier jusqu'au début du 20ème, doit sans doute être un peu nuancée. D'ailleurs à LO on parle davantage du choix entre socialisme et barbarie que de l'inéluctabilité du socialisme. (A juste titre, de mon point de vue.)
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Message par volodia » 23 Jan 2004, 12:03

Enfin pour revenir à la question initiale de Nicojenesaispluscombien, à mon avis on peut tranquillement affirmer que parmi les nombreuses espèces d'australopithèques qui se trimbalaient en Afrique il y a 3 millions d'années, c'était couru d'avance qu'au moins une -et sans doute plusieurs- connaisse une évolution dans le sens d'un développement accéléré du cerveau. Après, savoir quelle branche allait s'engager dans ce sens, à quelle vitesse, dans quelle région, comment se passerait sa concurrence avec les autres... tout ça le hasard le commande en partie. Mais la tendance générale était inéluctable.
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