Enseigner la préhistoire.

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Barnabé » 24 Jan 2004, 00:04


a écrit : Prendre comme critère d'évolution l'indépendance par rapport au milieu (dont la taille relative du cerveau n'est qu'un aspect), cela peut te sembler arbitraire, et dans une certaine mesure ça l'est. Mais ni plus ni moins que le critère des forces productives pour juger du développement d'une société.

Il n'y a pas de bons et de mauvais critères "en soi". Il y a des critères adéquats, ou non, au problème que l'on discute.

Je crois qu'il y a quand même une différence. Nous sommes d'accord pour dire:
a écrit : Mais cette complexité est un produit et pas une cause de l'évolution

Or le développement des force productives n'est pas simplement un effet du développement des société, il en est le moteur.

Pour le reste je comprend que tu veuilles tordre le baton face au relativisme absolu qui laisse tout au hasard (et jette le bébé du déterminisme avec l'eau du bain du finalisme), mais je pense qu'on peut dire que l'évolution suit des lois et qu'il y a une nécessité sans remettre en avant la complexité comme critère (ce qui ne me semble justement pas adéquat pour comprendre le fonctionnement justement des lois de l'évolution).
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Message par Jacquemart » 24 Jan 2004, 08:27

Bon, on ne va pas forcément épiloguer 107 ans sur cette question, parce qu'on va finir par tourner en rond... si ce n'est pas déjà fait. Donc je me permets d'être un peu long (un pelon ?) mais promis, après, je m'arrête... sauf si on me remet en marche.

Je pense qu'un aspect essentiel du problème est le glissement que tu opères, Barnabé (et toi aussi, Rojo), entre les mécanismes de l'évolution et la place respective du hasard et de la nécessité dans ses résultats. Au départ, je discute uniquement de la seconde, et absolument pas des premiers.

Encore une fois, il est bien clair que les mécanismes de l'évolution sociale n'ont rien à voir avec ceux de l'évolution biologique. Au niveau "moléculaire", il ne se passe pas du tout la même chose ; les "mutations" ne sont pas du même ordre, le processus de "sélection" non plus, etc. etc.

Mais une fois que l'on a dit cela, et qu'on le garde en tête, la question que l'on peut se poser - et que bien des gens posent, est : le produit global de cette évolution était-il nécessaire, probable, déterminé ? Ou, pour paraphraser Gould, si on secouait à nouveau les dés, obtiendrait-on à chaque fois quelque chose de radicalement différent ? Notre histoire (biologique, sociale) est-elle la réalisation d'une tendance déterminée (ce qui n'exclut pas une part de hasard quant aux modalités précises de sa réalisation), ou cette tendance n'est-elle qu'une illusion (anthropocentrisme en biologie, occidentalo-centrisme en matière sociale) que nous plaquons après coup sur notre trajectoire improbable ?

Il me semble qu'il y a une manière de répondre à ces questions qui est cohérente avec la philosophie marxiste, et d'autres qui ne le sont pas. D'autant plus que dans le domaine de l'évolution sociale, cette discussion possède une implication directe sur la nécessité de la société communiste (et dans le domaine biologique, une implication indirecte, par la méthode de raisonnement employée).

Il ne s'agit pas de "tordre le bâton", comme disait Barnabé, il s'agit de le mettre à la bonne place.

Car quelles que soient les différences au niveau des mécanismes qui sont mis en jeu dans l'évolution biologique et dans l'évolution sociale, ces deux évolutions ont ceci en commun qu'elles tendent à faire émerger des organismes de plus en plus performants - complexes - polyvalents - indépendants de leur milieu (rayer les mentions inutiles). Bien sûr, ce n'est pas leur seul résultat. Mais c'est un résultat majeur pour des militants qui veulent faire évoluer la société !

Et inversement, les discours qui nient cette tendance, qui nient la notion même de progrès, qui mettent en avant la place du hasard dans le résultat final de l'évolution, ces discours aboutissent (consciemment ou non) à saper les bases de nos raisonnements de militants communistes.

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Message par Jacquemart » 25 Jan 2004, 13:02

En réponse aux deux posts de Canardos : sur le fond, je pense qu'on a un vrai désaccord. Je vais tâcher de ne pas être trop long, parce qu'on commence sérieusement à se répéter. Mais ça ne va pas être facile...

Sur Gould :
a écrit :Il dit simplement que la direction de ces adaptations a été determinée par des évenements liés aux hasard (...) et qu'il n'y a donc aucune tendance obligatoire (...) vers l'augmentation de la complexité ou vers l'intelligence par exemple... il rappelle qu' en termes de bio-masse par exemple les vers de terre sont une bien plus grande réussite adaptative que nous mais si ils n'ont pas de site web...

Il dit "simplement" cela ? Mais c'est là tout le problème ! Je suis désolé de faire une fois de plus le parallèle avec l'évolution sociale, mais pour des marxistes, c'est tout de même le fond de toute l'affaire. Que dirais-tu d'un historien qui prétendrait "simplement" que le remplacement de l'esclavagisme antique par le féodalisme, ou le remplacement de ce dernier par le capitalisme, n'auraient été que le fruit d'une succession de hasards et qu'il n'y avait aucune nécessité vers l'apparition de formes sociales de plus en plus complexes et de plus en plus productives ? Cet historien pourrait-il être qualifié de marxiste, même s'il prétendait l'être ?
a écrit :Il a combattu toutes les conceptions religieuses à la Teillhard de Chardin qui affirmenr que le sens de l'évolution est pré-orienté de fàçon automatique vers la complexité et l'intelligence en rappelant que le processus qui abouti à à l'homme est le produit d'une série d'évements contingents.

Oui, les religieux parlent d'évolution - quand ils l'acceptent - pré-orientée (évidemment, "pré-" orientée par qui ?). Mais enlève ce petit préfixe, et tu obtiendras la conception d'une évolution orientée (ce qui ne veut pas dire orientée de manière exclusive) vers la complexité et l'intelligence, non par une volonté surnaturelle, mais par les mécanismes de sélection et les crises. Une telle conception n'a plus rien de religieux, et c'est la conception marxiste.
Quant aux événements qui ont mené à cette tendance, il s'agit certes d'une suite d'innombrables événements contingents. Mais cela n'empêche pas la tendance, elle, d'être parfaitement déterminée. C'est cette face de la dialectique que Gould combat ou évacue systématiquement.
L'apparition de formes de plus en plus complexes n'est pas le seul produit de l'évolution. Mais elle en est un produit, et un produit qui nous intéresse tout particulièrement en tant que marxistes. Comment explique-t-on ce fait ? Voilà la question qu'il faut poser à Gould et à ses idées.
Pour prendre un parallèle, l'émergence des multinationales et des oligopoles dans le capitalisme est à chaque fois le produit de millions d'événements contingents. Mais cela n'empêche pas que cette émergence soit en même temps le produit d'une tendance nécessaire, d'une "loi économique", immanente à l'économie de marché.
Alors, en biologie, on peut défendre mille points de vue, selon le problème dont on discute. Bien sûr, pourquoi pas dire qu'en termes de kilos, les vers de terres sont plus performants que les hommes ? Et en terme de nombre d'espèces, les insectes plus performants que les mammifères, etc. Tout cela est incontestable. Mais nous, en tant que marxistes, ce qui nous intéresse particulièrement dans l'évolution biologique, c'est l'aptitude qu'a eu la vie à s'organiser de manière de plus en plus complexe et indépendante du milieu. Et nous avons un point de vue "philosophique", si l'on veut, sur cette tendance que nous croyons nécessaire. Sur les sociétés, bien des gens nient la notion de progrès historique, en arguant par exemple du fait que les actes de barbarie sont au moins aussi nombreux, si ce n'est plus, que dans les sociétés du passé. C'est un critère comme un autre. Mais est-ce le bon critère pour des marxistes ?
Et pour finir, ta remarque sur le fait que :
a écrit : nous sommes aussi étroitement dépendants de notre milieu, je l'ai expérimente il y a deux semaines quand j'ai été privé 5 jours d'electricité, mais c'est un milieu que nous avons complètement transformé (...)

Que veux-tu montrer en disant cela ? Que l'humanité n'est pas acquis une totale indépendance vis-à-vis de son milieu ? Mais c'est évident, cela n'est pas le cas et cela ne le sera jamais ! Mais nierais-tu pour autant que la société capitaliste, par la croissance des forces productives, a pas permis à l'humanité d'être plus indépendante vis-à-vis des conditions naturelles que les sociétés du passé ? C'est cela, la vraie question que tu esquives.
Je persiste et signe, le "relativisme" et l'éloge de la contingence de Gould en matière biologique sont le pendant de raisonnements anti-marxistes en matière sociale. Cela n'empêche pas de lire ses livres avec intérêt, mais il faut savoir à qui et à quoi on a affaire.
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Message par volodia » 25 Jan 2004, 15:30

Je trouve que le dernier post de Nico est tout à fait symptomatique des problèmes que pose la volonté forcenée de faire des parallèles tirés par les cheveux entre évolution sociale et évolution biologique.

En fait non, il n'y a pas d'autre moteur que la sélection naturelle. Tout au plus faut-il examiner si elle s'applique à l'échelle d'un individu ou d'une population ; car parfois un caractère désavantageux pour l'individu qui le porte peut offrir un avantage au groupe auquel il appartient. Ainsi, par exemple, on observe que dans les combats entre mâles pour la dominance sexuelle, le plus fort tue rarement ses concurrents et se contente de les mettre en fuite. De son point de vue individuel, il aurait sans doute intérêt à les tuer. Mais cela affaiblirait le groupe et réduirait ses chances de survie. Les populations dont l'agressivité des mâles est limitée fonctionnant mieux, elles tendent à avoir plus de succès que les autres. La symbiose et la coopération, de même, sont jugées à l'aune de la sélection naturelle.

Pourquoi diable faut-il absolument que l'analogie fonctionne avec les sociétés humaines, qui sont des objets absolument différents des espèces, avec d'autres objectifs et à l'évidence d'autres mécanismes de régulation ? On croit toujours qu'on renforce la crédibilité de nos idées politiques en développant des analogies biologiques. Ben non, éventuellement ça peut servir à se faire comprendre mais c'est tout. Quand on développe des raisonnements sur l'apparition de l'homme et que quelqu'un (Jacquemart, pour ne pas le citer) débarque en disant "attention, si tu penses ça voilà les implications sur l'avenir du capitalisme (!)", je me dis que là il y a un bug.

Et pourtant je suis entièrement d'accord sur les critiques de la philosophie du hasard de Gould ; et pour moi l'évolution n'est nullement le fait du hasard. Mais je suis contre cette comparaison artificielle.
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Message par Barnabé » 25 Jan 2004, 15:42

a écrit :  En même temps, c'est vrai que les mécanismes de sélection jouent un rôle important dans l'évolution. Mais par contre, en faire un élément essentiel de cette évolution, et transposer cette conception à l'homme et aux sociétés (pas aux classes sociales, entendons-nous bien...) n'amène-t-il pas à des conclusions racistes ou qui justifient l'ordre présent (du style "les meilleur, les plus débrouillards sont en haut")? Darwin, d'ailleurs (le confirmez-vous?) n'était-il pas raciste ?

Quel autre ingrédient que la Sélection Naturelle existe-t-il? A mon avis, il y a aussi la coopération entre espèces: symbiotisme, voire parasitisme, au lieu de prédation.
Aussi l'adaptabilité d'une espèce à des milieux différents, comme plusieurs intervenants l'ont dit.

La sélection naturelle permet de comprendre (comme son nom l'indique) l'évolution de la nature et du vivant. L'adapter tel quel aux sociétés produit des théories réactionnaires (darwinisme social ou socio-biologie). Et en effet l'évolution des espèces n'est pas uniquement compétitive. Mais les mécanismes de coopération font partie de la sélection naturelle. Les espèces présentes dans un éco-système font parti du milieu d'une espèce, et la possibilité de coopérer avec elles peut être un avantage sélectif.

Maintenant rapidement par rapport à ce que disent Canardos et Jacquemart (en essayant de pas trop se répéter).
Dire que:

a écrit : a direction de ces adaptations a été determinée par des évenements liés aux hasard (...) et qu'il n'y a donc aucune tendance obligatoire

me parait faux.
Car les mutations des êtres vivant sont certe des évenements aléatoires dans leur expression et du point de vu de l'individu, elles ne sont pas pour autant des éenements contingents. Il est nécessaires qu'il y ait des mutations, et tout n'est pas possible en la matière. Et le mécanisme de la sélection (survie du plus apte) me peut pas non plus sélectionner absolument n'importe quoi (quoiqu'elle sélectionne bien souvent des caractères secondaires qui ne sont pas des avantages mais qui peuvent plus tard le devenir).
Au résultat, il y a bien des tendances. La complexification (et l'indépendance du milieu qui en découle) en est une. La variabilité (à l'oeuvre chez les unicellulaires) en est une autre, et il y en a bien d'autres. Le fait que ces tendances se soient exprimées exactement de la manière dont elle l'on fait, au moment où elle l'on fait n'était pas par contre une nécessité.
Alors oui on peut parler d'évolution "orientée", mais en fait orientée dans plein de directions (et d'ailleurs cette pluralité de direction, donc la divesification du vivant est aussi un effet de l'évolution biologique). Mettre en avant uniquement la tendance à la complexification ne me paraît donc pas juste, en tout cas si l'on veut rendre compte de l'hisoire évolutive du vivant (et la question initiale du fil était "comment enseigner cette histoire"). Cela ne remet pas en cause la nécessité de la complexification dans le vivant.
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Message par Jacquemart » 25 Jan 2004, 16:05

Caupo : j'ai du mal à te suivre... désolé.

Volodia : ou je ne m'exprime pas correctement, ou tu ne me lis pas attentivement, ou les deux (je ne me prononcerai pas !).

Donc, à défaut de trouver une meilleure manière de parler, je me répète et me copie-colle : "Comme Daisy l'a dit, les lois de l'évolution biologique ne sont effectivement pas celles du développement historique. L'évolution biologique est le résultat d'une lutte entre espèces pour l'appriopriation du nécessaire, par des voies naturelles. La lutte des classes est une lutte entre individus (classes) d'une même espèce, pour l'appropriation du surproduit, par des voies culturelles (institutions, Etats, lois, etc.). Le "darwinisme social" est donc par définition une ineptie". Comment faut-il que je le dise ? Mais si les mécanismes en jeu dans l'évolution biologique et l'évolution sociale n'ont rien à voir, la manière de raisonner, de poser les problèmes, en particulier les rapports entre hasard et nécessité, eux, peuvent être communs.

Les gens qui raisonnent comme des croyants, s'ils sont cohérents, appliquent la thèse de l'intervention divine dans tous les domaines. De même, l'idéalisme est un mode général de pensée qui peut être identifié quel que soit l'objet du raisonnement (société, monde vivant, physique...). Eh bien le marxisme est aussi une philosophie qui s'applique à des domaines divers (ce qui ne veut pas dire qu'elle remplace l'étude concrète de chacun de ces domaines, ni que les lois à l'oeuvre dans chacun de ces domaines soient les mêmes).

En faisant systématiquement le parallèle entre raisonnements sur l'évolution biologique et raisonnements sur l'évolution sociale, je voulais simplement montrer comment certaines démarches a priori acceptables, voire "novatrices", sont en réalité étrangères au marxisme. Et je pense qu'on le réalise mieux en transposant ces raisonnements dans un domaine qui nous est a priori plus familier.

En résumé : peut-on soutenir tout à la fois que le hasard règne en maître dans l'évolution biologique (Gould) et que la nécessité gouverne l'évolution sociale (Marx), et être philosophiquement cohérent ?
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